Cosmopolis

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

David Cronenberg deviendrait-il un stakhanoviste ? C’est la question que l’on peut se poser tant son Cosmopolis sort après un laps de temps très court depuis A Dangerous Method. Mais après une excitation somme toute assez molle pour sa Méthode – la faute à un casting et à un sujet classiques -, Cosmoplis titille les papilles avec Robert Pattinson en star débusqué de Twilight et un matériau puissant, le roman de Don DeLillo.

Cosmopolis se pose d’emblée comme un pur objet cronenbergien. Comme il a su le faire depuis Spider, le cinéaste canadien essaie encore de plonger dans l’altérité mentale. A ce titre, A Dangerous Method faisait figure de maître étalon tant le cerveau, nouveau fantasme du réalisateur, était au cœur du film, à la fois dans son sujet que dans sa structure narrative. Facile, quand on traite de la naissance de la psychanalyse. Cosmopolis prolonge l’aventure et va encore plus loin. Si A Dangerous Method jouait sur le texte comme figure tutélaire de l’altérité, ce nouveau film figure cette thématique au coeur même de sa forme, comme une ultime métaphore. La mise en scène, faussement simple, met, en effet, en représentation les différentes strates du cerveau du héros selon une logique d’une matérialisation de son inconscient. Ici, point de dialogue (et encore, nous y reviendrons) mais des cadres, des décors, des mouvements de caméra qui rappellent sans cesse les questionnements, les dérives, les évolutions, de la mentalité, du système de valeurs du personnage principal. Pire, ne serait-ce pas une véritable descente aux enfers d’un cerveau peut-être génial mais néanmoins torturé ? Le monde, ou plutôt celui de ce jeune patron, autrefois si clair devient petit à petit cadenassé, plus sombre, plus bordélique. Autrefois insouciant et sûr de sa force, il se rend compte que son empire peut finir en poussière. Cela sera, bien évidemment, le cas. Parallèlement, le traitement sonore engagé est dantesque et étaye les visions de la caméra. Les débuts sont d’ailleurs déroutants. Rien n’importune l’intérieur de cette voiture malgré une atmosphère de fin du monde. Le vide, presque clinique mais figurant la forteresse bâtie par le héros, est omniprésent. Puis, par légères touches, cette apocalypse va se matérialiser et le son va contaminer le film tout comme une certaine forme d’humanité qui va entrer au cœur du protagoniste principal.

Tout ceci est bien entendu en lien avec la vision du monde que propose David Cronenberg. Tout fout le camp, comme dirait l’autre ! Pas une seule issue géographique, pas une seule pensée optimiste, tout n’est que crachat à la gueule du monde. Cosmopolis est en fait un huis clos apocalyptique et cette fameuse limousine est bel et bien le cercueil de la condition humaine contemporaine. Trop confiante, elle doit retrouver une existence par la convocation de la mort qu’il doit expérimenter. Etrange paradoxe mais néanmoins salvateur où l’immortalité n’est plus un gage de puissance mais de faiblesse. Un retour à l’envoyeur, en somme, où l’on ne peut que se féliciter d’une telle déchéance pour quelqu’un qui a dû mettre pas mal de monde sur le carreau. Si la mise en scène rayonne dans sa capacité à fixer un discours, les dialogues prennent leur importance malgré un sens évident du décalage. Ils peuvent paraître, au premier abord, d’une condescendance consternante. En effet, non seulement, l’action du film se déroule dans la succession des lignes énoncées, non dans ce qu’elles sous entendent mais elles tendent à être à portée métaphysique. Certains ne manqueront pas de dénoncer la supposée vacuité de ces paroles quand d’autres n’hésiteront pas à parler de masturbation intellectuelle. Le réalisateur a, paraît-il, très peu touché le roman de Don DeLillo. L’impression d’un film littéral – d’une pièce de théâtre ? – peut alors s’engouffrer dans la tête du spectateur. Ce serait, hélas, dommage de se priver de la dualité d’une réalisation concrète et de dialogues abstraits qui fait l’identité du métrage.

L’une des grandes réussites du film réside dans la plus belle idée de casting vue depuis des lustres avce ce choix de Robert Pattinson pour incarner ce jeune patron. Débarrassé de son accoutrement de vampire pour bluette adolescente et par la même occasion de réalisateurs se foutant complètement de la notion de jeu d’acteur, le « bellâtre » se livre à une partition consistante. Dès les premières images, il pose dans l’iconique, costard impeccable, lunettes de soleil au poil, comportement supérieur, Robert Pattinson est l’archétype du salopard comme on aimerait les détester par milliers. En bon directeur d’acteur, David Cronenberg arrive à le faire passer par une multitude d’émotions subtiles. Pas de grand jeu, pas de cabotinage, juste une intériorité bienvenue en parfaite concordance avec les thématiques développées. L’acteur a ainsi, définitivement, validé son passeport pour la crédibilité artistique et l’on ne peut que se réjouir de voir un acteur casser ses propres cases. Néanmoins, et c’est la principale déception du métrage, le reste de la distribution n’est pas toujours à la hauteur. On retrouve pourtant un bon nombre d’acteurs connus et respectés (Juliette Binoche, Mathieu Almaric, Paul Giamatti) mais leurs rôles trop restreints les invitent à en faire des caisses pour se faire remarquer. C’est tout à fait dommageable pour un film qui vise avant tout l’intime autant dans ses problématiques que dans ses rapports à un spectateur appelé à faire réfléchir son cortex. Heureusement, ces points négatifs ne sont que partiels tant l’ami Pattinson « vampirise » l’intégralité du métrage. Le plaisir est alors intact.

Cosmopolis est un objet cinématographique d’une belle cohérence et, surtout, il s’inscrit parfaitement dans la filmographie du maître canadien. Bien entendu, le film ne satisfera pas les détracteurs de toujours et les admirateurs de la première heure du cinéaste. Pour les autres, David Cronenberg continue à être aussi fascinant.