Lors de sa campagne électorale, François Hollande a promis de mettre fin à la Françafrique. Exit le paternalisme. Nicolas Sarkozy avait lui aussi formulé la promesse de rompre avec la Françafrique, mais l’a finalement plutôt entretenue. Hollande y parviendra-t-il ?
Par Noël Kodia.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.
À en croire les déclarations de François Hollande lors de sa campagne électorale, les jours de la Françafrique seraient désormais comptés. Durant son discours d’investiture comme candidat socialiste à la présidentielle français, en octobre 2011, il avait en effet clairement posé que s’il était élu président la « République porter[ait] une nouvelle politique à l’égard de l’Afrique » : elle « répudier[ait] sans regrets les miasmes de la Françafrique ». Dans ses « 60 engagements pour la France » le nouveau chef de l’État voulait reconsidérer les relations franco-africaines qui, selon lui, devraient se fonder maintenant sur l’égalité, la confiance et la solidarité. Exit d’ailleurs le paternalisme, à la limite du racisme, de son prédécesseur qui avait indigné l’auditoire lors de son premier voyage officiel sur le continent en 2007 : Hollande Président « ne tiendrait pas de discours comme celui, profondément blessant, sur l’homme africain, qu’a tenus Nicolas Sarkozy ». Hollande aura-t-il réellement le pouvoir de rompre avec cette nébuleuse ?
L’Élysée, un palais pas comme les autres
François Hollande pense visiblement mieux faire que ses prédécesseurs en matière de coopération franco-africaine. Pourtant, l’Élysée, où Hollande vient de s’installer depuis le 15 mai 2012, est une « grande maison » où la Françafrique a sa chambre. François Mitterrand, socialiste comme lui, avait tenté de mettre un terme à la Françafrique. Il fut obligé de faire machine arrière : le « réformateur » Jean-Pierre Cot dut rapidement céder la place au « Monsieur Afrique », Guy Penne, parfois surnommé « le Foccart de gauche ». Nicolas Sarkozy avait lui aussi promis de rompre avec la Françafrique, mais l’a finalement plutôt entretenue.
L’économie, la politique et l’action militaire africaines sont gérées en partie par certains réseaux et lobbies à cheval entre Paris et le continent. De la structure de la Françafrique, il y a donc, en amont, l’Élysée qui « protège » les intérêts politico-économiques français, et en aval, les politiques africains subissant le diktat françafricain – mais profitant aussi du « pacte néocolonial ». Les réseaux affairistes apparaissent comme les meilleurs systèmes de prédation des matières premières au profit d’intérêts français et de l’enrichissement illicite de quelques dirigeants africains. Des réseaux affairistes, certaines multinationales ont acquis des monopoles dans plusieurs pays africains comme le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon où elles jouissent d’une suprématie dans les activités économiques. Sera-t-il possible « d’ouvrir » si facilement ? Surtout que les intérêts sont aussi géostratégiques (uranium, approvisionnement en pétrole, pied à terre militaire) : la Françafrique avait été lancée par Foccart avant tout pour « l’intérêt supérieur » de la nation (Foccart ne s’est pas enrichi personnellement). La sacrosainte « souveraineté de la République française » et les méthodes détournées qu’elle a impliquées jusqu’ici en Afrique pourront-elle être mises si facilement au placard par François Hollande ?
La Chinafrique, une épine dans le pied de la Françafrique ?
L’opération semble d’autant plus compliquée qu’il faut désormais compter avec la montée en puissance de la Chinafrique. Si la France n’arrive plus à s’imposer économiquement en Afrique comme au cours des premières décennies post-indépendances, elle sera obligée de perdre certains marchés au profit de la Chine, comme on le constate dans les deux Congo où l’Empire du Milieu construit des infrastructures (hôpitaux et routes). Dans cette situation de compétition entre la Chinafrique et la Françafrique, la France est en position de faiblesse. Craignant de voir son avenir sur le continent hypothéqué, elle serait vouée à fortifier la Françafrique pour contrecarrer l’impressionnante hégémonie de la Chinafrique. Aussi la décision de François Hollande pourrait apparaître comme un coup d’épée dans l’eau face aux réalités politico-économiques.
À moins que l’opportunité soit saisie pour tourner le dos à ce genre de modèle et que la France « reconsidère » ses relations avec les pays africains afin de justement contrer le modèle chinois. Ce dernier est fondé sur une fourniture de services en échange de l’accès aux ressources et, la Chine n’étant pas exactement une démocratie, sur le fait qu’elle ne demande rien à ses partenaires africains en matière de respect des droits de l’homme et de droits civiques. De manière beaucoup moins hypocrite que la Françafrique il est vrai, elle entretient ainsi des régimes corrompus. Or, avec le printemps arabe, on a vu que les populations africaines sont fatiguées des parodies d’élections. On a vu aussi le changement de cap de la France à l’égard de dirigeants peu recommandables. M. Sarkozy a pu « hausser le ton », surtout en Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal (les « amis » d’Afrique centrale, plus stratégique, n’ont cependant pas eu à être inquiétés). Sans doute François Hollande, plus de vingt ans après le discours de la Baule de Mitterrand, pourrait-il prendre ce train en marche et effectivement s’assurer que « la démocratie vaut partout dans le monde, et notamment en Afrique » puisqu’il n’acceptera pas « des élections qui auront été frauduleuses où que ce soit ».
Mais les dirigeants africains eux-mêmes pourraient faire obstacle au projet du nouveau Président français. L’affaire « des biens mal acquis » de certains dirigeants africains, qui embarrasse encore les relations françafricaines ainsi plus « visibles », donne une idée des intérêts des équipes au pouvoir sur le continent. Habitués pendant plusieurs décennies à fonctionner selon les principes on ne peut plus flous et opaques, allant à l’encontre de l’intérêt général de leur peuple, les dirigeants africains pourront-ils aujourd’hui digérer la vision politique françafricaine de Hollande ? Pendant des années, subissant le diktat de la Françafrique depuis l’Élysée, ils ne contrôlaient pas totalement leur destin politique et économique. De nos jours cependant, la relation entre les politiques du continent et la cellule africaine de l’Élysée est devenue plus « équilibrée » qu’auparavant. En 2008 par exemple, Omar Bongo n’hésite pas à demander à Sarkozy de remercier Jean Marie Bockel du Quai d’Orsay : celui-ci voulait « signer l’acte de décès » de la Françafrique. Comme Hollande n’a presque pas de relations soutenues en Afrique comme avaient pu en avoir le « doyen » Chirac et le « jeune » Sarkozy, l’alternance risque d’être perturbée par la rupture souhaitée.
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