D’entrée de séance, elle m’expliqua sa misère. Afin d’écrire chaque jour, elle avait un besoin vital de quiétude environnementale. Sa vie se résumait à contourner les invasions auriculaires qui affaiblissaient son inspiration.
En dix ans, elle avait déménagé dix fois. Après quelques mois seulement, chaque appartement s’avérait aussi bruyant que le précédent. Peu importe ses stratégies, aucune ne réussissait à mettre en sourdine sa sensibilité.
Aujourd’hui, elle en avait assez de fuir. Elle adorait son logement, malgré le chien jappeur du voisin mitoyen. Cette fois-ci, elle allait s’aménager un beau grand silence dans cette oasis et s’entendre enfin créer en paix.
Les lèvres crispées, elle s’excusa d’envier le silence qui régnait chez moi. Pour équilibrer sa perception, je la réconfortai en disant : Ce que tu ne sais pas, c’est que l’énorme chien de mon ancien voisin jappait soir et matin. Celui de ma nouvelle voisine est grand comme ma main.
Rassurée, elle se prêta volontiers à un exercice pour transformer sa pensée.
D’abord, elle m’énuméra sept qualités du bruit : énergisant, musical, chantant, sécurisant, créatif, harmonieux, enveloppant. Puis, sept défauts du silence : envahissant, gênant, lourd, inquiétant, déroutant, manipulateur, castrant.
J’enchaînai avec cette question : D’habitude, les défauts sont associés à des gens. De quelles personnes en particulier détestes-tu le silence?
Le bleu de ses yeux tourna au gris. Elle déclara : Je déteste le silence de ma mère au téléphone. Celui de mon adolescente renfermée dans sa chambre. Celui de ma meilleure amie récemment remariée. Celui de certains clients. Celui de ceux qui ignorent mes courriels, mes articles, mes appels, mes invitations Facebook. Après un gros soupir, elle ajouta : Et je déteste tous les silences que j’ai gardés, alors que je voulais parler.
Un beau grand silence se déposa entre nous.
Soudain, elle s’exclama : Oh! C’est fou! Je viens de comprendre quelque chose! En apprenant à aimer le silence sous toutes les formes que je viens de décrire, est-ce que je vais pouvoir manifester le silence dans la forme que je désire?
N’ayant pas pu si bien dire, je lui répondis, tout sourire : Excellente question!
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