En parcourant certains livres et annales de médecine, j’ai découvert des exemples de sommeil si extraordinaires, si fascinants, que l’on pourrait douter de la véracité des récits. Il existe en effet des sommeils qui peuvent durer plusieurs jours, voir plusieurs semaines.
Parmi toutes les histoires insolites que j’ai pu lire, j’en ai sélectionné une que j’aimerai vous faire partager¹ :
« Un montagnard des Pyrénées vivait très modestement avec sa femme, une créature d’un tempérament irascible qui était atteinte d’une forme particulière d’hypersomnie. Durant ses périodes d’éveil, cette femme était très irritable. Déjà méchante par nature, elle devenait hargneuse et se livrait, sur son mari, à des actes de brutalité. A la suite de ces scènes violentes, elle tombait dans un sommeil léthargique dont il était impossible de la tirer, et qui durait de quinze à vingt jours. Son mari ne l’accablait pourtant pas et considérait que ces humeurs étaient liées à sa maladie. Il supportait donc les injures, les coups avec une résignation stoïque.
Il arriva un jour que le sommeil de cette femme se prolongea plus longtemps que de coutume ; et elle fut considérée comme morte. Le montagnard versa quelques larmes et remercia Dieu de l’avoir rappelée dans son sein. Etant pauvre, n’ayant pas l’argent nécessaire à l’achat d’une bière, il fit part de son embarras à ses voisins : deux paysans du hameau placèrent la défunte sur une civière avec ses vêtements pour linceul, et se dirigèrent vers le champ où ils allaient l’enterrer. Comme ils passaient dans un étroit sentier bordé de broussailles, une ronce déchira le visage de la morte qui se réveilla tout à coup, en poussant un cri aigu. Les porteurs effrayés laissèrent tomber la civière et s’enfuirent à toutes jambes; le mari, qui s’était sauvé comme les autres, revint sur ses pas, après un moment de réflexion, il aida la malheureuse à regagner le logis. La terreur fut grande au hameau; il se passa plusieurs mois sans que les plus intrépides n’osassent regarder en face la morte ressuscitée.
De ce jour l’humeur de la malade devint si féroce, que le pauvre montagnard fut forcé de déserter sa chaumière, dans la crainte d’être assommé. Sur le bruit qui s’était répandu, à la ronde, que cette femme était sorcière, qu’elle mourait et ressuscitait à volonté, un prêtre d’un village voisin se rendit sur les lieux, accompagné du mari qui, depuis quelques semaines, errait sans asile. Lorsqu’on ouvrit la porte de la chaumière, on trouva la dormeuse étendue raide et livide sur le sol. Cette fois elle était bien morte. L’odeur putride que répandait son cadavre ne permettait plus d’en douter. Personne au hameau ne voulut la porter en terre. Tout le monde frissonnait encore au souvenir de sa résurrection. Deux soldats, rejoignant leur cantonnements, qui étaient venus gîter dans l’endroit, sur la prière de l’ecclésiastique, se chargèrent de ce triste soin.
Le montagnard, comme la première fois, suivit la civière tête baissée, l’œil humide. Il pleurait, le brave homme, car il se croyait veuf pour de bon. Sa démarche lente, ses sanglots, l’abattement de ses traits indiquaient la douleur et les regrets. Cependant, lorsque les soldats entrèrent dans le sentier buissonneux, il leur cria naïvement : Camarades, prenez garde aux broussailles. »
Comment expliquer ce phénomène?
On pourrait comparer les personnes atteintes de cette singulière maladie aux animaux hibernants, dont le sommeil est une véritable léthargie. Leur respiration et leur circulation sont parfois insaisissables. Il y a perte de sensibilité et de mouvement.
Les symptômes présentés dans cette histoire concordent avec ceux du syndrome de Kleine-Levin (KLS)². Les sujets affectés présentent des épisodes récurrents d’hypersomnie, à des degrés divers, des troubles comportementaux ou cognitifs ainsi que des comportements compulsifs, d’hypersexualité et de boulimie. Cette pathologie est généralement considérée comme extrêmement rare et apparait principalement chez le jeune adolescent. D’après les études épidémiologiques ce syndrome peut durer environ 8 ans, avec 7 épisodes de 10 jours, se reproduisant tous les 3,5 mois². La somnolence peut être diminuée à l’aide de stimulants (principalement des amphétamines). Le traitement au lithium présente les résultats les plus efficaces pour arrêter les rechutes².
Constatant qu’il est effectivement possible dans certains cas pathologiques de dormir plusieurs jours d’affilée, on serait presque tenté de croire que le sommeil de la belle au bois dormant fut inspirée de faits réels.