Cela fait donc une centaine de jours que des étudiants se « mobilisent » au Québec pour protester contre les méchancetés du monde ultralibéral qui marchandise tout y compris l’éducation, la culture et les iPad. Vu de ce côté-ci de l’Atlantique, la « lutte » qui occupe ces étudiants canadiens ressemble à s’y méprendre aux éternelles poussées d’urticaires qui agitent nos étudiants français. Cependant, leurs motivations sont-elles réellement les mêmes ?
Contrepoints a déjà couvert différents aspects de la question, notamment l’aspect légal et décrit les conséquences des choix ambigus de manifestation de la part de ces étudiants.
Pour ma part, je me contenterai de regarder la petite pièce de théâtre, à la fois citoyen et festif, qui m’est donné d’observer en constatant qu’encore une fois, ce sont les mêmes types de personnes qui réclament les mêmes types de choses avec le même type de procédés, qui entraînent d’ailleurs globalement les mêmes types de réactions locales.
Pour s’en convaincre, il suffit de revenir à la cause du déclenchement de ces jolis mouvements d’humeur bariolés et qui sentent bon la poutine et les hot-dogs un peu dans le fond. Au départ, le gouvernement québécois a décidé d’augmenter les droits d’inscriptions à l’Université, afin de tenir compte de l’inflation des dernières années. Comme le montant n’avait quasiment pas bougé depuis 1968 (!) la hausse générée atteint alors dans certains cas 82% … mais sur un montant global relativement faible (moins de 2000 CAD) surtout lorsqu’il est comparé aux frais de scolarité dans les universités des autres états canadiens ou, à plus forte raison, des états américains proches. Il est bon de noter que cette hausse sera de toute façon étalée sur les dix prochaines années (elle fait un peu moins de 400 CAD par an), ce qui permet aux étudiants, à leurs familles et à la société en général de s’adapter largement à ce changement.
Bien évidemment, une fois qu’on a compris de quoi il s’agissait, on comprend aussi qu’une augmentation, même modeste, ne pouvait déclencher qu’un vaste mouvement d’excitation chez les habituels tenants d’un statu-quo inamovible : no pasaran ! et tout le tralala, les étudiants refuseront fermement de supporter le coût de l’inflation, même si tout le monde le supporte sans qu’on lui demande son avis, zut à la fin.
De façon là encore parfaitement logique, on se retrouve donc rapidement avec d’un côté un gouvernement qui veut minimiser ses coûts et de l’autre, des étudiants qui veulent absolument que l’éducation soit en accès libre, gratuit, et bisournous compatible.
Malheureusement, la situation économique et financière de l’État et des Universités ne permet pas réellement de continuer à faire supporter plus des quatre cinquièmes du coût de scolarité d’une poignée d’étudiants par la grosse partie de la population qui travaille (et qui n’a, au passage, pas eu accès à l’Université dans sa grande majorité). Quant à cette fameuse poignée d’étudiants, elle ressort rapidement les mêmes arguments que ceux qu’on entend maintenant en boucle, en septembre et en octobre en France, à chaque fois que le gouvernement fait mine de toucher au statu-quo estudiantin.
L’étape suivante continue d’être d’une banalité consternante puisque rapidement, les positions des uns et des autres se cristallisent comme une gelée de coings trop épaisse. Le plus amusant est que l’évolution de la situation proposée par le gouvernement a tendance a, clairement, favoriser les classes les plus modestes ; comme bien souvent, les enfants de ces classes-là ne sont pas les plus bruyants (ni les plus mal élevés) ce qui les dessert évidemment lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs droits, notamment celui d’étudier calmement, sans se préoccuper des sessions barbecue que les autres organisent.
Sessions barbecues là aussi parfaitement logique lorsqu’on a pratiqué les campus français : à mesure que les beaux jours avancent et que l’envie de glander ailleurs que dans l’amphi d’Histoire de l’Art se fait plus forte, explose alors la propension des uns et des autres à trouver le bonheur sur la pelouse, avec des banderoles revendicatives en guise d’alibi. Un grand standard que seule la presse, avide de sensations fortes, pourra transformer en mouvement historique, en l’affublant au passage d’un petit nom poétique (ici, « Printemps d’Erable ») qui permettra de situer le contexte rapidement et de le rattacher de façon quasi pornographique à des luttes parfois sanglantes dans des pays tout sauf démocratiques où la population crève de faim.La logique d’affrontement étant en place, la presse se mêlant de tout ça pour pousser du colombin dans le ventilateur plus vite que les éventuels négociateurs ne sont capables de nettoyer les murs autour, pouf, ce qui doit arriver arrive avec force : rapidement, des débordements sont constatés. Trop de bière, pas assez de poutine, une envie d’iPad et pas de moyens pour l’acheter, allez savoir : des affrontements, des vitres cassées, et voilà l’affaire qui s’envenime.
Comme un mouvement d’horloge parfaitement huilé, l’escalade continue donc : le gouvernement québécois, n’ayant probablement pas autant l’habitude du détachement serein qui traverse la fibre de tout homme d’état français parfaitement écouillé, panique un chouilla et décide de restreindre le droit de manifestation des étudiants en faisant voter une loi construite pour l’occasion.
On applaudira ici l’absence totale de jugeote des dirigeants pour se lancer dans une telle opération commando. D’une part, la loi est à ce point conçue spécifiquement pour ce qui se passe qu’elle sera probablement rapidement jugée non constitutionnelle. D’autre part, en agissant de la sorte, le gouvernement a montré qu’il n’avait pas réellement d’autres solutions pour calmer le jeu, ni d’arguments forts pour remettre les choses au clair, ce qui est assez incroyable lorsqu’on connaît le détail de la proposition initiale. Enfin, avec la Loi 78, il s’ouvre un boulevard pour une nouvelle restriction de la liberté ce qui donne un nouvel argument aux mécontents, argument tout à fait recevable de surcroît.
Pour un libéral européen, tout ceci est d’une banalité consternante : une décision somme toute logique cristallise contre elle l’arrière-garde éternelle des bobos et des favorisés qui ne veulent surtout pas lâcher une part de leur gâteau, l’ensemble s’enkyste gentiment, les élites qui nous gouvernent paniquent, et accroissent au final l’emprise de l’état sur la société civile sous couvert de sécurisation.
La suite semble elle aussi parfaitement logique : les étudiants pourront obtenir le retrait de la loi débile votée à la va-vite, victoire qui leur permettra de gagner les points suivants de leurs revendications au moins aussi débiles. Toute cette situation se résume à une empoignade de mongoliens étatistes et peu importe le résultat final : tout le monde sera perdant.
On dirait la France.