Malgré tous mes efforts, je n’ai pas été convaincu par les arguments avancés par le gouvernement Charest pour justifier la hausse drastique des frais de scolarité. D’ailleurs de nombreux spécialistes ont estimé que cela ressemble plus à une décision à connotation idéologique qu’à finalité économique. Je suis donc étonné que cette décision obtienne le soutien de la majorité des Québécois selon plusieurs sondages de La Presse. Le Québec est-il réellement cette société distincte avec des valeurs de solidarité, de partage et de justice sociale que l’on vante tant? Où les sondages mentent?
Quand on écoute le discours ambiant concernant les étudiants dans certains médias, on dirait qu’on parle d’une couche sociale de nantis qui se battent pour protéger des avantages bombons. Et pourtant, le revenu annuel moyen d’un étudiant universitaire québécois atteint à peine 13 000$, encore plus faible au premier cycle pour une dette moyenne de 14 000$ . Ca donne l’impression que la société québécoise fonctionne par corporatisme et par clan social où chaque clan défend ses intérêts. Mieux, les plus vieux, notamment les boomers semblent déconnectés de la réalité des plus jeunes. Les sondages montrent constamment que les 55 ans et plus soutiennent majoritairement la décision du gouvernement Charest et les 30 ans et moins soutiennent le mouvement étudiant. Franchement, c’est un phénomène atypique que j’ai rarement vu ailleurs et j’aimerais qu’un sociologue m’en explique les tenants et aboutissants. Ailleurs, les plus âgés ont plutôt tendance à prendre fait et cause pour les plus jeunes, notamment les étudiants.
Le gouvernement Charest se bombe le torse d’avoir le soutien de la population dans son projet, mais nous sert des arguments peu convaincants pour se justifier. Mon analyse reste la même que j’avais faite dès le début de la crise.
Ca fait 30 ans que cela dure S’il est vrai que les frais de scolarité n’ont pas augmenté comme ils devraient l’être depuis les 30 dernières années, pourquoi décider unilatéralement de faire le rattrapage sur quelques années? Après tout, le gel irresponsable des frais de scolarité pendant près de 30 ans a bien profité à des générations de cadres d’aujourd’hui qui ne s’en plaignaient pas à l’époque. La vraie « juste part » n’est-elle pas de répartir rétroactivement la facture du rattrapage sur les 30 dernières années?Pourquoi tous ces bien-pensants (politiciens, universitaires, gens d’affaires) demandent aux jeunes d’aujourd’hui de porter tout le fardeau de leur errance passée. Quel groupe social accepterait une hausse drastique de 75% de frais majeurs sur 5 ans sans rechigner ?
Les étudiants doivent faire leur juste part C’est la phrase magique que tous les membres du gouvernement Charest chantent en cœur depuis des mois : « Faire sa juste part ». C’en est pratiquement touchant de voir des ministres devenus subitement des prophètes épris d’équité, de justice et de responsabilité individuelle. Bientôt, on demandera aux enfants dans les garderies de briser leurs tirelires pour contribuer à l’effort de guerre.
Pourquoi demander à un étudiant de faire sa juste part avant de commencer par gagner sa vie ? Le gouvernement croit-il au moins encore à l’équité de notre régime progressif d’imposition? Les plus fortunés ne paient-ils pas plus d’impôts ? N’est-ce pas le moyen par lequel chacun paie sa juste part. Chaque Québécois paie sa part en étant pratiquement parmi les citoyens les plus taxés et les plus imposés au monde ? Et ces étudiants passeront aussi à la caisse très bientôt. Certes, faire les études universitaires constitue un investissement à long terme et dans le cas du Québec, le retour sur investissement n’est pas seulement individuel (les étudiants qui ont la chance de gagner de meilleurs salaires) mais aussi collectif (car ce sont ces futurs salariés bien rémunérés qui rempliront les coffres de l’État). N’oublions pas non plus que les frais de scolarité d’un grand nombre d’étudiants sont assumés par des parents qui croulent déjà sous le fardeau d’une fiscalité déjà bien lourde.
Nos gouvernants doivent aussi faire leur juste part Et si le gouvernement commençait déjà par faire sa part en gérant de façon responsable l’argent que les contribuables lui confient ? Le grand problème du Québec, c’est moins le manque d’argent, mais plus l’incompétence et la gabegie crasses qui caractérisent les gens qui sont chargés de gérer nos ressources. Des milliards gaspillés dans les manœuvres de corruption dans le secteur de la construction et des grands travaux. Des ponts et des viaducs qui nous tombent sur la tête, nécessitant des travaux d’urgence qui coûtent une fortune alors qu’une meilleure planification aurait permis d’importantes économies. Des milliards donnés en subventions et allègements fiscaux à des nantis et à des entreprises privées qui n’hésitent pas à supprimer des emplois et relocaliser leur production dès que les profits baissent un peu. Le Québec est considéré comme le champion en matière de subventions des entreprises privéesqui empochent des milliards de dollars sans garantie de contreparties pour l’État (environ 6 milliards de subventions annuellement). Ces « corporate welfare bum » qui n’ont aucun respect pour les travailleurs et les contribuables qui les font vivre. Les 250 millions de dollars qu’on veut aller chercher brutalement dans les poches des étudiants ne représentent qu’une pincée de sel comparés à des milliards qui sont flambés année après année, au profit d’une minorité de gros bonnets qui sont capables de se payer des firmes de lobbying pour inciter le gouvernement à prendre des décisions en leur faveur.
Et si les universités commençaient par mieux gérer les ressources financières qui leur sont confiées déjà. Qu’est-ce qui garantit que la hausse des frais de scolarité va servir réellement à améliorer la qualité des formations universitaires ? Qu’est-ce qui nous protège contre les scandales financiers comme celui de « l’îlot voyageur » de l’UQAM ?
Les étudiants québécois paient des frais de scolarité moins élevés que dans les autres provinces C’est la deuxième ligne de défense des « pro-hausse ». Nous aimons défendre les particularités du modèle québécois. Nous valorisons ses différences par rapport au reste du Canada. N’empêche que certains reviennent vite aux comparaisons quand ca les arrange. Mais c’est une erreur de s’arrêter juste à une variable économique pour comparer deux réalités. L’étudiant ontarien paie peut-être plus cher ces études universitaires, mais il a un salaire moyen supérieur à la sortie des bancs, paie moins d’impôts aussi lorsqu’il se retrouve sur le marché du travail, etc. Nous pouvons continuer ainsi les comparaisons en rajoutant d’autres variables économiques et on se rendra compte que l’étudiant québécois n’est pas nécessairement le plus gâté.
Malgré tout, le gel total n’est pas réaliste dans le contexte actuel De leur côté, les étudiants doivent mettre de l’eau dans leur vin et comprendre que l’option de la gratuité ou du gel total des frais de scolarité est aussi déconnectée que la hausse draconienne que propose le gouvernement. Même si personnellement, je crois à la pertinence et la capacité de Québec d’instaurer un gel des frais de scolarité, je dois reconnaître que cette option n’obtient pas le soutien de la majorité des Québécois.
L’alternative qui me semble équitable et raisonnable est de limiter la hausse àl’indexation des frais de scolarité en fonction de la hausse du coût de la vie, ou une légère hausse ne dépassant pas 7% par année. Après tout, le fardeau que constitue une hausse des frais de scolarité peut être allégé en permettant à certaines catégories d’étudiants de profiter pleinement des mesures fiscales fédérales. Rappelons que la fiscalité fédérale contient plusieurs mesures relatives aux études, passant du crédit pour frais de scolarité aux régimes enregistrés d'épargne-études. En général, plus les frais payés sont élevés, plus les réclamations le sont.
Pour conclure, j’inviterai le gouvernement Charest à laisser de côté les manœuvres politiques et se poser la bonne question. Il ne s’agit pas de savoir si les étudiants paient leur « juste part » du coût de l’éducation mais de savoir si le Québec est capable d’aider ses futurs « meilleurs contribuables » à avoir accès à une éducation supérieure à coût abordable. Pour ma part, j’estime qu’une province qui donne environ 6 milliards de subventions annuellement à des entreprises privées (intérêts privés) est capable d’offrir une éducation de qualité à moindre coût à sa jeunesse, futur pilier économique de la nation.