Un rebelle islamiste d'Ansar Eddine près de Tombouctou, le 24 avril 2012. © Romaric Ollo Hien/AFP/Archives
La fusion annoncée entre les deux groupes rebelles Ansar Eddine et le MNLA consacre la prédominance au Nord-Mali des forces islamistes radicales les plus proches d'Aqmi. Paradoxe : la nouvelle donne favorise les négociations à court terme, tout en rendant très improbable l'atteinte d'un accord stable dans la durée.
Annoncée par la signature samedi à Gao (Nord du Mali) d’un « protocole d'accord » entre le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et le groupe islamiste Ansar Eddine, la prochaine fusion des deux groupes rebelles marque un tournant dans la crise malienne qui a éclaté à la mi-février.
Comme c’était prévisible, c’est d’abord l’islam qui a permis au MNLA, sécessionniste et laïque, et Ansa Eddine, qui prône d’abord l'instauration de la charia au Mali, de surmonter leurs divisions en décrétant leur « auto-dissolution » et la création d'un « Conseil transitoire de l'État islamique de l'Azawad », l'immense territoire du septentrion malien. De l’avis de tous les observateurs sur place, les islamistes et leurs alliés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sortent donc renforcés par la nouvelle donne.
"Le MNLA perdait du terrain"
Le MNLA « perdait du terrain et ça, tout le monde le voyait. Il lui fallait une initiative pour rebondir », analyse ainsi le politologue malien Issa Touré. Les rebelles touaregs sont « en pleine déconfiture. Donc ils signent avec Ansar Eddine pour survivre », confirme une source sécuritaire dans la région. « C'est Ansar Eddine qui absorbe le MNLA, et non le contraire », poursuit-elle, soulignant que « beaucoup d'officiers du MNLA ont rejoint ces derniers temps les rangs » du mouvement islamiste.
« C'est une alliance contre-nature » qui « ne favorisera qu'Aqmi », s'indigne Malaïnine Ould Badi, un responsable de la communauté arabe du Nord malien. Les principaux responsables d'Aqmi et d'Ansar Eddine ont d’ailleurs commencé jeudi à Tombouctou des discussions sur leurs relations futures. « À cette allure, demain, c'est Aqmi qui va nommer le préfet ou le gouverneur de Gao », proteste Mohamed Maïga, un représentant des habitants songhaï de cette ville.
Une chose est sûre désormais : l’alliance avec Ansar Eddine retire au MNLA l’un des arguments sur lesquels il fondait sa légitimité et celle de son État indépendant, l’Azawad : la lutte contre les terroristes d’Aqmi. « Ansar Dine nous a dit qu'il n'est pas question de déclencher une guerre à Aqmi. (...) C'est ça le problème », reconnaît Ibrahim Assaley, maire de la localité de Talataye (nord) et membre du MNLA.
Solution négociée ou temporisation ?
Du point de vue des autorités maliennes, la nouvelle configuration des forces au Nord pourrait renforcer la piste d’une solution négociée, même si le gouvernement malien de transition, qui peine à s’imposer face à l’ex-junte, a immédiatement rejeté « catégoriquement toute idée de création d'un État de l'Azawad, encore plus d'un État islamique ». De fait, l'Algérie voisine, qui joue un rôle central au Nord-Mali, continue de plaider pour le « dialogue » avec les rebelles tandis que la médiation ouest-africaine de la Cedeao veut également croire que la fusion des groupes armés permet d'avancer vers des discussions.
« La médiation salue toute dynamique allant vers la cohésion entre les différents mouvements armés, l'essentiel étant que ce groupe (choisisse) l'option d'une solution négociée au conflit », a affirmé le ministre burkinabè des Affaires étrangères Djibrill Bassolé. Le président burkinabè Blaise Compaoré a déjà noué des contacts avec le MNLA et Ansar Dine, mais en excluant officiellement Aqmi.
Or c’est là que le bât blesse, la proximité idéologique et tribale étant très forte entre le mouvement terroriste et Ansar Eddine. Et il est vraisemblable de penser que, du point de vue des islamistes, un accord ne saurait avoir d'autre valeur que transitoire, dans l’attente d’une nouvelle opportunité pour progresser vers l'instauration définitive de la charia.
Autre indice laissant peu d’espoir à une solution négociée à terme : l’ultra-militarisation de la région. Selon la source sécuritaire régionale citée plus haut, les djihadistes d'Aqmi sont pour l'heure les plus forts : « Aqmi est aujourd'hui plus armé que les armées du Mali et du Burkina réunies ». Le groupe, doté notamment d'armes lourdes rapportées de Libye, s'est d'ailleurs emparé cette semaine à Gao d'un important dépôt d'armes de l'armée malienne, selon plusieurs sources. Mais dès que l'équilibre des forces changera, la voix du canon devrait se faire réentendre...
(Avec AFP)