La compétition va être serrée… Ca va se jouer à un poil, à un saut de puce près… Les candidats hurlent à la lune chaque soir en espérant gagner la suprême récompense. En attendant la cérémonie, ils vont aller se faire toiletter et brosser…
Quoi? Mais non, on ne parle pas de la sélection officielle, nounouilles! on vous parle de la Palme Dog, qui n’a jamais été aussi ouverte que cette année, avec des performances canines de tout premier plan.
L’an dernier, cette récompense parodique avait été attribuée sans contestation possible à Uggy, le chien de Dujardin dans The Artist. Cette année, c’est plus serré à arbitrer entre Fanny, le chien de Mads Mikkelsen dans La Chasse, Banjo et Poppy, les toutous de Touristes, mais aussi Billy Bob, le chien de Benoît Poelvoorde, à la vie et à l’écran…
Sans oublier l’excellente Jacqueline, la chienne de Chef de meute qui a fait bien rire les spectateurs de la compétitions de courts-métrages, dont tous les films ont été projetés aujourd’hui au palais.
Là aussi, ça va être serré. Outre Chef de meute, récit de la relation tourmentée entre une femme et une chienne, on a bien aimé l’ambiance fantastique de The Chair, de Grainger David, et de Yardbird de Michael Spiccia, et le côté social de Night shift de Zia Mandivwalla… Verdict dimanche soir, lors de la cérémonie de clôture!
La compétition officielle est elle aussi assez ouverte. Maintenant qu’ont été projetés tous les films de la compétition, difficile de dire quels films vont être primés par le jury de Nanni Moretti. Tout dépendra des goûts des jurés, venus d’horizons très différents, et du président, à priori plus porté vers le cinéma d’auteur exigeant que sur les films grand public…
On ne pariera donc pas trop sur Mud, de Jeff Nichols, qui a pourtant séduit les festivaliers.
Il s’agit d’une histoire assez classique, tant formellement que thématiquement. Le personnage principal est Ellis, un adolescent qui vit sur les bords du Mississippi. Ses parents se déchirent et sont sur le point de divorcer. Aussi, le garçon aime bien traîner hors de la petite cabane familiale; Avec son copain Neckbone, ils partent explorer une île au centre du fleuve. Ils y ont repéré un bateau perché dans les arbres, arrivé là suite à une tempête, et entendent bien se l’approprier, pour en faire leur repaire, avant de pouvoir le retaper. Le hic, c’est que le bateau est déjà occupé par Mud, un fugitif qui a besoin de se planquer quelques jours avant de retrouver la femme qu’il aime – et qui est responsable de ses ennuis avec la justice. Les deux enfants, sensibles à son histoire, décident de l’aider en cachette…
La suite du scénario est assez prévisible, mais la narration de Jeff Nichols est efficace et nous tient en haleine jusqu’au bout.
Le cinéaste réussit à mettre en place une ambiance particulière, entre douceur et mélancolie. Il y est question de ruptures amoureuses, de déceptions et de blessures sentimentales, des choses assez douloureuses, vues par le regard naïf d’un adolescent.
Ce récit initiatique, qui évoque un peu le Stand by me de Rob Reiner, séduit par la beauté éthérée de ses images, par son montage bien rythmé, par la sobriété de sa mise en scène, qui prend le temps de mettre en place ses séquences sans étirer inutilement l’action. Et aussi par la qualité de son interprétation, impeccable, aussi bien du côté des jeunes acteurs Tye Sheridan et Jacob Lofland, que des acteurs confirmés, Michael Shannon, l’acteur-fétiche de Nichols, Matthew McConaughey, Reese Witherspoon, Sam Sheppard…
Le public a apprécié. La presse aussi, même si le film est un cran en dessous de Take shelter et Shotgun stories au niveau de l’intensité dramatique.
Est-ce que le jury suivra?
Dernier film de la compétition, L’ivresse de l’argent d’Im Sang-soo.
Il s’agit d’une sorte de “suite” de The Housemaid, ou plutôt d’un prolongement de la réflexion sur les liens entre argent, sexe et pouvoir dans la société sud-coréenne moderne. Le personnage central est employé d’une famille bourgeoise riche à ne plus savoir que faire de l’argent. Leur quotidien? Petites magouilles et dessous de table. Juste de quoi s’assurer que leur petite vie tranquille n’est pas menacée et que les tracas sont tenus éloignés de leur grande maison, décor glacé qui sert de trompe-l’oeil et masque frustrations sexuelles, désirs inassouvis et envies d’ailleurs…
Monsieur trompe Madame depuis des années et entend cette fois tout plaquer pour partir avec la bonne. Madame encaisse en silence, mais n’est pas prête à laisser faire. Et si elle est plus digne que son mari, elle cède parfois à ses pulsions. Elle viole pratiquement le jeune assistant et, pour compenser, lui offre un poste important dans l’organigramme de la société. Mais le garçon, qui a bien compris qu’il n’est pas du même monde, n’a pas l’intention de se laisser griser par l’argent et le pouvoir…
Comme Cosmopolis, le film dépeint les derniers jours d’un microcosme tellement replié sur lui-même qu’il ne comprend pas qu’il court à sa parte, par manque d’humanité.
Im Sang-soo orchestre ce jeu de massacre avec une mise en scène d’une totale élégance formelle – plans-séquences somptueux, jeux de miroirs, de reflets, de clairs-obscurs – et une ironie cruelle. L’ensemble est peut-être un peu trop stylisé et trop glacé pour convaincre le public, mais le film possède assez de qualités pour séduire le jury. Im Sang-soo a réussi, contrairement à son Housemaid, donner un peu plus d’ampleur à ses personnages balzaciens, et a dynamiser son récit par de jolies saillies comiques.
Voilà! C’en est fini de l’exploration des films en lice pour la palme d’or.
Comme d’habitude, nous nous refusons à tout pronostic. Nous ne sommes pas voyants et nous ne sommes pas non plus dans la tête du jury. Cela dit, connaissant un peu les goûts de Nanni Moretti, il semble peu probable qu’il accorde les prix principaux à des films américains. A moins que Mud, Cogan : la mort en douce, Cosmopolis ou notre chouchou Moonrise kingdom n’aient infléchi ses préjugés.
Pour le verdict, réponse dimanche soir 19h15…
Débarrassés de la compétition officielle, nous avons également fait l’impasse sur la clôture de la section Un Certain Regard. Nous aurions bien voulu assister à la petite cérémonie de remise des prix par Tim Roth et son jury, qui ont récompensé l’excellent Después de Lucia et le plutôt bon Le Grand soir. Rien que de les voir se refuser à donner un prix d’interprétation masculine pour mieux attribuer deux prix d’interprétation féminine à Emilie Dequenne et Suzanne Clément, cela devait valoir son pesant de cacahuètes. Sacré Tim Roth!
Mais le film de clôture ne nous branchait pas, mais alors pas du tout. A vrai dire, les biopics historiques ne sont pas trop notre tasse de thé et nous avons (lâchement) fui devant ce Renoir que l’on nous a décrit comme “ennuyeux”, “académique”, “lourd”…
Hop! A la place, nous avons récupéré les films primés à la Quinzaine des réalisateurs.
Ainsi, nous avons pu voir Le Repenti de Merzak Allouache, qui raconte la difficile réinsertion d’un islamiste “repenti”. En Algérie, après des années de terreur liée aux mouvements intégristes, le gouvernement a donné la possibilité à certains islamistes de rendre les armes et à bénéficier d’une amnistie pour les crimes commis. Mais la population, elle, n’oublie pas. Il y a eu des disparitions, des assassinats, des actes de terreur. On ne peut pas pardonner certains crimes.
Avec un pessimisme marqué, Merzak Allouache nous livre sa vision du problème et s’interroge sur l’avenir de son pays, et des pays du Maghreb, au lendemain des révolutions arabes et le renouveau des mouvements islamistes radicaux. Il signe un beau film, qui se conclut de la plus glaçantes des manières, quand les “Allah Akbar” se fondent avec les bruits de fusils mitrailleurs… Troublant et poignant…
Nous avons aussi pu rattraper No, le film du chilien Pablo Larrain. Une belle réussite qui nous plonge dans le Chili de la fin des années 1980, au moment où, sous la pression de la communauté internationale, le dictateur Augusto Pinochet est contraint d’organiser un référendum pour se maintenir au pouvoir. Si le peuple vote “Oui”, il sera réélu pour plusieurs années encore, si le “Non” l’emporte, le président-dictateur sera contraint de quitter le pouvoir. A ce moment-là, son équipe ne craint rien. Le peuple est sous le joug de l’armée, les opposants sont en grande partie en prison ou décédés et les média sont sous contrôle.
Mais les observateurs extérieurs imposent que les deux camps bénéficient d’un temps de parole médiatique équivalent pendant la durée de la campagne officielle. Les têtes pensantes du pouvoir et des différents partis d’opposition se mettent au travail et accouchent d’une part d’un clip de propagande pathétique et d’autre part du catalogue anxiogène des atrocités commises par les militaires pendant les quinze ans de dictature de Pinochet. Pas très vendeur…
Un petit génie de la publicité (Gael Garcia Bernal), qui a vécu en Espagne pendant des années et ne se soucie pas trop de politique, est sollicité pour conseiller l’équipe du “Non”. Il finit par se prendre au jeu, décide de s’investir davantage et de prendre en main la campagne, appliquant aux clips les recettes publicitaires modernes : chanson de groupe, slogans choc, humour et images percutantes…
Petit à petit, le “Non” gagne du terrain et l’équipe Pinochet, menacée, montre son vrai visage : intimidations, charges policières… Le publiciste – et le spectateur avec lui -prend conscience de ce qu’ont été les années de dictature de Pinochet…
C’est un film intelligent qui, sur un ton relativement léger, dénonce les pratiques fascistes qui ont eu cours au Chili pendant quinze ans, avec l’appui des américains et d’autres pays du monde préférant un dictateur conservateur plutôt qu’un président démocratiquement élu, mais communiste…
Il décortique aussi les techniques de manipulation de l’opinion par l’image, traite des discours politiques et leur confrontation au réel, avec un brio narratif indéniable.
Enfin, nous avons vu le film de clôture de la section, également crédité d’une récompense.
Camille redouble est une comédie fantastique qui repose sur le principe du gap temporel et de la seconde chance, comme dans Retour vers le futur ou, de façon plus marquée, Peggy Sue s’est mariée.
L’héroïne, Camille (jouée par la réalisatrice Noémie Lvovsky elle-même) est une quadragénaire qui voit sa vie prendre l’eau de toutes parts.
Son travail? De petits rôles dans des séries Z horrifiques où elle se contente de dialogues aussi intenses que “Aaaaaaaaaaah!”.
Ses amours? Elle s’est faite plaquer par l’homme de sa vie, Eric (Samir Guesmi) après plusieurs années de vie commune chaotique. Il en a eu assez de la voir sombrer dans la déprime et dans l’alcoolisme. Et maintenant, il exige qu’elle mette en vente leur appartement pour récupérer sa part et construire un nouveau foyer…
Sa famille? Ses parents sont décédés il y a longtemps et sa fille, qu’elle a eue très tôt, est déjà partie vivre sa vie de femme.
Bref, Camille est seule, Camille est mal dans sa peau, Camille est fatiguée…
Un soir de réveillon de nouvel an, elle passe voir un horloger pour changer la pile d’une montre que lui avait offerte sa mère , juste avant de décéder. L’horloger bizarre (Jean-Pierre Léaud) décale l’heure d’une seconde. Quand sonnent les douze coups de minuit, Camille s’évanouit.
Elle se réveille dans son lit d’adolescente, ses parents à son chevet. Elle comprend qu’elle est revenue à l’année de ses seize ans, juste avant la rencontre avec Eric, juste avant de tomber enceinte de sa fille et juste avant que sa mère ne décède. Avec le recul et l’expérience, elle décide de ne pas refaire les mêmes erreurs…
Lors de son voyage dans le passé, Camille réalise que l’amour est quelque chose de très fort qui ne peut pas complètement disparaître. La vie est juste parsemée d’embûches, quelque soit le chemin que l’on emprunte. On se prend des coups, on subit des échecs, on est affligés par des deuils. L’amour est soumis à rude épreuve et doit plier sous le poids du quotidien. Comment, alors, le préserver? Le secret réside peut-être dans la faculté de se rappeler de son passé, de cet âge des possibles qu’est l’adolescence, afin de se rappeler de ses rêves et de ses envies profondes…
On retrouve ici tout ce qui fait le charme du cinéma de Noémie Lvovsky : sa petite musique des sentiments, la tonalité douce-amère dans laquelle baignent ses films, ses personnages attachants, son regard tendre sur la période de l’adolescence, son utilisation pertinente de la musique et des chansons (ici, Barbara et son “Dis, quand reviendras-tu?”)… Camille redouble est un film plein de fantaisie et de tendresse, qui a su toucher les festivaliers et le jury de la SACD à la Quinzaine des réalisateurs.
De la tendresse et de la fantaisie, c’était aussi ce qui était au programme de la séance de minuit au Palais des Festivals. Euh… excusez-nous, ce n’est pas ça du tout en fait. C’était plutôt scalps brutaux et obsessions perverses en fait… Vu le titre, Maniac, on se disait aussi…
Il s’agit du remake d’un film de William Lustig, sorti en 1980 et devenu objet de culte pour les fans de films d’horreur.
A l’époque, le film avait créé le buzz à Cannes, mais au Marché du Film… Cette fois, son remake a les honneurs du tapis rouge et de la sélection officielle…
Sacré pari que de s’attaquer à ce classique du genre, qui, bien qu’aujourd’hui un peu daté, constitue toujours une référence du film de “serial killer”.
Mais Alexandre Aja et son complice Grégory Levasseur savent dépoussiérer les vieux classiques. Ils l’ont prouvé avec les remakes de La Colline a des yeux et de Piranha. Et ils savent comment façonner un film de genre, ceux qui ont été terrifiés par Haute tension le savent bien.
Cette fois, ils ne son pas directement aux commandes de ce remake, préférant abandonner la réalisation à leur copain Franck Khalfoun. Ils en ont toutefois écrit le scénario et en ont assuré la production.
La première bonne idée, c’est d’avoir repris le principe du film original, celui de la vue subjective, et de l’avoir assumé jusqu’au bout : Tout est vu par les yeux du tueur Frank Zito, dont on ne voit le visage que lorsqu’il se reflète dans le rétroviseur de sa voiture, dans un miroir, sur une vitre. Ainsi, le spectateur est placé quasiment dans la peau du tueur, et assiste à ses meurtres sanglants aux premières loges, ce qui procure un certain malaise…
La seconde bonne idée, c’est d’avoir choisi un acteur au profil différent de l’interprète original. Conscient qu’il serait difficile de faire oublier la performance hallucinée du regretté Joe Spinell, qui avait campé un tueur bedonnant, vieillissant et assez laid mais charismatique,, l’équipe du film a choisi de faire confiance à Elijah Wood pour accentuer le décalage entre le physique du tueur et son mental dérangé.
Le jeune acteur ne possède pas la carrure massive de Spinell. Il incarne un tueur plus frêle, plus jeune, plus “mignon”, comme le dit une de ses futures victimes au début du film. Sa performance est moins hallucinée que celle de Joe Spinell, mais est plus nuancée. L’acteur joue sur l’intensité de son regard bleu, à la fois séduisant et étrange, presque inquiétant. Ses victimes ne peuvent pas vraiment se méfier de lui. Il a l’air timide et maladroit. Pourtant, il se montre tout aussi déterminé dans sa croisade meurtrière contre la gent féminine, qu’il associe au souvenir de sa mère abusive…
Aja et Levasseur ont choisi de développer un peu la relation qui l’unit à Anna, une femme qui, pour le tueur, semble différente des autres. Dans le film original, c’est la sublime Caroline Munro qui incarnait la jeune photographe aimée du tueur. Ici, c’est la non moins sublime Nora Arnezeder qui tient le rôle.
Le couple qu’elle forme avec Elijah Wood est assez crédible et, au fur et à mesure que le film progresse, on sent la tension monter entre les deux personnages.
Ce qui est moins inspiré, c’est l’envie de surpasser l’original dans la noirceur et la violence. Sur ce plan là, c’est raté, Le dénouement semble bâclé et tombe dans une surenchère gore qui plombe notre impression générale du film.
Ce remake n’a rien de honteux, mais il ne parviendra pas à nous faire oublier le film original.
Mais ne soyons pas chien : pour une séance de minuit au palais des festivals, ce Maniac version 2012 était le film idéal pour mettre une ambiance de feu…
Tiens d’ailleurs, puisqu’on reparle de chien. La Palme dog a été attribuée…Ce sont bien Banjo et Puppy de Touristes qui l’ont emporté, pendant que Billy Bob a empoché le grand prix du jury. Rien pour Jacqueline, qui va continuer de tirer la langue. Et rien pour Fanny qui est… Fanny.
A demain pour la suite (et la fin) de nos pérégrinations cannoises…