Où l'on reparle de jeu, en majuscule

Publié le 28 mai 2012 par Spartac

Mont de Marsan en Top 14 et l'on espère que leur président ne fera pas une Nicollin


Le rugby est un sport où l'aléatoire n'a que peu de place. Malgré l'utilisation pour sa pratique d'un référenciel aléatoire rebondissant, il ne réserve que peu de surprises, et le 20e pays mondial ne menacera jamais la Nouvelle Zélande. C'est aussi vrai dans l'univers des clubs, où le mieux armé gagne souvent, et, avec le professionnalisme, le plus argenté trouve souvent la voie du bouclier.Il existe heureusement des exceptions qui font que le rugby peut, parfois encore, au détour d'une partie, afficher un charme désuet. Qui connait Mont de Marsan? Et bien depuis hier ils sont invités a la table du Top 14.

Non Jagr n'est pas que le patronyme d'un fameux hockeyeur


Enfin invités... Autant dire qu'ils s'y sont invités tous seuls, comme des grands, en remportant hier à Bordeaux, face à Pau, leur match d'accession. Et, comme un symbole, sur le terrain ou ils remportèrent leur seul titre en 1963.
Car, au delà du folklore, d'une ville qui n'existe sur la carte de France, que sur le chemin de routiers économes, ce n'est d'ailleurs pas un hasard si son ancien président dirigeait une compagnie de frète. Une ville de garnison, où les militaires de passage ont laissé place à ceux de carrière, vivant ici une vie paisible, seulement troublée l'été venu par des festivités séculaires, tranchantes avec l'impression monotone d'une ville endormie. Ici on vit par le rugby.
N'en déplaise à la proche cité toulousaine, hébergeant le plus grand club du monde (selon ses supporters n'ayant manifestement pas pris connaissance des deux dernières H Cup), le Stade Montois respire le rugby, et envoie du jeu. Pas toujours avec discernement, parfois avec l'à propos d'un trois quart écossais, à l'occasion de l'en-but, au mépris de la prudence élémentaire du rugby moderne. Bien loin des standards de jeu édictés par les pères la prudence, et autre ambassadeurs du realrugby à lunette ronde. Il y a plus que la distance kilométrique entre Mont de Marsan et Toulon, où le référenciel est le même, sauf qu'il se rapporte au jeu sur le Mount, quand la rade le conjugue uniquement au combat.
Oui, Mont de Marsan, c'est le retour du jeu, d'une culture de rugby ancestrale, qui sent la terre et la mémoire de mythiques envolées. Ici, la maire de la ville, outre le fait qu'elle soit une incongruité politique, en étant une des rares élues du Modem moribond dans une terre de gauche convaincue, fut soigneur (soigneuse?) du club pendant de nombreuses années, apportant l'éponge magique aux joueurs laissés sur le flanc par une mêlée trop mouvementée. Une maire que l'on voit a la buvette du stade a la mi temps bien évidemment.
Il y a aussi un coté folklorique, à l'heure où le rugby devient de plus en plus médiatique et porteur économique, de voir cette revivance d'un bastion que l'on pensait condamner à la seconde zone, au purgatoire des oubliés, où végètent Lourdes où le grand Beziers. Un folklore dans la région partagé, où l'Aquitaine comptera la saison prochaine 5 clubs en top 14, dont un seul, l'UBB, dans une ville de grande taille. Au mépris des réalités économiques, le rugby y prospère encore, rappelant ce sport à ces origines amateurs. Ici, chaque dimanche, chaque village voit son équipe jouer un match, qui dans les petits niveaux prennent vite des airs de derby. La passion ovale coule dans les veines landaises.
De passion dont le Stade Montois s'est longtemps nourri. Passion pour le jeu, passion de vie jusqu'à l'excès. Excès qui entraina notamment Guy Boniface à passer la nuit dans les locaux de la police londonienne dans les années 60 lors d'une troisième mi-temps d'alors. Passion excessive lorsqu'il trouva la mort après une de ces réjouissances en 1968.

Les frères Boniface dans leur célèbre numéro de duettistes

Boniface, les frères, Guy et André, le teigneux demi et le talentueux centre, la légende locale, mais aussi légende du rugby tout court. Légende trouvant sa consécration en 1963 pour le seul titre du club lors d'une petite finale face au grand rival Dax remportée 6 a 3. Il n'aura fallu alors que 4 tentatives pour brandir le bouclier que Clermont mettra 11 finales à soulever. Une consécration pour le jeu, du rugby d'antan. Par André Boniface, qui restera peut être le plus grand centre français de l'histoire (à moins que Maxime Mermoz n'arrive a garder ses chevilles intactes ou que Fabien Estebanez ne soit génétiquement modifié), que Yannick Jauzion ne parvint a égaler le niveau que depuis la saison dernière, son niveau actuel s'entend, par André Boniface donc, le jeu de centre trouva une élégance et une créativité jamais égalée par les perces murailles actuels, avec une intelligence de jeu tranchant avec la monomanie rectiligne d'un Florian Fritz, David Marty ou autre Mathieu Bastareaud. Une histoire du jeu avec une majuscule, celui ou le résultat compte moins que la manière. On peut encore, en tendant l'oreille vers la tribune d'honneur du stade Guy Boniface, entendre la mélodieuse rocailleuse voix d'André Boniface, pester contre l'arbitrage, où un surnombre envolé. Défense d'ailleurs de le contredire, au risque d'être soi même la cible de sa vindicte, que l'on soit président du club ou maire de la ville n'y change rien.
Un brin de folie dans ce rugby tristounet, et cela fait du bien. Ce n'est pas un hasard si les plus grands équilibristes fidjiens s'y sont succédés, de la légende vivante Serevi au récent prodige et transfuge toulousain Matanavu, capable de passer une défense en revue, d'offrir au plaqueur une patte d'oie narquoise avant d'aplatir, et de manquer le plaquage le plus élémentaire. Une caractéristique qui rendrait jaloux Aurélien Rougerie qui ne partage de l'esprit fidjien que le plaquage de rotofil fatigué. Le petit prince (Thomas Castaignède) a la carrière tronquée, avant de faire ses gamme a Toulouse y est né, apprenant sans doute au berceau, de son père l'art du cadrage débordement, et le vice aussi.
Car si la parole est au jeu, ce n'est pas exempt de malice, voire donc de vice ici. Les avants maitrisent l'art de la mêlée tournée, et entrainés par un Marc Dal Maso, grand talonneur international avec la dose de tricherie sans laquelle un avant ne serait pas vraiment français, l'équipe ne manque pas de la roublardise sans laquelle le rugby ne serait qu'un sport. Une équipe et un pays, où la roublardise est un don transmis de génération en génération comme l'illustre les Dourthe chez les voisins/ennemis dacquois, où les plus petits sont souvent les meilleurs à ce jeu. Rugby d'antan on vous dit. Maitrise du jeu, et aussi des fondamentaux donc, si chers aux commentateurs chevronnés. Une équipe dont Pierre Salviac aurait surement dit avec sa légendaire élégance qu'elle fait plus de passes qu'une prostituée Porte de Versailles lors de la foire de Paris.
La remontée du Stade Montois ne marquera pas un retour du jeu libéré, mais doit se voir plus comme une résurgence d'un temps où les passe croisées n'étaient pas téléphonées et les phases de jeu programmées sur 10 temps de jeu, et où la chistera n'entrainait pas une soufflante des actionnaires frileux. Face aux gros du Top 14 aux budgets stéroïdés, le club devrait sans doute piétiner, se faire broyer par des packs expérimentés . Mais comme Bègles cette année l'a prouvé, ce n'est que par le jeu, par cette identité préservée que le club pourra un peu espérer, sans pression, comme avant, le ballon virevoltant. La présence de ce club au plus haut niveau est une anomalie, là où beaucoup parlent budget et sérieux, ici on parle jeu, sans se renier. Une anomalie qui rappelle cependant qu'au delà de la popularité, de l'agglomération des clubs dans les foyers de population à haute densité, le rugby vit dans les campagnes, là où l'on parle avec l'accent, et où dans chaque village, la terre est labourée chaque dimanche sur les terrains de rugby.