Secret story vient de reprendre et les analystes de la télé-réalité reprennent du service...
Je vous propose cet article que j'ai écrit pour leplus du Nouvel Obs
Il y a un peu plus de dix ans, je proposais à un grand éditeur parisien un livre sur la télé-réalité. Sa réponse fut sans appel : "c’est un phénomène passager. Dans quelque temps, cela n’intéressera plus personne." Heureusement, une petite maison d'édition, moins solide mais plus au fait de l’évolution de la société, me fit confiance et publia "L’Empire du loft", qui, depuis, a fait l’objet d’une deuxième édition [1].
Force est de constater, en effet, que le "phénomène passager" s’est installé dans le paysage audiovisuel mondial et que, malgré sa mort annoncée chaque année, il reste un sujet de discussion récurrent et une opération financière juteuse pour les chaînes qui le font vivre. Pour preuve, "Secret story", qui démarre ce vendredi soir sur TF1, qui en est aujourd’hui à sa sixième saison.
Plus réel que n’importe quel genre télévisuel
Le succès de la "télé-réalité" fut d’abord celui d’un nom. Dans le contexte de l’après-Timisoara, où les images d’une dizaine de corps autopsiés avaient été présentées comme un "charnier" prouvant la barbarie du dictateur communiste Ceauscescu, dans le contexte de l’après-Guerre du Golfe, dont Baudrillard, déçu par ce qu’en avait montré la télévision, soutint qu’elle n’avait pas eu lieu [2], la pseudo-direct du Loft apparut comme plus réel que n’importe quel genre télévisuel.
Daniel Schneidermann alla jusqu’à écrire dans "Le Monde" que c’était le meilleur "documentaire" que l’on ait fait sur les jeunes ! On n’en est plus là. Heureusement. Il n’y a plus grand monde, je crois, pour soutenir une telle position. Le "Soyez vous-même !" de Loft story (qui fleure bon la sagesse antique !) a été recouvert par le mot d’ordre de "Secret Story", "Méfiez-vous des apparences".
Jeu de rôle
En sorte qu’il ne reste plus de la télé-réalité que le nom. "Secret Story" est plus que tout autre programme classé sous cette étiquette un jeu de rôle. Loin d’être le narrateur de sa propre histoire, chaque candidat est soumis aux décisions narratives de "la voix", qui organise le récit à sa guise, en fonction des attentes du téléspectateur ou des surprises qu’on lui réserve pour le retenir devant l’écran.
L’un des procédés narratifs les plus utilisés est vieux comme le scénario hollywoodien ou, plus exactement, comme les tragédies du XVIIe siècle. Il s’agit de placer les candidats devant des situations "cornéliennes", des "dilemmes", qui provoquent des conflits internes. Certes on n’hésite plus entre "venger un père, et perdre une maîtresse", mais le principe du jeu est le même : il faut, par exemple, dire à une "locataire de la maison" qu’on l’aime alors qu'il n’en est rien, sous peine de faire perdre de l’argent à son équipe.
Choisir entre l’estime de soi et les intérêts du groupe
Sans cesse, les candidats ont à choisir entre une conduite personnelle morale et le bien-être de leur équipe.
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[1] L’Empire du loft, La Dispute, 2002, puis L’Empire du loft (la suite), 2007.
[2] Jean Baudrillard, La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu, Galilée, 1991.