Depuis plusieurs mois, le tarif d’achat de l’électricité fournie par les producteurs d’énergie solaire n’a pas été homologué par les ministres en charge de l’économie et de l’énergie. Vous avez été fort nombreux à me demander quelle en est la conséquence pour le niveau du tarif d’achat ? Voici quelques éléments de réponse personnelle.
Résumé
La question qui m’est souvent posée depuis plusieurs semaines est la suivante : dès lors que le niveau du tarif d’achat fixé par la Commission de régulation de l’énergie n’a pas été homologué par les ministres en charge de l’économie et de l’énergie, peut-on en déduire que le tarif d’achat est resté inchangé depuis décembre 2011 ?
1. A mon sens, seuls les ministres chargés de l’économie et de l’énergie peuvent fixer le niveau du tarif d’achat et la Commission de régulation de l’énergie n’a qu’un simple pouvoir de consultation. Dès lors, la proposition tarifaire de la Commission de régulation de l’énergie ne saurait, à mon sens, être, seule, régulièrement opposée aux demandeurs d’un contrat d’achat.
2. Toutefois, force est de constater que l’Etat considère pouvoir valider rétroactivement le tarif proposé par la CRE au moyen d’un arrêté d’homologation. Ce qu’il a déjà fait par un arrêté du 28 décembre 2011.
A titre liminaire, il convient de bien préciser que les développements qui suivent ne sont qu’une analyse personnelle et succincte des textes applicables à la définition des conditions d’achat de l’électricité solaire par les autorités en charge de l’obligation d’achat. A ce jour, la position de l’administration n’est pas connue, a fortiori depuis l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement, le 15 mai 2012.
Par voie de conséquence, mon analyse résumée ci-après n’est bien entendu pas suffisante pour fonder une quelconque stratégie d’entreprise. Il appartient aux producteurs et à leurs représentant d’agir auprès des autorités administratives compétentes pour obtenir une clarification, après consultation de leurs juristes et avocats.
En toute hypothèse, cette situation de flou à laquelle les producteurs d’énergie solaire sont confrontés est une nouvelle démonstration du caractère inacceptable du dispositif tarifaire mis en place en mars 2011, créateur d’une complexité et d’une incertitude juridiques fort préjudiciables au développement de cette énergie renouvelable.
Comment est fixé le tarif d’achat de l’électricité produite par les installations solaires depuis mars 2011 ?
Il convient de rappeler que les conditions d’achat de l’électricité solaire sont définies à l’article L.314-4 du code de l’énergie, dans sa rédaction codifiée issue de la loi du 10 février 2000, lequel dispose :
« Les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées à l'article L. 314-1, sont précisées par voie réglementaire.
Pour les installations mentionnées au 7° du même article, les ministres chargés de l'économie, de l'énergie, de l'agriculture et de l'outre-mer arrêtent, dans des conditions précisées par voie réglementaire et après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat à un prix qui ne peut être inférieur au prix de vente moyen de l'électricité issu du dernier appel d'offres biomasse national et qui tient compte des coûts évités par rapport à l'utilisation d'énergies fossiles ».
Aux termes de cet article, les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l’économie et de l’énergie fixent les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations solaires sont elles-mêmes fixées par voie réglementaire. En clair, le législateur a renvoyé aux ministres précités le soin d’élaborer, notamment, la méthode de calcul du tarif d’achat ; sur avis de la Commission de régulation de l’énergie.
Les conditions d’achat de l’électricité solaire ont été fixées par un décret n°2001-410 du 10 mai 2001 « relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat n’apporte pas d’éléments de précision ».
L’article 8 de ce décret dispose :
« Des arrêtés des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie et après avis de la Commission de régulation de l'énergie, fixent les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations bénéficiant de l'obligation d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée. Ces conditions d'achat précisent notamment :
1° En tant que de besoin, les conditions relatives à la fourniture de l'électricité par le producteur ;
2° Les tarifs d'achat de l'électricité ;
3° La durée du contrat ;
4° Les exigences techniques et financières à satisfaire pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat. Ces exigences peuvent notamment inclure la fourniture de documents attestant de la faisabilité économique du projet, la fourniture d'éléments attestant de l'impact environnemental du projet ainsi que le respect de critères techniques ou architecturaux de réalisation du projet.
A compter de la date à laquelle la Commission de régulation de l'énergie a été saisie d'un projet d'arrêté par les ministres, elle dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis, délai que les ministres peuvent porter à deux mois à la demande de la commission. Passé ce délai, l'avis est réputé donné. L'avis de la Commission de régulation de l'énergie est publié au Journal officiel de la République française en même temps que l'arrêté.
Aux termes de cet article, le tarif d’achat est fixé par arrêté ministériel. Force est de constater que ce décret, relatif aux conditions d’achat de l’électricité solaire n’a pas prévu que le tarif d’achat soit fixé par la Commission de régulation, laquelle est investie sur ce point d’un pouvoir d’avis et non de décision.
Concrètement, aux termes du décret n°2001-410 du 10 mai 2001, le tarif d’achat de l’électricité solaire devrait être fixé par les ministres de l’économie et de l’énergie sur avis de la CRE. Mais ce sont bien les ministres qui prennent la décision de modifier le niveau du tarif d’achat, pas la CRE. Au demeurant, à lire les dispositions de l’article L134-1 du code de l’énergie, la CRE ne semble pas investie du pouvoir de fixer seule les tarifs d’achat ni même de s’attribuer cette compétence en fixant les conditions d’achat d’énergie renouvelable.
Pourtant, à la suite de ce décret n°2001-410 du 10 mai 2001, les ministres en charge de l’économie et de l’énergie ont mis en place un dispositif plus complexe : la CRE propose un tarif, les ministres l’homologuent, la CRE rend public le nouveau tarif. Les producteurs sont donc confrontés à une incertitude relative au niveau du tarif d’achat dans l’intervalle séparant la délibération de la CRE sur les valeurs de calcul du tarif et la publication au JO de l’arrêté ministériel d’homologation desdites valeurs.
C’est ce que prévoit en effet l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 (JORF n°0054 du 5 mars 2011 page 4218) :
L’article 5 de cet arrêté est relatif aux conditions de définition du niveau du tarif d’achat applicable
« La Commission de régulation de l'énergie transmet aux ministres en charge de l'énergie et de l'économie, dans un délai de sept jours à compter de la réception des bilans mentionnés à l'article 4, les valeurs des coefficients SN et VN résultant de l'application de l'annexe 1 du présent arrêté, l'indice N représentant le trimestre sur lequel portent les bilans, ainsi que les données permettant de déterminer ces valeurs. Les ministres homologuent ces coefficients par arrêté.
La Commission de régulation de l'énergie publie alors en ligne sur son site internet les valeurs des coefficients ainsi homologués ainsi que la valeur des tarifs T1 à T4 résultant de l'application de l'annexe 1 suivant les différentes valeurs possibles des coefficients D et E. Elle tient à jour sur son site internet un tableau représentant l'ensemble des coefficients déjà arrêtés. »
Ce dispositif a fait naître un doute : qui décide du tarif ? Celui qui propose le tarif ou celui qui homologue ? A mon sens et aux termes des textes précédents, ce sont bien les ministres qui décident du tarif sur avis de la CRE.
La validation rétroactive du tarif d’achat proposé par la Commission de régulation de l’énergie
Depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté du 4 mars 2011, la Commission de régulation a publié plusieurs délibérations aux termes desquelles elle a communiqué au Gouvernement les éléments de fixation du tarif d’achat de l’électricité solaire. Ces délibérations sont publiées sur le site internet de la CRE.
Délibération de la CRE du 21 juillet 2011 portant communication au Gouvernement des valeurs des coefficients S1 et V1 définis dans l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil
http://www.cre.fr/documents/deliberations/communication/tarifs-photovoltaique-du-1er-juillet-au-30-septembre-2011
Délibération de la CRE du 17 janvier 2012 portant communication au Gouvernement des valeurs des coefficients S3 et V3 définis dans l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil
http://www.cre.fr/documents/deliberations/communication/tarifs-photovoltaique
Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 19 avril 2012 portant communication au Gouvernement des valeurs des coefficients S4 et V4 définis dans l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil
http://www.cre.fr/documents/deliberations/communication/valeurs-des-coefficients-s4-et-v4
Cette dernière délibération du 19 avril 2012 précise bien qu’il n’appartient pas à la CRE mais aux ministres compétents de fixer le tarif d’achat :
« Le niveau des tarifs T1 à T4, définis dans l’arrêté du 4 mars 2011, en vigueur pour la période du 1er avril au 30 juin 2012 sera fixé par un arrêté d’homologation pris par les ministres en charge de l’économie et de l’énergie. Dans l’attente de leur publication, la CRE en informera les porteurs de projet par l’intermédiaire de son site Internet. »
Pour l’heure, les ministres en charge de l’économie et de l’énergie n’ont publié au JO qu’un seul arrêté portant homologation des valeurs tarifaires communiquées par la Commission de régulation de l’énergie. Il s’agit de l’arrêté du 28 décembre 2011 homologuant les coefficients SN et VN résultant de l'application de l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 »
Cet arrêté fixe donc les tarifs d’achat applicables pour la période courant du mois de mars au mois de décembre 2011.
Ainsi, force est de constater que les ministres compétents, ont, par arrêté du 28 décembre 2011, rétroactivement fixé le tarif d’achat pour les mois de mars à décembre 2011 en validant a posteriori les valeurs communiquées par la CRE.
Une fois de plus, la rétroactivité est adoptée par l’Etat comme un instrument de régulation de la filière solaire.
Dans la pratique, un producteur pourrait donc contester que lui soit opposé, lors de la signature de son contrat d’achat, un tarif qui n’aurait pas encore été homologué par les ministres compétents mais qui aurait uniquement été proposé par la CRE.
Reste qu’en cas de contentieux, l’hypothèse d’une validation rétroactive du tarif n’est pas à écarter. La contestation serait alors de peu d’intérêt. Il serait alors nécessaire de contester, d'une part, le droit pour l'Etat de modifier rétroactivement un élément règlementaire et contractuel, d'autre part la légalité même du dispositif d’homologation qui, on l’a vu, n’est pas acquise.
Toutefois, l’objet du présent billet n’est pas d’étudier la faisabilité ni même d’encourager à aucun moment les producteurs à un quelconque contentieux. Je ne peux que les inviter à consulter leurs juristes et avocats sur ce point, au cas par cas.