Sur La route

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Ca y est ! Après moult projets avortés, un nombre conséquent de réalisateurs qui se sont cassé les dents, et pas des moindres (Brando, Hopper, Coppola, Van Sant pour ne citer qu’eux), voici l’adaptation cinématographique du célèbre roman de Jack Kerouac qui passe enfin du statut d’arlésienne à celui d’objet voulu par l’auteur lui-même. Et c’est Walter Salles qui a récupéré le bébé, pour du bon et aussi du con.

L’idée d’engager ce réalisateur n’était pas si mauvaise, au premier abord, car il a admis être un grand admirateur de ce livre qui circulait illégalement dans sa jeunesse sous la dictature brésilienne. Voici un bon point de sincérité qui est donné. Surtout, Walter Salles avait su faire preuve de compétence dans le traitement du road movie avec ses Carnets de voyage. Il reprend, ici, ses habitudes. Le cinéaste sud-américain sait filmer la route, c’est indéniable. Sur La route reprend avec bonheur tout un imaginaire de représentation qui fait la force du genre. Les cadres sont justes, l’échelle des plans est cohérente et les différents rapports de l’image sont adéquats. Cette belle machinerie permet ainsi de représenter correctement un homme inscrit dans son espace et on n’en attendait pas moins de la part de ce type de film. De plus, le réalisateur n’oublie d’œuvrer pour une grande variété des paysages et un jeu sur la vitesse qui retranscrivent tous deux la philosophie essentielle dégagée par ces héros américains. Il s’agit, bien entendu, de la notion de mouvement, encore et toujours, pierre angulaire de la civilisation américaine qui a soif de vie dans ce pays alors en pleine évolution. Elle est parfaitement retranscrite et permet au métrage de prendre en compte sa propre identité.

Mieux encore, le réalisateur propose un petit plus non négligeable qui fait de Sur La route un objet minutieux et réfléchi. Walter Salles offre en fait une conscience cinématographique et géographique palpable qui se croise. L’espace est, en effet, double. Il fait d’abord partie intégrante d’un montage mental où le spectateur prend conscience du poids qu’il a sur la construction d’une identité ou d’une œuvre quand l’écriture d’un Sal brouillon est mise en parallèle avec une route droite et ouverte sur l’horizon mais vide, fixe et finalement sans inspiration. Ce plan, peut-être le plus important du film, et la logique d’assemblage des images qui va avec, nous parle d’un arrêt mais surtout d’un futur possible où le succès sera au rendez-vous. L’Amérique ne peut pas oublier les enfants qu’elle a enfantés et qui lui ont bien rendu. Il y a alors le cheminement avec l’autre plan symptomatique sur cette carte retraçant le trajet du héros. La géographie pure prend le relais de l’imaginaire, se conjugue à lui, pour finalement accoucher du livre. Cela indique bien que cette plongée dans l’Ouest, le vrai, est l’ultime donnée américaine et permet à chacun de se réaliser. Sur La route est une réussite à ce niveau de civilisation. C’est son plus gros avantage.

Hélas, Walter Salles a un énorme défaut. Il est brésilien. Il ne faut pas voir de jugement de valeur dans cette affirmation seulement il lui manque une américanité certaine pour pouvoir faire du film un objet aux enjeux majeurs. Sur La route, et c’est son défaut principal, n’arrive pas à s’affranchir de son matériau de base. Le film n’est qu’une simple adaptation du livre, un lignage plus qu’une plongée, sans point de vue, sans prise de recul, sans quelconque modernité, comme si tout été resté bloqué dans les années 1950. Pourtant, la situation actuelle américaine (la crise et compagnie…) permettait de faire rebondir ces enjeux ancestraux sur l’autel d’une contemporanéité bienvenue et consciencieuse qui aurait su extrapoler les portées politiques et sociales de l’œuvre de Jack Kerouac. Bien sûr, le cinéaste sait ce qu’il faut faire pour réaliser un bon road movie à la mode US mais les thématiques sont déjà présentes dans le livre, non dans les idées que Walter Salles aurait apporter. Sur La route apparaît alors comme une œuvre de pure commande sans identité profonde, même si présente, malgré sa bonne volonté de départ et la sincérité du cinéaste.

C’est dommage car la forme, au-delà de sa mise en scène, tient le coup. La musique jazzy est toujours présente, que ce soit dans la bande-son globale ou dans des plans musicaux généralement survoltés qu’ils représentent musiciens ou danseurs. Quant aux acteurs, ils sont plutôt justes, notamment grâce à un bon travail sur la voix et à une représentation sans trop de tabou de leurs corps. Bien entendu, on sent bien une volonté de ne pas trop choquer le spectateur tant le bouquin faisait l’apologie des physiques en folie et le film devait s’ouvrir à un maximum de personnes pour un maximum de recettes potentielles, c’est évident. Un livre avec une telle renommée internationale ne peut pas se permettre d’égarer la moindre audience. Néanmoins, cela aurait pu être pire car le pari n’était pas gagné d’avance, notamment en terme de distribution de comédiens quand on pense aux différents imaginaires de chaque lecture du livre. Si Sam Riley s’en sort bien en Sal Paradise, le personnage de Dean Moriarty était le plus casse-gueule. Garrett Hedlund paraît au premier abord trop lisse, trop jeune, trop propre, trop parfait pour prendre le rôle du génial et complètement taré Moriarty. Le reste du casting, dans sa galerie de portraits, est plutôt sympathique, avec mention spéciale à Viggo Mortensen, toujours aussi classe, et à Steve Buscemi, toujours aussi bizarre. Et puis, il y a le cas Kristen Stewart qui, comme son acolyte Robert Pattinson et Cosmopolis, essaie de déchirer l’étiquette twilightienne. Elle n’y arrive que partiellement, la faute à un traitement de personnage assez inconsistant, plutôt mal écrit car souvent dans le rôle de la greluche et à la piètre direction d’acteur de Walter Salles qui n’arrive pas à magnifier un jeu trop monolithique. Après les Runaways et le futur Blanche Neige qui se voudra bourrin, l’actrice attend toujours son David Cronenberg.

Derrière une dualité qui oscille entre l’intéressant et le moins convainquant, Sur La route est surtout loupé dans sa structure même, dans son corps. Les défauts présentés dans le film viennent, paradoxalement, du livre. Il faut dire qu’adapter ce pavé n’était pas une mince affaire tant il propose une multitude de pistes narratives. Comme tout travail d’adaptation, le métrage a dû en élaguer certaines, raccourcir d’autres, réécrire quelques-unes. Mais plus que jamais, le scénario dans sa globalité n’arrive pas à la hauteur du roman. Une légère sensation de vide vient alors irriguer le film. Il existe comme une impression de n’être qu’une suite d’événements sans queue ni tête. A ce titre, certaines ellipses sont mal travaillées et donnent un aspect quelque peu bordélique et sans linéarité. De plus, cette écriture sommaire ne permet pas de rentrer profondément dans le corps et l’esprit des personnages. Ils ne sont ni détestables, ni empathiques, c’est juste qu’on s’en fout un peu. Livre réputé inadaptable, on comprend finalement bien pourquoi devant le résultat final.

Sur La route n’est pas si déshonorant que cela, notamment grâce à sa compréhension du road movie. Et malgré des logiques d’écriture inhérentes à ce type de production, le film se suit bien malgré une longueur (plus de 2h20) qui aurait pu être rédhibitoire. Néanmoins Sur La route tient davantage du divertissement que l’objet culte auquel il pouvait prétendre.