Trois mois que ça dure ! trois mois que le gouvernement de M. Charest, au Québec, se heurte (et heurte) une opposition étudiante qui refuse l'augmentation prononcée des droits d’inscription en faculté. A noter que nous sommes en Amérique du Nord et que même au Québec, les étudiants s'endettent déjà pour faire leurs études : l'augmentation des droits se rajouterait à la facture... et leur grève depuis trois mois, qui signifie que l'année est fichue, signifie aussi que leur endettement de cette année a été fait en pure perte : ceci illustre combien ce mouvement est loin d'être anodin. Surtout, il dépasse la seule question étudiante. Au-delà du seul Québec, quelle signification géopolitique a ce mouvement ? Est-ce vraiment une "révolution érable" ?
1/ Le plus intéressant teint tout d’abord à un fait : on ne parle plus du Québec sous l'éternel angle souverainiste (Acadie, traité de Paris, révolution des berceaux, vive le Québec libre, francophones contre anglophones, référendums), cette grille de lecture avec laquelle on abordait systématiquement la belle province. Voici subitement quelque chose de nouveau qui nous force à poser de nouvelles questions : enfin ! voici ce qui va changer nos regards français....
2/ Sur le déclenchement de la crise : je vois beaucoup de commentaires qui donnent une analyse politique, et je n'en suis pas convaincu. En gros, l'opposition libéral contre socio me semble erronée. De même, les chants de louange à l’altermondialisme et autres "nouvelle gauche militante et politisée" me semblent tirés par les cheveux. Une part de vrai, mais qui ne décrit pas la totalité du processus, n'en déplaisent aux réciteurs de catéchisme.
3/ Que voit-on en effet ? un gouvernement qui prend une décision et qui s'enferre, sans voir que son maintien (son entêtement) entretient et radicalise l'opposition. Autrement dit, une vision ancienne du gouvernement, qui ne prend pas en compte les nouvelles conditions. Ces conditions sont aujourd’hui chaotiques, on devrait le savoir depuis que Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu à Sidi Bouzid. Autrement dit, dans l'environnement incertain qui est désormais le nôtre, un rien peut déclencher des incendies énormes, surtout si on persiste dans son opinion, au lieu de s'apercevoir vite que quelque chose à changé.
4/ Qu’est-ce qui a changé au Québec ? justement le fait que le facteur politique déterminant n'est plus la question souverainiste. Et surtout, le fait que les réseaux sociaux permettent une agrégation extrêmement rapide des mobilisations : en ce sens, les étudiants québecois ont réussi très vite à agglomérer leur révolte et à la cristalliser, ce que le gouvernement n'a pas compris. Cela renvoie aussi bien aux révoltes arabes, mais aussi aux différents mouvements de révolte que nous avons évoqué l'autre jour au passionnant colloque sur "Se révolter au 21ème siècle" (Participation et progrès et École de Guerre économique), comme les indignés espagnols ou grecs, Occupy Wall Street ou la révolte des tentes israélienne.
5/ Car voici le dernier facteur qui me semble structurant : celui du choc des générations, et la remise en cause par les millenials des avantages acquis des baby-boomers, comme nous l'a expliqué Amy Greene au sujet des États-Unis : en ce sens, la révolte a des points communs avec celle de 1968. Sauf que cette dernière s’attardait aux mœurs, quand la révolte actuelle s'attarde au partage des richesses entre les générations, ce qui a une résonance nettement plus politique. En 1968, les "révoltés" mimaient la politique. Aujourd’hui, ils soulèvent de vraies questions politiques, sans forcément avoir le discours correspondant (ce qui me fait d'ailleurs dire que la vision alter est justement anachronique, car elle se trompe de diagnostic : la question n'est pas droite contre gauche, qui est une lecture 20° siècle, mais autre chose de plus contemporain).
Je crains d'être un peu confus (avantage et inconvénient des blogs : ils servent à accoucher des idées, les formaliser par écrit, sans que ce soit immédiatement parfaitement abouti : cela requiert donc votre indulgence). En tous cas, ce mouvement québecois est à suivre avec intérêt.
O. Kempf