Georges Didi-Huberman, Ecorces, Paris, 2012, Editions de Minuit, 74 p.
Les camps de concentration (Konzentrationslager) et d'extermination (Vernichtungslager) sont devenus lieux de mémoire. On les visite. Le tourisme s'en est emparé. Musée aussi, lieu de culture.
Birkenhau, a été décrété lieu central de l'extermination par l'administration nazie. Georges Didi-Huberman est allé à Birkenau (dit aussi Auschwitz II), lieu dont le nom évoque les bouleaux (die Birken), arbres légendaires de l'Est de l'Europe, arbres chers aux romantiques et aux amoureux. Parcourant ce lieu, appareil photo à la main, Georges Didi-Huberman dit ce qu'il y ressent, ce qu'il pense. Des membres de sa famille sont morts à Birkenau.
Le camp est aménagé pour les visiteurs, tourniquet, fléchage, sémiologie courante du tourisme. Baraquements transformés en stands commerciaux ou nationaux : "sensation pénible", note l'auteur. Le livre est parcouru par cette lancinante question : comment faut-il se souvenir ? comment éduquer ? Que disent, qu'enseignent aujourd'hui ces lieux. Quel acte de communication, d'inculcation représente une visite (il y a beaucoup de visites scolaires) ? Que disent les photographies prises par l'auteur, que peuvent-elles montrer de l'inimaginable ? Que disent les photographies d'illustration pédagogique, insérées dans des documents et exposées sur des stèles, qui participent à ce lieu de mémoire ? "Faut-il donc simplifier pour transmettre ? Faut-il enjoliver pour éduquer ?" (p. 47) : questions que doit se poser l'institution éducative avec les historiens (les manuels scolaires sont des médias redoutables) mais aussi les conservateurs de ces musées.
Georges Didi-Huberman analyse son malaise. Le lecteur n'est pas à l'aise non plus.
Penser après Auschwitz. Bien sûr. Mais on ne peut plus penser sans Auschwitz à l'horizon (cf. Adorno). Il faut penser Auschwitz. Il faut par exemple penser la corruption de la langue allemande par le nazisme quotidien que des écrivains germanophones comme Celan, Améry ou Jelinek ont prise pour cible. Il faut penser l'organisation industrielle de l'extermination, sa logistique : la "participation" des "esclaves" aux entreprises industrielles (Krupp, IG Farben, BMW, Volkswagen, etc.). Il faut penser l'ordinaire collaboration sur laquelle cette extermination et cet esclavage ont pu compter. Défi lancé à l'éducation et aux médias, loin d'être relevé.
Imre Kertész, prix Nobel de littérature, déporté à Auschwitz, met ce défi au coeur des discours et essais réunis dans L'Holocauste comme culture (Actes Sud, 2009, 277 p. ; en allemand, Die exilierte Sprache). Kertész évoque "L'angoisse de l'oubli" (p. 80) que partagent depuis toujours les survivants, ajoutant, plus loin (p. 153) que "la délivrance passe par la mémoire". Quel rôle peuvent jouer les médias dans cette mémoire ? Kertész l'évoque à propos du cinéma : il n'aime pas le film de Spielberg ("La liste de Schindler") mais salue celui de Benigni ("La vie est belle").