Il était nominé l'an dernier dans la catégorie "Molière des compagnie". Je n'avais pas pu voir ce Dom Juan au théâtre mais j'avais visionné un enregistrement vidéo parce que je me faisais un point d'honneur à connaitre le maximum possible des pièces avant de voter.
Si on avait d'ailleurs attribué en 2011 le Molière du spectateur j'aurais pu concourir avec une certaine probabilité de médaille.
Les temps changent. Il n'y a même plus de cérémonie. La compétition n'a pas eu lieu, ni en avril, ni en mai, malgré les appels des uns et des autres à l'égard des directeurs de théâtre (privé) qui ont démissionné de l'académie. Une pétition a circulé, que j'ai signée bien sur ... Il y avait sans doute des aménagements à faire mais l'absence de palmarès pénalisera la profession qui n'a pas besoin de ce coup dur là.
Bref, j'aime le théâtre et je partage cette passion avec vous. J'essaie d'avoir des choix assez larges. Je me dis parfois que les metteurs en scène manquent d'imagination en se tournant si régulièrement vers ceux qu'on appelle les classiques. Mais comment leur donner tort après avoir vu ce Dom Juan là !
On croit connaitre la pièce, souvent montée en opéra, parfois à la limite du ridicule, quand le décorateur décroche la mâchoire de la statue du commandeur, pensant l'animer avec le réalisme qui convient.
Je me suis aperçue, en suivant ce soir les dialogues, que mon niveau de connaissance se limitait au thème, à ce que je prenais pour un penchant extrême pour la séduction. En fin psychologue Molière va plus loin et mêle étroitement la comédie avec la tragédie. Son talent à faire rire n'est pas un scoop. Et pourtant je n'imaginais pas que cela puisse être si drôle.
Par le texte, avec des dialogues en vieux français très argotique et très amusant, surtout avec des comédiens qui le disent "avec l'accent" de nos campagnes. Par le jeu des comédiens, dont quelques-uns interprètent plusieurs rôles (huit pour Jacques Brucher). Par la mise en scène qui vient doper les effets comiques par exemple lorsque Don Juan, vautré sur le sofa qui occupe le centre du décor imaginé par Nicolas Sire se saisit d'un polochon comme d'un sexe gigantesque.On riait beaucoup. Mais sans oublier d'une part quelques échos qui peuvent se faire avec l'actualité politique des derniers mois quand la sexualité devient une addiction. Ni d'autre part que Don Juan est ainsi parce qu'il n'a ni foi, ni loi. Certes, les allusions sont discrètes. A Sganarelle lui demandant en qui il croit, il répond qu'il croit que 2 et 2 font 4.
L'homme ne peut aimer durablement et ne connait sans doute aucun répit : je ne peux refuser mon coeur à un beau visage qui me le demande. Tout le plaisir de l'amour est dans le changement. (...) Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre.
Don Juan est en fuite perpétuelle, incapable de se poser. Même quand sa route croise la pure Elvire. Trop faible pour contenir ses passions elle prie que le Ciel te punisse de l'outrage que tu me fais. Plus tard, et malgré les larmes, elle suppliera : coeur de pierre, il est tard, demeurez !
Dom Juan n'existerait pas s'il n'y avait pas Elvire et son pardon. On pense cette fois aux enfants rois, aux adolescents sans limites, aux adultes qu'Internet ne frustre de rien ... apparemment.
L'universalité de Molière fait mouche une fois de plus. René Loyon ne s'y est pas trompé, pour qui l’orgueilleux Dom Juan, et son inquiétant désir de toute-puissance, est certes objet de réprobation, mais, dans le même temps, la quête de vérité qu’on devine être la sienne fascine et émeut. Aujourd’hui encore il nous apparaît, à l’instar d’Hamlet, dans ses contradictions-mêmes et ses ambivalences, comme un prototype du personnage moderne et de son questionnement existentiel.
Dom Juan, de Molière, mise en scène : René Loyonavec Claire Barrabes, Clément Bresson ou Maxime Kerzanet (dans le rôle-titre), Jacques Brucher , Yedwart Ingey, Adrien Popineau et Claire Puygrenier.Décor : Nicolas SireProduction Compagnie RL en Coréalisation avec le Théâtre de l’Atalantephotographie des comédiens © Nathalie Hervieux