Il va falloir retenir que le deuxième week-end de mai la ville du Plessis-Robinson organise un Salon du Livre jeunesse grâce au dynamisme de l'équipe de la bibliothèque municipale qui a choisi de focaliser la manifestation sur ceux qu'on désigne sous le nom de "petits éditeurs".
Petits car indépendants mais offrant des catalogues de grande qualité éditoriale. Le public arriva en rangs serrés tout au long de la matinée pour discuter avec les exposants ou écouter les conférences. Il était sympathique de voir tant d'animation dans le hall de l'école Anatole France qui accueillait le Salon.
J'ai moi-même écouté deux conférences. La première sur la peur dans les albums jeunesse, par Patrick Borione, libraire spécialiste de Colibrije, ayant un catalogue de plus de 50 000 références où les collectivités peuvent largement puiser. La seconde sur la philosophie pour les enfants par Brigitte Labbe, tout aussi passionnante.La peur dans les albums peut s'aborder par diverses entrées et l'intervention de Patrick Borione incluait l'approche de la mort. Je regrette qu'il n'ait pas pensé à mettre à disposition la liste des ouvrages qu'il a cités. Je suis bien en peine d'écrire un compte-rendu qui se tienne parce que je n'ai pas pu noter ses paroles in extenso. Je retiens néanmoins un imagier de Katie Couprie et Antonin Louchard, Tout un monde, chez Magnier éditions. Les auteurs placent cote à cote, sans aucune paroles, le dessin crayonné d'un homme âgé avec une peinture de bonhomme de neige. Plus loin ils opposent une poule et trois oeufs avec un poussin et ... deux oeufs sur le plat.
Les enfants saisissent la métaphore. Il est évident que le bonhomme de neige va fondre, ce qui est une manière très concrète de leur faire comprendre que tout est amené à disparaitre un jour. Et que les oeufs constituent un repas.
Et on mangera des réglisses, premier livre écrit par Sylvia Van Ommen, chez Didier Jeunesse 2004 traite le sujet très en amont puisque les deux protagonistes sont encore enfants et s'interrogent sur le bleu du ciel.
Komako Sakaï a dessiné L'ours et le chat sauvage, pour aborder toutes les étapes du deuil. L'adaptation française de cet album écrit par Kazumi Yumoto et édité en 2009 par l'Ecole des loisirs, est signée de Florence Seyvos. Il peut être lu à partir de 4 ans mais bien au-delà de toute évidence car sa justesse et sa sensibilité sont de portée philosophique. On comprend que l'acceptation de la mort est liée à la reconnaissance et au partage de la souffrance engendrée par la perte.
C'est le même auteur, Kazumi Yumoto, qui cette fois s'adresse aux pré-adolescents avec les Amis, paru dans la collection Neuf de l'école des loisirs en 2004.Brigitte Labbe a fait ensuite une intervention remarquée par son humour et sa pratique très large de la philosophie dont elle dit qu'elle en est un peu la tarte Tatin. Elle explique que cette matière est susceptible d'humilier celui qui ne comprend pas le débat. Mais qui est aussi capable de vous propulser sur un nuage, avec le sentiment d'avoir décuplé votre intelligence.
En sortant d'un amphi animé par Michel Puech que la jeune femme décide de changer de voie, prête à diviser ses revenus par plusieurs zéros pour aider les enfants à comprendre pourquoi obéir à un chef ... ce qu'il y a après la mort ... qu'est-ce qui est juste ou pas ...
Faire de la vulgarisation, oui, mais de la "bouillie" pas question. Elle parvient à convaincre Michel Puech de la faire travailler. Le premier manuscrit autour du travail et de l'argent nécessite 6 mois de travail. Le deuxième traitera de la guerre et de la paix. Elle est partie alors à la recherche d'un éditeur, surprise d'essuyer refus sur refus.
A Toulouse, Milan accepte, à condition de faire 6 livres. Et douze ans plus tard la série en compte 40, traduits en 20 langues. La collaboration avec Michel Puech s'était achevée au 25 ème ouvrage. Elle s'est poursuivie avec un second prof. Mais il n'est pas envisagé d'aller au-delà de 50, pour éviter le risque de se recouper et de devenir trop commerciale.
Brigitte Labbe ne se satisfait pas de publier. Ce qu'elle aime par dessus tout c'est la discussion qui fait sauter les a priori. Elle a l'art de poser les bonnes questions. Préfère-t-on la générosité (personnelle et aléatoire) ou la solidarité (égalitaire) ? Face à un problème, invoquera-ton le danger (et dans ce cas on règle le problème) ou le risque (en invoquant des statistiques et alors on pourrait décider de sursoir) ?
L'auditoire est convaincu qu'il faut incroyablement être vigilant sur les mots qu'on emploie. Brigitte Labbe va plus loin encore en nous défiant : je ne respecte pas la loi et pourtant je n'ai jamais eu de contravention, ni effectué de séjour en prison. Comment ai-je fait ?
Parce qu'il ne faut pas confondre respect et obéissance. Le mot "respect" est employé à tors et à travers. On l'utilise pour dire bonjour. Et quand un mot perd son sens c'est tout ce qu'il représente qui n'a plus de sens.
Elle enchaine sur la peur en soulignant qu'elle est salutaire. Nous sommes des enfants de la peur. C'est elle qui nous aura protégé des animaux sauvages en poussant les premiers hommes à rentrer dès la tombée de la nuit.
La question de la richesse n'est pas évidente. Notre richesse personnelle est multipliée par la richesse collective. Nous "possédons" des bibliothèques, nous pouvons aller nager touts les jours en piscine, nous promener sur des trottoirs avec une poussette ... ce qui n'est pas le cas dans tous les pays.
Elle travaille depuis plusieurs années avec des classes de SEGPA, avec des jeunes de tous bords, des habitants des cités de Gennevilliers. Sa seule restriction concerne l'âge des enfants. Elle dit ne pas savoir avec les moins de 8 ans. D'ailleurs le lecteur "imaginaire" qui est destinataire de ses livres a neuf ans.
Elle nous rappelle le parcours du père de la philosophie, Socrate. Il est allé à l'école, a suivi son père tailleur de pierres, artisan mais pas artiste, qui reproduit des statues à l'infini. Le travail l'ennuie. Il aurait préféré faire des statues originales mais il n'avait pas de don pour cela.
Un jour qu'il se promenait dans Athènes, il surprend des discussions entre des sophistes. Il sent qu'il a trouvé sa voie. A l'instar de sa mère, sage femme qui pratiquait les accouchements il va s'employer à poser des questions pour faire surgir la vérité. Mais il déplait aux dirigeants qui préfèrent diriger un troupeau de moutons que de gens libres. sa fin sera tragique.Brigitte Labbe pratique le détournement. L'important demeure l'échange. Peu importe le sujet pourvu qu'on soit dans l'écoute. Pour cela il faut d'abord casser les présupposés, puis creuser, établir un climat de confiance qui permettra de restaurer l'estime de soi. Elle ne relie pas les débats à ses livres, trop habituée à des populations qui ne lisent pas.
Elle apprécie particulièrement le public d'enfants, sachant qu'avec eux il ne faut pas plus de deux minutes pour être dans l'authentique, alors qu'avec les adultes il faut plus de temps et que parfois on n'atteint jamais cet état.
Nous l'écouterions des heures durant, mais il faut la quitter. Sur une ultime anecdote. A une petite fille lui disant sa fierté d'être musulmane elle lui propose de se poser toute sa vie la question suivante : tu es musulmane ou tu es enfant de musulmane ?
Des ateliers étaient programmés tout au long de la journée, tous en accès libre, mais uniquement sur réservation. Un gouter philo, animé par Brigitte Labbe devait cloturer la journée.
Rendez-vous l'an prochain, second week-end de mai, même lieu.
Colibrije : 2-20 avenue Salvador Allende ZI Mozinor Lot 11B - 93100 Montreuil - Tel : 01 48 58 07 17- Fax : 01 48 58 13 14Accès : Bus 121 ou 102 arrêt Edouard BranlyDu lundi au vendredi de 9h à 13h et de 14h à 18h