Génération Y : les 18-30 ans réinventent le boulot et leur vie perso
(reprise de l’article de Elle, Sophie de Chivré, le 17/01/2012)
Désormais, une nouvelle appellation est entrée dans le langage courant : la génération Y. Composée de jeunes âgés de 18 à 30 ans, elle est connectée toute la journée sur Internet et ses représentants les plus avisés sont devenus des experts de Facebook ou encore Twitter. Côté boulot, les « Y » sont surdiplômés, ont cumulé les stages et parfois dit bye bye depuis longtemps à l’idée d’obtenir un jour un CDI. A l’occasion de la sortie de leur livre « La génération Y par elle-même », nous avons rencontré les journalistes Myriam Levain, 29 ans, et Julia Tissier, 27 ans. En dignes porte-paroles de cette nouvelle jeunesse, elles ont décidé de mettre les points sur les « i » et de nous expliquer qui sont les « Y ». Interview.
ELLE.fr : « Ils sont individualistes », « ils sont dopés au porno », « ils ne croient plus en rien » : c’est pour combattre ces a priori sur la génération Y que vous avez décidé d’écrire votre livre ?
Myriam Levain : Il y a un vrai décalage entre les reproches qu’on peut formuler à l’encontre des 18-30 ans et la réalité. On n’arrête pas de dire que les jeunes adultes manquent de motivation dans leur travail, sont incultes, n’écrivent qu’en langage texto… Bref, quand on considère toutes ces idées reçues, nous nous sentons vraiment dévalorisés. L’enjeu de notre livre, « La génération Y par elle-même », est de donner une vision plus juste de la jeunesse. Par exemple, nous avons interviewé des experts bien implantés dans leur domaine de réflexion, mais également de jeunes spécialistes qu’on n’entend pratiquement jamais, comme la sociologue Emilie Coutant ou Julien Bayou, à l’origine des collectifs Génération précaire, Sauvons les riches et Jeudi noir.
Julia Tissier : Ce livre est une façon de reprendre la parole, de décrire ce que nous vivons. Bien sûr, il n’existe pas une seule jeunesse et nous sommes tous très différents. Mais suite à nos observations, nous pouvons affirmer que les 18-30 ans ont des caractéristiques communes très fortes, liées entre autres aux mutations sociales. Nous nous sommes rendues compte que certaines de nos névroses personnelles étaient générationnelles ! Chaque génération vit des choses très marquantes : en ce qui concerne les « Y », c’est le fait d’avoir grandi en même temps que le développement d’Internet, de devoir obligatoirement composer avec la précarité…
ELLE.fr : Les 18-30 ans ont été élevés sur fond de crise, tout en sachant qu’ils seront irrémédiablement confrontés au chômage et qu’il n’y aura pas de sexualité sans Sida. Comment faire pour être optimiste sur son avenir ?
Julia Tissier : Ce n’est pas parce que c’est difficile pour nous que tout est noir ! A propos du travail, nous avons développé une hypothèse concernant la génération Y : ces jeunes savent que ça va être dur de s’insérer sur le marché de l’emploi, mais ils sont tellement confrontés à la précarité qu’ils ont fini par savoir la contourner, contrairement à leurs aînés. La génération X - qui correspond actuellement aux quadragénaires - a cru qu’elle allait trouver du travail sans problème et s’est pris la crise et le chômage en pleine face. La grande force des Y ? Nous avons su dès le début que nous allions en baver et nous nous sommes adaptés.
ELLE.fr : Un des points communs des jeunes de la génération Y est donc d’avoir renouvelé la façon d’envisager la vie active…
Julia Tissier : La génération Y, en général, a compris très vite qu’il fallait faire de la précarité un atout. Les jeunes ont multiplié les stages : c’est inconfortable, mais en même temps, cela leur a permis de cumuler les expériences, les rencontres. Si nous sommes obligés d’avoir plusieurs activités pour gagner un peu plus d’argent, nous développons des compétences multiples, ce qui est très bien pour son CV.
Myriam Levain : Quand on parle de précarité, de chômage, ce sont surtout nos parents qui ont peur pour nous et qui paniquent ! Nos aînés rêvaient d’avoir un CDI et menaient finalement toute leur carrière dans la même entreprise. Nous, nous avons su d’emblée que ce serait dur d’obtenir un tel contrat. Si jamais on enchaîne les CDD et qu’on ne décroche pas un CDI, ce n’est pas grave : le plus important est de nous épanouir dans notre boulot. Il faut arrêter le « c’était mieux avant ». La preuve que ce n’est pas vrai : nous avons vu nos aînés tout donner pour leur entreprise, et pourtant, ils n’étaient pas à l’abri de se faire virer. Notre réflexe a donc consisté à ne pas faire comme eux.
ELLE.fr : Dans votre livre, vous remarquez que la grande force de la génération Y, c’est Internet.
Julia Tissier : Le Web est bien sûr l’un des grands points de rassemblement de la génération Y. Le développement d’Internet n’a rien d’anecdotique : comme le dit Michel Serres, cette révolution technologique est comparable à la Renaissance et nous sommes ceux qui y sont le plus exposés ! Internet impacte tous les domaines de la vie, nous aide à être plus réactifs, créatifs, nous permet d’élaborer une nouvelle façon de travailler en traitant nos dossiers à domicile…
Myriam Levain : Autre point important : on nous traite souvent d’incultes, mais Internet est une vraie richesse qui regorge de choses intéressantes. Par conséquent, les 18-30 ans, plus que quiconque, profitent d’un accès plus facile à la culture, au cinéma, à la musique…
ELLE.fr : Finalement, en abordant la question de la génération Y, vous théorisez également une nouvelle catégorie de la vie, celle du « jeune adulte » ?
Myriam Levain : Le fait est que la vie ne cesse de s’allonger, et les Y n’ont pas forcément envie d’arriver tout de suite dans l’âge adulte. Certains ont formulé le concept d’ « adulescents », à mi-chemin entre l’ado et l’adulte, mais nous préférons parler de jeunes adultes, qui est plus positif. C’est sans aucun doute une nouvelle période de la vie liée aux mutations qui sont à l’œuvre dans la société : entre l’allongement de la durée des études et l’accumulation de petits boulots, le laps de temps qui s’écoule entre le moment où l’on prend son envol et celui où l’on fonde une famille est de plus en plus important. Les Y sont indépendants, gagnent de l’argent même si leurs salaires ne sont pas énormes, préfèrent vivre en colocation plutôt qu’être propriétaires… D’ailleurs, contrairement à leurs parents, ils ne seront peut-être jamais proprio à cause de la situation économique. Les enfants ? Ils y viendront peut-être, mais plus tard.
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