Régis DEBRAY, Jeunesse du sacré, Gallimard, Paris, janvier 2012 (224 pages).
Un peu de retard, ne vous inquiétez pas chers lecteurs, dans mes billets, pour cause d'une petite escapade maritime dans le Maine à l'invitation d'un ami (qu'il soit remercié), la déambulation sur la plage m'ayant libéré de mon clavier. Longues promenades, mais aussi beaucoup de lecture et d'écoute de podcasts. Lecture fort sérieuse, dont cet essai de Régis DEBRAY sur le sacré, où l'image illustre très bien le propos de l'auteur, propos qui s'inscrit dans la foulée de ces essais précédents Dieu, un itinéraire et Le feu sacré - Fonctions du religieux et aussi de son Journal d'un candide en Terre sainte. Quoiqu'il faille se garder de confondre sacré et religieux. Car si l'Occident, en général (les États-Unis étant la plus criante exception), se veut laïque, réservant le domaine du religieux à la sphère privée et la société civile affichant face à celui-ci une certaine neutralité, nul, selon l'auteur, n'échappe au sacré, dont les exemples ne se limitent pas au seul Occident. Exemple tiré de la Révolution française : les révolutionnaires n'ont pas plus tôt détruit les tombes royales de Saint-Denis qu'il ont sacralisé, sous le couvert de la loi, les arbres de la liberté, puis le culte de la Raison. Simplifions : le sacré est le liant indispensable à toute société -- aussi essentiel à celle-ci que la frontière : pas de « nous » possible, s'il n'y a pas un « eux ». Raisonnement que l'on pourrait peut-être appliquer au Québec, ce pays qui n'arrive pas à se faire, où l'on peine à déterminer ce qui constitue ce « nous », et ce qui est sacré pour celui-ci.
Au vrai, je ne me lasse pas du style de Debray, sans doute pour ce côté flamboyant à la Malraux, il serait, si j'ose dire, pour l'essai ce que le flamboyant est au gothique. C'est pourquoi je conseillerais au lecteur, dont les moments de lecture sont comptés, mais que la question intéresse d'aborder Debray par le présente ouvrage, quitte à approfondir par la suite avec les autres titres mentionnés ci-dessus.
La quatrième de couverture vous donnera un aperçu de ce style si particulier.
Quatrième de couverture :
« Enlever au sacré sa majuscule et ses mystères pour lui remettre les pieds sur terre : c'est le propos de cette enquête où l’œil et l'esprit s'interpellent gaiement.
L’œil, pour scruter tout autour du monde les angles morts des études savantes : ces lieux, naturels ou construits, modestes ou grandioses -- montagnes et sépultures, dépôts d'archives et enceintes de justice --, que l'on s'accorde à retirer de la circulation.
L'esprit, pour se défaire de vieux clichés, qui confondent le sacré avec le divin ou l'opposent au profane de façon irrémédiable. Comme si chaque époque ne faisait pas du sacré avec du prosaïque.
Ce qui légitime le sacrifice et interdit le sacrilège procède d'une fabrique purement humaine où l'ouvrage est sans cesse remis sur le métier. Il n'y a pas de sacré pour toujours, mais il y a toujours du sacré dans une société au développement durable. À preuve nos principes intouchables, propos intolérables et monstres sacrés.
Et voilà que notre modernité hypertechnique redonne à cet immémorial une nouvelle jeunesse -- quitte à le faire glisser de l'histoire à la nature.
Tant il est vrai que la pulsion de survie n'a pas de date de péremption. »
Présentation de l'éditeur :
« Agile et d’accès aisé, ce livre novateur dans sa facture ne juxtapose pas un texte et des images (environ deux cents) mais les fait dialoguer. Le texte explique et l’image questionne l’explication. On ne peut lire sans regarder ni regarder sans lire. Le sacré est un sujet crucial et d’actualité. Dans le monde d’abord, où s’enflamment guerres de religion et "chocs des civilisations", autour d’enjeux insurmontables parce que sacralisés. En France ensuite, où chaque communauté brandit son sacré à elle (génocide, viande halal, embryon, euthanasie…) pour se replier sur son périmètre et s’opposer à ses voisines. Tandis que notre pays, obscurément, court après des valeurs fédératrices et rassembleuses. Jeunesse du sacré s’adresse à ceux qui croient au ciel comme aux autres. Aux lycéens, parce que c’est un album avec des images insolites ou cocasses. Aux enseignants, parce que c’est un mémento qui résume en termes simples des études érudites et lance des ponts entre disciplines : géographie, histoire, beaux-arts, littérature, philosophie… A l’honnête homme, parce que c’est un mode d’emploi sans jargon ni appareil de notes, qui l’aidera à faire le net dans sa tête et sa vie : "Au fond qu’est-ce qu’il y a de sacré aujourd’hui pour moi ?" Jeunesse du sacré est un livre utile pour nous débarrasser de fausses idées reçues, quitte à fâcher un peu en secouant des certitudes - la première de toutes étant celle qui confond sacré et religieux : Auschwitz n’est pas une synagogue, ni la flamme du Soldat inconnu un sanctuaire chrétien… Utile également à remettre en perspective les événements du jour dans les longues durées. On pourra en somme faire servir ce vade mecum illustré aussi bien à l’instruction civique qu’à des méditations personnelles et à l’histoire sociale du présent, y compris dans ses aspects les plus ordinaires. »