Essayer tant bien que mal de se tenir à jour des dernières nouveautés dans le monde des séries est un défi insurmontable. Le plus tôt le sériephile l'admet, le mieux il se porte. Trop de choses intéressantes et autres curiosités pour suivre le rythme. Il faut se faire une raison : impossible de tout voir. Mais on tâchera tant bien que mal de sélectionner l'essentiel d'une saison en fonction de nos affinités. Sauf que le petit écran a beau se renouveler constamment, cela n'est pas non plus une raison pour oublier les oeuvres passées. Et puis, ce n'est pas ma faute si je suis née plusieurs décennies après la naissance du petit écran et des séries ! Ces six derniers mois, j'ai fait de belles découvertes en m'aventurant dans les 60s' aux Etats-Unis avec Rawhide et dans les 70s' en Angleterre avec The Sandbaggers. Mais je n'étais encore jamais remontée dans l'histoire télévisuelle française.
Et puis, l'autre jour, j'ai eu envie d'expérimenter (parce que ce blog n'est qu'un vaste compte-rendu d'expériences téléphagiques plus ou moins téméraires). Armée de mon dictionnaire sur les séries (enrichi depuis par des contacts twitter) et d'une carte bleue, j'ai donc fait quelques emplettes DVD. Et c'est comme cela que je vous propose aujourd'hui de débuter ce qu'on appellera un "cycle ORTF" (à voir si on ira au-delà ou pas). J'évoquerai aussi d'autres genres, mais il me semblait logique de commencer par de l'historique. Pas seulement parce que je suis une grande amatrice, mais aussi parce que j'ai toujours entendu parler en grandissant d'un supposé "âge d'or de la fiction française historique" ; et jusqu'à présent, hormis les Rois maudits, je n'avais vraiment eu l'occasion de tester...
Mon choix s'est porté sur Ardéchois coeur fidèle (non cela n'a rien à voir mes racines ardéchoises). Cette série compte 6 épisodes, de 55 minutes environ (notez que, sur le DVD, les épisodes ne sont pas découpés). Au scénario, on retrouve Jean Cosmos et Jean Chatenay. Elle a été diffusée sur la deuxième chaîne de l'ORTF du 21 novembre au 19 décembre 1974, où elle a rencontré un franc succès d'audience (favorisé par les grèves qui touchaient alors l'ORTF). En ce qui me concerne, j'ai apprécié cette immersion dans la première moitié du XIXe siècle : elle est non seulement une série d'aventure humaine et historique, mêlant de grands thèmes de vengeance et d'amitié, elle s'impose aussi un portrait social d'une grande richesse.
Ardéchois coeur fidèle se déroule dans les années 1820 sous la Restauration. Toussaint Rouveyre rentre chez lui, en Ardèche, après presque une décennie passée au loin, qui l'a entraîné jusqu'au Canada. Ancien capitaine des armées de Napoléon, il était en effet à Waterloo lors de l'ultime défaite de l'Empereur. Il retrouve une famille aux penchants républicains notoires qui a souffert sous la Terreur blanche, la réaction royaliste qui a accompagné l'instauration du nouveau régime. Toussaint ne sait comment reprendre le fil de sa vie. Il songe à repartir de l'autre côté de l'Atlantique. Son oncle l'encourage cependant sur une autre voie : celle du métier de menuisier, exercé dans le cadre d'une association particulière, celle des compagnons.
Toussaint le soldat ne s'imagine pas ouvrier, mais se trouvant rapidement en porte-à-faux avec les autorités policières, il reprend la route pour retrouver son frère qui est en train d'effectuer le tour de France des compagnons. Sans nouvelle de lui depuis trop longtemps, son enquête le conduit à Tournon, sur les lieux d'une rixe entre Compagnons du Devoir et Compagnons du Devoir de Liberté qui a dégénéré. Son frère, qui appartenait à la première, est mort dans la mêlée alors qu'il n'avait même pas 20 ans. Toussaint n'obtient qu'un nom : Tourangeau sans Quartier. Il décide alors d'entrer dans cette société des compagnons du Devoir de Liberté avec pour objectif de découvrir ce qu'il s'est vraiment passé et de tuer le meurtrier de son frère.
Animée d'un sacré souffle narratif, Ardéchois coeur fidèle débute comme un récit de vengeance classique. Pourtant, la série va rapidement prendre un tournant plus subtil et nuancé pour s'imposer dans un autre registre. C'est avant tout une fiction empreinte d'une profonde humanité qui, détachée de tout manichéisme, va mettre en scène des personnages complexes, riches en paradoxes et en ambivalences. La quête de vengeance de Toussaint le conduit en effet dans un milieu qui parle à l'ancien soldat : il y retrouve la solidarité et la solidité caractérisant ces liens humains qui ne peuvent naître qu'au sein de communautés unies par des conditions de vie difficiles. Avec leurs principes, mais aussi leurs contradictions et leurs fortes personnalités, tous les personnages se révèlent très attachants. L'écriture laisse pleinement s'exprimer l'intensité des émotions mal apprivoisées de ces ouvriers qui apprennent la vie en même temps qu'un métier. Cela permet de susciter une réelle empathie auprès du téléspectateur. Récit d'amitiés solides qui se créent sur les routes du tour de France, Ardéchois coeur fidèle traite aussi des rapports de l'individu au collectif, en essayant de tracer les limites d'un certain corporatisme. Marquée par le drame de cette rixe qui a mal tourné, elle éclaire avec beaucoup de justesse les dynamiques chargées d'ambiguïtés qui lui sont inhérentes.
De plus, la série peut s'appuyer sur une solide reconstitution historique. En toile de fond, elle expose les tensions politiques, mais surtout sociales, de la société française de l'époque. Survolant aussi bien les agitations bonapartistes que l'appareil répressif de l'Etat avec sa défiance à l'égard de toutes associations ouvrières, elle fait preuve de beaucoup d'acuité dans le portrait dressé ; le passé de Toussaint et les liens qu'il conserve avec d'anciens fidèles de l'Empereur permettent ici d'enrichir le tableau. Reste que c'est logiquement par sa dimension sociale, par l'immersion dans le milieu du compagnonnage qu'elle retient tout particulièrement l'attention. La série prend une allure très pédagogique quand il s'agit de nous permettre d'apprécier les rites et raisonnements singuliers des membres de la société dans laquelle Toussaint s'introduit. Globalement cependant, ce soin des détails apporte un parfum d'authenticité appréciable. En filigranne, c'est la condition d'une certaine catégorie d'ouvriers dans une France qui n'en est encore qu'aux premiers frémissements de la révolution industrielle qu'Ardéchois coeur fidèle éclaire.
Sur la forme, en terme d'images, il faut sans doute ici surtout s'arrêter pour parler de la qualité vidéo du DVD : cette dernière oscille de moyen à médiocre, suivant les scènes et l'éclairage. Cependant, cela n'affecte pas le visionnage, car l'histoire se suit sans problème et n'en est pas moins agréable à suivre. Le thème musical récurrent, entraînant, donne assez bien le ton de ce qui reste une aventure historique rythmée.
Enfin, Ardéchois coeur fidèle bénéfice d'un casting très convaincant, porté par un duo magistral sans lequel la série n'aurait sans doute pas eu la même force. Sylvain Joubert a la présence et l'intensité adéquates pour incarner cet ancien officier marqué par la mort de son frère, mais dont l'expérience passée et le recul joueront beaucoup dans son appréciation des évènements. Face à lui, Claude Brosset sait également retranscrire les ambivalences de son personnage : la brute sanguinaire initialement présentée se révèlera bien plus complexe que sa réputation ne pouvait le laisser entrevoir. A leurs côtés, on retrouve notamment Pierre Guéant, Henri Marteau, Claude Furlan, Julien Verdier, Michel Robin, Alice Reichen, Max Doria, Jean Champion, Alain Doutey ou encore Michel Pilorgé.
Bilan : Fresque historique riche et rythmée, Ardéchois coeur fidèle est une série qui marque par son éclairage social, mais aussi par son humanité. Bénéficiant de personnages tout en contradictions et en paradoxes qui s'imposent comme autant de de personnalités fortes et ambiguës, cette quête de vengeance dépasse rapidement les limites du genre pour devenir plutôt une histoire d'apprentissage et d'amitiés, dans ce milieu ouvrier particulier où une conscience de classe semble encore seulement en gestation.
C'est donc une série très intéressante à plus d'un titre. Pour les amateurs de fictions historiques et ceux qui apprécient ces vieux feuilletons français.
NOTE : 7,25/10
Le générique :