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John Stuart Mill a besoin d’un psychiatre

Publié le 26 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

On remarqua un jour que John Stuart Mill remplaça un père autoritaire par une femme aux caractéristiques identiques, puisque son éducation aurait inscrit en lui la nécessité de vivre avec quelqu’un au caractère fort, qui contribuerait à modeler sa pensée.

Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne

« Je ne sais pas à quel âge j’ai commencé à apprendre le grec. Je crois que ce fut à trois ans. » Avec ces mots surprenants, John Stuart Mill débute la narration de son éducation qu’il écrivit dans les pages de son Autobiographie. Le responsable de cette véritable horreur pédagogique fut son père James Mill, personnage important du monde intellectuel britannique des premières années du 19e siècle tant pour ses travaux sur l’économie politique que pour son Histoire de l’Inde britannique, œuvre qui non seulement lui donnera un grand prestige, mais sera également la base de sa sécurité économique, en lui permettant d’obtenir un poste dans l’administration de la Compagnie des Indes orientales, entreprise dans laquelle il finira par occuper des postes de très grandes responsabilités.

Mill père pensait que l’éducation d’une personne avait moins à voir avec les conditions ou les goûts personnels qu’avec la formation qui lui aurait été inculquée dès le plus jeune âge. C’est pourquoi, très tôt, il s’occupa personnellement de son fils aîné, John Stuart. Et, dans la foulée, chargea celui-ci de contribuer également à l’éducation de ses nombreux petits frères. C’est ainsi que nous voyons notre personnage étudier le latin à six ans, pour ensuite se plonger dans les mathématiques et les sciences, et finir par analyser avec son père lors de longues promenades les idées fondamentales des Principes de l’économie politique et de l’impôt de David Ricardo… alors qu’il avait douze ans. Trente ans plus tard, en 1848, Mill écrira aussi ses Principes, l’ouvrage d’économie le plus important publié en Grande-Bretagne depuis le livre de Ricardo.

Il n’est pas surprenant, avec ces antécédents, qu’âgé de seulement seize ans, le jeune John Stuart Mill était déjà en train de travailler dans la même entreprise que son père, déchargeant ce dernier de sa tâche avec le temps. Jamais il n’entra dans un collège ou une université, centres où, selon l’opinion de son père, la principale activité était la perte de temps.

John Stuart Mill a besoin d’un psychiatre

John Stuart Mill et Harriet Taylor

Notre personnage était né à Londres en 1806 et très rapidement il devint, selon les idées de son père et de son maître, Jeremy Bentham, un utilitariste convaincu. Sa vie personnelle ne connut pas réellement beaucoup d’événements dignes d’être mentionnés, comme lui-même le reconnaissait. Mais son évolution intellectuelle fut très complexe et aurait pu constituer, sans doute, un sujet d’étude très intéressant pour n’importe quel psychiatre. Il avait à peine vingt ans quand ses principes utilitaristes entrèrent dans une crise et lui-même tomba dans une série de dépressions. Sa vie fut, de fait, une étrange lutte entre les principes que son père lui avait inculqués de manière autoritaire et son désir de se libérer d’eux.

Pour finir d’arranger ses problèmes, il tomba amoureux d’une femme mariée. Notre économiste avait seulement vingt-quatre ans ; et il n’hésita pas à maintenir avec elle une relation amoureuse purement platonique jusqu’à la mort de son mari. Le problème est que le mari vécut encore vingt de plus. Mais, enfin, en 1851, ils se marièrent. On pourrait penser que s’achevaient là ses malheurs. Lamentablement, les choses ne se passèrent cependant pas ainsi. Il semble que sa mère avait peu d’estime pour une dame qui n’avait pas été particulièrement fidèle à son époux, bien que l’infidélité ne dépassa jamais le monde des idées ; et ce sentiment fit que le fils se séparera d’elle. À tel point que sa mère n’est pas mentionnée une seule fois dans l’Autobiographie déjà mentionnée.

Son épouse, Harriet Taylor, était une femme de caractère, avec de claires sympathies pour les idées féministes et le socialisme, qui exerça une nette influence sur son second époux. On remarqua un jour que ce que fit John Stuart Mill avec cette relation fut de remplacer un père autoritaire par une femme aux caractéristiques identiques, puisque son éducation aurait inscrit en lui la nécessité de vivre avec quelqu’un au caractère fort, qui contribuerait à modeler sa pensée. Vrai ou non, le fait est qu’une fois sa femme morte, Mill révisa beaucoup des idées qu’il avait défendues antérieurement sous son influence, spécialement sa défense de certains principes socialistes. Mais notre personnage, clairement, n’était pas capable d’obtenir son indépendance. Le reste de sa vie, il fut accompagné par Helen Taylor, la fille de son épouse ; et il passait la moitié de l’année en Avignon pour être près de sa tombe. Dans cette ville française mourut notre économiste en 1873 sans avoir, sûrement, réglé ses propres problèmes personnels.

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Article paru dans Libertad digital. Traduit de l’espagnol.


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