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26 mai / L'homme qui mangeait trop

Par Blackout @blackoutedition
26 mai L'HOMME QUI MANGEAIT TROP Il n'avait plus de parents, Anastasie, l'homme qui mangeait trop. Elle se donna violemment la mort lorsqu'elle apprit que son mari bourré avait attribué un prénom de fille à sa mâle progéniture. L'état civil n'avait pas bronché. Lui, devant l'ampleur de la tâche qui allait lui incomber seul, s'était barré sans demander son reste. Suivit une enfance sans trop d'histoire à l'orphelinat voisin, Anastasie était le bouc émissaire de l'école enseignants compris. Mais lorsqu'il comprit que la nuit, il pouvait se glisser sans réveiller le pion de faction dans les frigos de la cambuse, il se jetait sur les fayots en gelée et les saucisses de Strasbourg. Il était le seul à les aimer ou presque. D'ailleurs, aimer n'était pas le substantif qui convenait, la frénésie avec laquelle il engloutissait ces mets peu ragoûtants tenaient de la pornographie. Mais le jour venu, on eût dit que cette pitance nocturne lui forgeait une carapace sur laquelle brutalités et vexations ricochaient sans trop égratigner. Bien sûr il grossissait, ce qui fournissait des moqueries nouvelles à ses bourreaux, chaque avantage a ses inconvénients. Puis Anastasie apprit le métier de charcutier-pâtissier. Dans ce métier, le gros passe mieux. Il réussit brillamment le C.A.P de pâtissier, et celui de charcutier traiteur avec mention. Ce qui fit la fierté de son patron. Il apprit aussi qu'on ne pouvait décemment vivre sans parents. Aussi rapportait-il tous les soirs quelques choux pâtissiers deux ou trois tranches de pâté en croûte invendus. La boutique était grande et les menus variés et jamais avariés. Anastasie s'enfermait dans son deux pièces avec cuisine et bâfrait le tout sans respirer. Ensuite il pleurait. Pourquoi se goinfrait-il ? Pourquoi pleurait-il ? il savait vaguement pourquoi... Il fêta seul ses vingt ans et ses cent kilos. Le boss, qui l'avait pris en affection, un homme qui aime tant la bonne chère ne peut être mauvais ouvrier, l'avait gâté... Il avait même tenu à le livrer à domicile : plateau de fruits de mer, bulots palourdes gambas crevettes grises et six huîtres sabot de cheval, énormes et grasses à souhait, de celle que l'on farcit d'ordinaire, le tout arrosé d'un riesling millésimé, terrine de sanglier aux noisettes caillettes de Chabeuil et farci poitevin, coq au vin & Cornas rouge, pommes noisettes, ribambelle de fromages et pour finir (pour en finir ?) charlotte aux fraises, the big chief savait que c'était le dessert préféré de son zélé adjoint. Anastasie ne vomit pas ce soir-là, non le patron s'était donné trop de mal. Et le premier jour de sa vingt et unième année il alla se jeter dans le canal, lui qui aurait tant aimé s'appeler Pierre.

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