L'attente c'est une histoire de s'autoriser et de s'interdire. L'attente est souveraine. On s'y soumet, ses contingences s'imposent. En son nom, on renonce, on accepte. L'attente est reposante car elle annule toute possibilité de choix. Tout ce qu'on a à faire, c'est attendre. L'attente agit comme une grille de sélection sévère et implacable des éventualités de la vie.
Les éditions Kero viennent de naître le 14 mai, avec la publication de trois premiers titres, et j'ai eu la chance de recevoir l'un des trois, dont le sujet ne pouvait évidemment que me toucher.
Roch et Marie, la narratrice, se connaissent depuis deux mois. Chacun est marié de son côté, mais à l'issue d'un de leurs rendez-vous clandestins, l'amant prononce une phrase qu'il aurait dû garder pour lui : "Si cela continue, dans un an je la quitte et je t'épouse". Commence alors l'attente de Marie, qui va durer bien plus d'un an...
Ce roman m'a énormément touchée par sa grande sensibilité, notamment dans les passages réflexifs, d'un lyrisme exaltant sur les sujets de l'amour, des mots de l'amour, de l'intimité, du mensonge. Il s'agit de bien plus que d'une simple histoire de double adultère, car finalement ce qui compte c'est la passion amoureuse, l'invasion de tout notre esprit par l'Autre, le fait de croiser l'Autre dans la rue quand il ne nous voit pas, de chercher où il habite pour pouvoir l'imaginer dans son décor... bref, j'ai aimé cette part de vérité sur ce grand mystère de l'amour que contient le roman, j'ai aimé cette analyse des sentiments, j'ai aimé les passages sur l'importance des parures dans la liaison amoureuse, les robes, les sous-vêtements, le soin que l'on prend de soi... j'ai detesté le personnage de Roch, à l'onomastique révélatrice, à mi-chemin de roc et roche, coeur de pierre.
Mais. Il n'y a pas toujours un mais, mais là il y en a un. Je reste sceptique sur certains points, et notamment le traitement de l'espace-temps. Concernant l'espace tout d'abord : les personnages déménagent à plusieurs reprises, et ne semblent pas vraiment souffrir de cet éloignement, comme si ce n'était pas grave, alors qu'être éloigné de l'Autre devrait normalement être un déchirement. Mais plus grave pour moi est le traitement du temps : on a l'impression qu'il passe très vite. Or, lorsqu'on attend, le temps se dilate et chaque seconde dure une éternité d'enfer, chaque instant est empli du vide et du manque de l'autre, et je ne suis pas sûre que le roman montre dans sa pleine réalité la douleur extrême de cette attente, en tout cas jusqu'à un certain point de basculement de la narratrice qui finalement m'est apparu venir de nulle part, mais chut, je ne veux pas spoiler.
Donc c'est un très beau roman (enfin, "récit"), excellemment écrit, qui pose de bonnes questions, mais dans lequel je ne me suis pas vraiment retrouvée (ceci dit, avec cette réserve je suis totalement à contre-courrant de ce que j'ai pu lire ici ou là, donc ce n'est pas forcément une vraie faiblesse), qui m'a touchée mais pas exaltée. En tout cas, l'auteur est à suivre, c'est certain !
L'Attente
Catherine CHARRIER
Editions Kero, 2012