Suite de l'analyse du sommet de l'Alliance à Chicago, après ce premier billet. Il est ici question des décisions sur l'Afghanistan, qui ne peuvent se réduire à la seule question du retrait, même si celle-ci a été la plus visible.
1/ Un des grands sujets de Chicago était l’Afghanistan. Certes, tous les principes avaient été énoncés lors du sommet précédent, et notamment la décision du retrait en 2014. Mais le sujet revenait au-devant de l’actualité en posant la question de ses modalités. Vu de France, l’intérêt était d’autant plus vif que la date du retrait français constituait un des marquants entre les deux candidats à l’élection présidentielle. Pourtant, on peut s’intéresser à l’Afghanistan non seulement pour les modalités du départ, mais aussi pour la question du financement après 2014, et celle de la présence à l’issue.
2/ S’agissant du retrait, du côté français, les analystes ont très tôt expliqué qu’un retrait de toutes les troupes d’ici la fin 2012 n’était pas possible notamment pour des raisons logistiques. Cela avait entraîné l’évolution de François Hollande qui dès mars 2012 parlait du retrait des troupes combattantes. Pourtant, vu de l’Alliance, la question n’était pas là, mais consistait à empêcher une course au retrait, la décision française ayant pu servir de prétexte à des retraits anticipés d’autres contingents : les Espagnols ou les Italiens ont d’ailleurs été observés, mais Washington a fait en sorte que le cas français reste une exception.
3/ D’une certaine façon, pour la FIAS, le retrait français présente même un avantage logistique : puisqu’il aura lieu en 2013 cela allègera le reste des opérations de désengagement en 2014 et après. La question est d’autant plus sensible que les négociations se déroulaient simultanément avec le Pakistan pour la réouverture des routes terrestres vers le port de Karachi. L’obtention d’un accord de principe avec Karachi est un des autres résultats, discrets, intervenus en marge du sommet.
4/ Cela nous amène au deuxième sujet, celui du financement. En effet, les Américains estiment qu’il faut subvenir au fonctionnement de l’Armée nationale afghane (ANA) après 2014 pour permettre à l’Afghanistan « indépendant » de rester un Etat stable. Les stratèges pensent bien sûr à l’expérience de M. Najibullah, le dirigeant afghan mis en place par les Soviétiques en 1989, et qui resta au pouvoir jusqu’en 1992 : sa chute intervint quand les Russes cessèrent de payer (voir billet). Autrement dit, pour les Occidentaux, il s’agit de payer suffisamment pour que le gouvernement afghan en place 2014 tienne assez de temps. Son éventuelle chute au bout de quelques années plus tard ne serait plus de la seule responsabilité des Occidentaux. Il est donc important de garantir une stabilisation suffisante en 2014 et 2015 au moins.
5/ D'où la question du coût. L’ensemble des forces de sécurité afghanes (armée + police + divers) atteint aujourd’hui environ 350.000 hommes. Les Etats-Unis prévoient un besoin de 230.000 hommes en 2015, pour un budget estimé à 4 milliards de dollars. Les États-Unis contribueront à hauteur de 2,3 milliards de dollars et l’Afghanistan versera 500 millions de dollars. Il reste donc un peu plus d’un milliard de $ à trouver. Les alliés en ont admis le principe à Chicago, mais aucune répartition n’a été donnée : ce n’était pas l’objet du sommet mais la question reviendra à l’ordre du jour, par exemple au cours des prochaines réunions ministérielles alliées. Et elle sera sensible, compte-tenu de la crise économique en Europe et de la déflation budgétaire de défense constatée depuis quelques années. Les négociations seront âpres, mais feutrées.
6/ Le troisième enjeu consiste à savoir l’accompagnement qu’on laissera après 2014. A Chicago, les alliés annoncent qu’ils resteront sous une forme différente. Au-delà de l’effet d’annonce, plusieurs questions se posent : En clair, s’agit-il seulement de « formateurs » ou aussi de « forces spéciales » (ce que semblent demander les Américains à certains de leurs alliés) ? et, incidemment, sous quelle structure agiront-ils : une structure Alliée (et pour cela, on pense à la déjà existante Mission de formation Otan en Afghanistan, NTMA) ou une structure particulière (et l’on pense à la déjà existante Opération Liberté Immuable, OEF), ou encore un autre cadre ? Là encore, peu d’informations ont été rendues publiques et la France a conservé pour l’instant une attitude prudente : la négociation n’a pas encore commencé et puisque ce n’était pas l’objet, il a été jugé utile de donner du temps au temps. Il reste que la question occupera les esprits au cours de l’année 2013.
(à suivre) NB : Ce billet n'engage que son auteur et en aucune façon l'une quelconque des institutions pour lesquelles il travaille.
O. Kempf