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Je me souviens de Paul Bettany au tout début des années 2000. Après quelques rôles dans le cinéma britannique, l’Anglais devenait peu à peu incontournable, en second rôle joyeux dans « Chevalier » au côté d’Heath Ledger, en binôme mystérieux ou éminemment sympathique de Russell Crowe dans « Un homme d’exception » puis « Master and Commander : de l’autre côté du monde », ou sur le plateau dépouillé du meilleur film de Lars Von Trier, « Dogville ». Bettany semblait en passe de devenir une des meilleures choses à être venue d’Angleterre ces dernières années… et puis finalement non. Est-ce un manque de lucidité ou un mauvais agent, toujours est-il que le mari de Jennifer Connelly (et on le jalouse tous pour cette alliance) a finalement passé les années suivantes à s’égarer à Hollywood, en tête d’affiche d’une comédie romantique sur fond de tennis (« Wimbledon »), en méchant dans des daubes à gros budget (« Firewall » et « Da Vinci Code »), ou en héros dans des nanars en puissance (« Légion » et « Priest », des perles du genre).
Et encore, je n’ai même pas mentionné « The Tourist ». L’une des rares satisfaction qu’il ait apporté au cinéma ces dernières années se résume à donner de la voix pour incarner Jarvis, la voix à tout faire de Tony Stark dans les « Iron Man » et « Avengers ». Je me suis rendu compte de cet égarement de Bettany il y a quelques jours en allant voir « Margin Call », le remarquable premier film de JC Chandor prenant pour cadre Wall Street. Le film pourrait être une pièce de théâtre, ne quittant presque jamais les murs d’une grande banque spéculative le temps d’une nuit, la dernière nuit avant le krach boursier monstrueux de 2008. Dans cette banque en plein écrémage humain, un jeune analyste comprend que dans quelques heures, le marché va s’effondrer et prévient ses supérieurs. Cette dernière nuit, chacun est mis face à ses responsabilités et à ses doutes.
Il y a quelques mois, avant que le buzz ne monte autour du film et qu’il décroche une nomination à l’Oscar du Meilleur Scénario, j’aurais pu jeter un œil à la distribution et ranger le film au rayon des chiures de mouche. Avec des acteurs de série télé et des vieux briscards ayant laissé filé quelques trains à Hollywood, « Margin Call » aurait pu n’être qu’une anecdote dans la filmographie de ces acteurs. Paul Bettany donc, mais aussi au rayon des acteurs sous-employés ces dernières années, Jeremy Irons, Kevin Spacey, Demi Moore, et dans une moindre mesure Stanley Tucci. Au rayon des acteurs plus connus pour la télé que pour le ciné, Simon « Le Mentaliste » Baker, Penn « Gossip Girl » Badgley et Zachary « Heroes » Quinto, ce dernier étant par ailleurs producteur du film.
Une galerie d’acteurs n’ayant pas encore de véritable stature dans le cinéma américain, et d’autres l’ayant perdu (s’ils l’ont jamais eue…). Enfermés dans un immeuble à discourir sur la crise imminente et à se poser des questions en des termes opaques pour ceux qui comme moi ont fait des études littéraires et se sentent paumés dès que des données économiques sont en jeu. Et c’est absolument passionnant. Une plongée humaine fascinante, à travers la panique, à travers les stock-options et les tenants et aboutissants du monde de la finance, pour dresser un portrait d’hommes qui nous happe. Des hommes pas franchement aimables, pas franchement recommandables non plus, mais dont la chute donne lieu à voir ce qu’est une débandade. Un monde qui s’écroule et renvoie chacun sur Terre.
Bien sûr, le plus grand mérite en revient au scénario brillant de JC Chandor, pourtant sorti de nulle part. Mais une autre partie du mérite en revient également à cette troupe d’acteurs, aux Spacey, Tucci, Irons, Bettany, sobres, intenses, qui s’ils ne sont plus considérés à leur juste valeur dans le cinéma américain, prouvent qu’ils restent de féroces acteurs lorsqu’on leur offre un matériel digne d’eux. Et le scénario de JC Chandor est de ceux-là.