En attendant l'été et alors que nous mettons la dernière touches à notre calendrier, je vous livre un texte "Germain Lenain, héros malgré lui" écrit par Yann Stenven - mai 2012
Ala découverte d'une représentation des Aventures de Germain Lenain, ce qui marque et séduit est la bonne humeur, l'énergie du public qui, à son insu mais dans une pleine et entière adhésion, devient sinon un « acteur complémentaire » un mur miroir sur lequel joue en rebonds les personnages mais surtout le maître du bal, le seigneur du castelet qu'est le marionnettiste qui interagit avec son public et parfois même ne lui épargne pas de petits coups de griffes.
Germain Lenain est un héritier en ligne directe du Guignol pour partie pour la technique et de Polichinelle pour le caractère.
Germain est une marionnette à gaine, c'est la main et l'avant-bras du marionnettiste qui lui donnent corps. L'avant-bras lui campe une colonne vertébrale et la main lui confère le maintien de la tête. Ses bras sont libres car à l'inverse de Guignol Germain à de la « gueule » et pas de bras.
Guignol mobilise les doigts de la main pour tenir la tête et constituer les bras tandis que Germain mobilise l'intégralité de la main de son manipulateur dans le tête pour la tenir de quatre doigts et permettre l'articulation de la mâchoire par le pouce. De sorte que Germain « l'ouvre », dit ce qu'il pense.
Germain conquiert la vraisemblance de son existence par la parole et non par le seul mouvement. Guignol qui n'articule pas, puisqu'il a la bouche peinte, est obligé de remuer, d'agir pour donner un sentiment de mouvement dans le cadre de la fenêtre. Lorsque Guignol ne bouge plus, il n'est guère qu' une poupée que l'on fait parler.
Germain même statique vit puisque même ses silences (pourtant, rares!) sont des instants de vie en contraste à son articulation explosive. Germain est un être du discours, non du mouvement et de l'action. Du reste, l'action, il ne la cherche pas. Guignol, lui, a besoin, tôt ou tard, de la bastonnade, des coups de tavelle (bâton) pour se sortir de la situation dans laquelle il est plus « va-t-en guerre » et a besoin de dégourdir ses bras.
Germain, s'il se retrouve au cœur de l'intrigue, dans l'obligation d'agir, il cherche par sa prestance oratoire à échapper à la nécessité d'accomplir l'exploit qu'on lui demande. Germain est un héros malgré lui, qui plus est, mû par son propre intérêt plus que par celui du groupe. Il agira pour l'effacement de sa dette davantage que pour sauver le monde.
Le non-volontarisme du personnage principal est du ressort de l'écriture et pousse le public à le soutenir dans sa mission, sa quête, même si Germain montre quelques traits de caractères pas toujours ou uniquement sympathiques.
En effet, en cousin de Polichinelle, on devine Germain quelque peu roublard, prompt à embobiner son interlocuteur. Il s'y essaye avec Gaston. Gaston Legascon le faible mais riche, le prêteur, le banquier, on ne sait pas. Le marionnettiste/ auteur laisse le doute sur sa véritable fonction qui stigmatise notre monde capitaliste. Monde qui par l'argent espère même acheter le bravoure ou du moins rémunérer un autre pour faire le travail. Germain est débiteur de Gaston et ne semble pas pressé de rendre à ce dernier son dû. La menace de destruction du Monde par la sorcière Farfelue change la donne, au moment où Germain, un fois encore, a presque retourné la situation en sa faveur, le rendant populaire aux yeux du public car qui ne rêve pas de duper son patron, son banquier ou son professeur. Germain relève de la figure de rebelle pas totalement morale mais que l'on excuse parce qu'il a de l'audace et ne s'attaque qu'à Autre que soi. L'auteur invite le public à prendre ses distances avec Germain, il n'est pas un modèle. Germain est un héros par défaut, il accepte en contrepartie de l'annulation de sa dette, de s'opposer à la sorcière mais il n'ira pas uniquement avec ses propres armes, il lui faut les conseils du sorcier de la montagne. Face à la seule personne qui puisse l'aider, Germain moque le sorcier pour sa surdité.
Ce dernier lui offre pourtant le secret pour vaincre la sorcière. Le secret d'un baiser donné, d'un baiser pouvant sauver le monde. La sorcière Farfelue, si crainte, tomberait pour un baiser. Un baiser long et langoureux d'amour. La sorcière, violente, l'est par manque d'amour. Elle ne sait pas se faire aimer, s'éprendre et choisit la force, la haine. Mauvais chemin là encore, la sorcière, Germain et Gaston sont chacun dans l'impasse. Gaston perdu dans son avarice qui le coupe des autres, chacun étant son débiteur. Germain, lui, se piège à son éloquence verbale qui le mène toujours à la phrase de trop. La Farfelue est aux pièges de ses sentiments et profite de son pouvoir pour s'imposer à l'Autre, sans y parvenir, elle qui voudrait tant être aimée. Ce petit monde est bien « malade » et ressemble étrangement au nôtre par le prisme de nos envies et de nos insatisfactions.
Et le public ? dira-t-on ! Lui dont on a émis l'hypothèse, en début de page, qu'il était acteur tout autant que les marionnettes, où en est-il ? A l'image de ses compagnons de scène, tour à tour complice de l'un ou l'autre, ou dans la dénonciation de l'un ou l'autre, et surtout toujours très amusé quand l'un prend des coups même quand il s'agit du marionnettiste.
En effet, Germain se rebelle contre son marionnettiste et le frappe, le public apprécie et en redemande. Sauf que ce qui pourrait être impensable arrive : le marionnettiste se montre, s'échappe des velours du castelet pour s'adresser au public.
Posément le marionnettiste explique et met le public face à ses contradictions. Il se pose en révélateur d'un monde et non en victime, marque le recul, invite à réfléchir. Le public le comprend alors ou le comprend plus tard, le marionnettiste est le seul personnage positif et entier de cette histoire. Il est en réalité le sage qui raconte et met en tensions nos défauts dans un miroir pour nous réfléchir et faire réfléchir. Il est l'artiste, celui qui crée pour « conscientiser » le Monde même dans le rire, au travers d'une trame, d'un canevas qui appartient au conte , au dit et inventé par les hommes pour s'expliquer le Monde.
L'artiste est démiurge en son castelet, et un peu au-delà : dans les bancs du public. Il le montre et le prouve. En réduisant au silence le beau parleur, en étouffant dans un baiser sans fin la haineuse. L'histoire se dénoue non par les mots mais l'action. Elle s'accomplit dans un baiser. Un baiser réconciliateur ou d'amour ? Non, un baiser performance, car la force d'écriture pour l'auteur/ marionnettiste est de paraître à nouveau, à ce moment de l'histoire, pour manipuler le public en lui faisant croire que ce baiser est avant tout question de record, de chiffre à tenir.
L'artiste marque ici la limite en sa foi ou en ses pouvoirs d'interpeller, ou modifier le Monde. Il le peut, certes, le temps d'un baiser, le temps d'un spectacle en essayant de refléter ce qu'il voit, observe mais il reste à chacun à prendre le recul pour comprendre et entendre.
Oui, tout semble rentrer dans l'ordre, s'arranger, mais tout est-il résolu ? Le sorcier de la montagne même amoureux ou aimé n'est-il toujours pas sourd ?
La question qui reste en suspend, est, suffit-il dans la suspension de temps d'un baiser, d'entrevoir le vrai visage de notre monde pour vouloir et pouvoir le changer ?
Les aventures de Germain Lenain sont un chemin que nous prenons souvent mais comme tout être il nous faut beaucoup nous tromper pour découvrir.