En partenariat avec le labo de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, eBouquin proposera régulièrement des articles rédigés par Octavio Kulesz, auteur d’une étude remarquée sur “L’édition numérique dans les pays en développement“. Cette semaine, nous publions une interview de Kovid Goyal, le créateur de Calibre.
Grâce à son interface attractive et à sa vaste gamme de fonctionnalités, Calibre a réussi à se positionner comme l’un des programmes en open source les plus utilisés dans le monde du eBook. Avec Calibre, l’utilisateur peut convertir ses eBooks aux différents formats et gérer ses bibliothèques de titres et de métadonnées. Cet entretien retranscrit une discussion avec l’expert indien Kovid Goyal, créateur de Calibre qui évoque différents aspects de l’industrie du eBook, ainsi que ses projets à venir. Nous remercions tout particulièrement Matías Fernández et le Club del Ebook pour l’aide apportée à la réalisation de cet entretien.
- Calibre a été distribué comme un logiciel de bureautique. Penses-tu qu’il existe une demande pour une version « cloud », maintenant que les liseuses disposent d’une meilleure connectivité ?
Calibre comprend un serveur de contenu qui permet de partager ta bibliothèque sur internet. Nous travaillons aussi sur plusieurs solutions « cloud » qui seront prêtes prochainement, mais il s’agira d’un service payant, puisque ce type de systèmes implique des coûts d’hébergement.
- Est-ce que tu disposes de statistiques sur l’utilisation de Calibre sur les téléphones portables ?
À vrai dire non. Pour le moment je ne collecte pas d’informations pour savoir quels sont les dispositifs qui se connectent à Calibre.
- Quels commentaires t’inspirent les systèmes fermés, comme celui du Kindle de Amazon ou du Nook de Barnes&Noble ? Comment envisages-tu le futur des DRM ?
Je considère que les efforts mis en œuvre par ces entreprises pour dominer le marché sont un peu idiots et témoignent d’une vision à très court terme. Un des mes principaux objectifs avec Calibre a été d’offrir une plateforme de gestion d’eBooks qui soit le plus ouverte et indépendante possible. D’après moi, les DRM ne sont que de la poudre aux yeux puisqu’ils ne parviennent pas à empêcher la piraterie. Pour combattre la logique des DRM, mon épouse et moi avons commencé à travailler sur le projet Open Books, un portail vendant des livres sans DRM.
- Actuellement, l’industrie du eBook ressemble à une tour de Babel, avec de nombreux acteurs essayant d’imposer leurs propres formats. Dans un tel contexte, peut-on dire que Calibre joue un rôle de traducteur entre ces différents « langages » ?
Bien sûr, c’est l’une des fonctions les plus importantes de Calibre. À condition d’utiliser un fichier sans DRM (ou d’éliminer le DRM de la copie d’un eBook), Calibre te permet de lire ce livre au format et sur le dispositif que tu veux.
- Selon les chiffres fournis par le site web de Calibre, la majorité des téléchargements du logiciel viennent des États-unis (25%), de l’Espagne (8,8%), du Royaume-Uni (7,7%) et d’Allemagne (7,4%), c’est-à-dire de nations industrialisées, alors que des pays en développement comme le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du Sud représentent 1% du total. Comment expliques-tu ce phénomène ?
Les liseuses sont chères. Elles représentent un investissement important à faire avant de pouvoir lire son premier eBook. D’autre part, la majorité des liseuses ont besoin à un certain moment d’être connectées à un ordinateur pour fonctionner. Ces deux conditions constituent certainement un désavantage comparatif pour les marchés en développement. Cependant, la situation changera quand les liseuses deviendront moins chères (ou se transformeront en dispositifs multifonction) et quand les niveaux de vie s’amélioreront dans ces pays.
- Malgré ces chiffres relativement bas, tu estimes que Calibre aurait un potentiel particulier dans les pays en développement, au moment où de nombreux gouvernements – notamment en Inde – s’apprêtent à produire massivement des tablettes et d’autres dispositifs de lecture adaptés aux besoins des lecteurs locaux ?
C’est certain, le fait que Calibre soit libre et fonctionne en open source en fait un outil très adapté aux budgets les plus réduits ! Ceci dit, personnellement, je préfère ne pas travailler avec des organisations trop grandes ou des gouvernements. Donc bien que les gouvernements soient les bienvenus pour utiliser Calibre si cela leur semble utile, ce n’est pas quelque chose que j’encourage activement.
- Tu es retourné en Inde l’an passé, c’est un choix sur le long terme ? Est-ce que tu continueras à travailler au développement de l’open source dans ton pays ?
J’ai déménagé aux États-unis pour obtenir mon doctorat. J’ai toujours eu pour projet de retourner en Inde une fois mes études terminées. Je me sens chez moi en Inde. Quant à ce que je ferai à l’avenir, je ne peux pas le dire avec certitude, puisque Calibre a été une sorte d’accident, quelque chose qui est arrivé quand j’étais encore à l’université. En général, j’essaye de ne pas faire de prédictions sur mon futur, mais si je continue à travailler dans le logiciel, ce sera sans doute dans le domaine de l’open source.
- Suite au développement de la première version, Calibre a bénéficié de l’apport généreux d’un grand nombre de gens – une communauté dynamique de programmeurs, graphistes et traducteurs. Qu’est ce qui a poussé ces gens à contribuer au projet ? Et en ce qui te concerne, quelle a été ta motivation ?
La majorité des gens ont contribué à Calibre pour deux raisons :
1) le collaborateur ajoute une fonctionnalité dont il a besoin et qu’il trouve utile ;
2) le collaborateur le fait parce qu’il trouve ça amusant et qu’il considère cela comme un défi sur le plan technique.
J’ai énormément travaillé pour que tout le monde puisse enrichir le code de Calibre de façon très simple. Développer une extension pour Calibre peut prendre cinq minutes montre en main. Le programme dispose d’un système d’extensions très bien documenté qui permet aux utilisateurs d’enrichir presque n’importe quelle de ses fonctionnalités avec des applications externes. Ces efforts ont porté leurs fruits et explique pourquoi une communauté aussi active existe. Maintenant, en ce qui me concerne, j’ai réalisé Calibre parce que ma première liseuse, le Sony PRS-500, ne fonctionnait pas sous Linux – le système que j’utilise. Calibre, qui à ses débuts s’appelait libprs500 n’a cessé de se développer depuis !
Pour finir, je dirais qu’il est essentiel de travailler sur des initiatives comme Calibre parce que les livres et la lecture ne peuvent pas dépendre de logiciels propriétaires ni d’entreprises motivées uniquement par le profit.