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Le vote Front National : vote de crise ou vote d’extrême-droite ?

Publié le 25 mai 2012 par Delits

Au lendemain de chaque scrutin, les électeurs réservent aux analystes des surprises, plus ou moins réelles étant donné les derniers sondages et l’état des forces politiques. En France, la surprise vient bien souvent du résultat du Front National, que ce soit à la hausse (2002, 2010, 2012) ou à la baisse (2007) par rapport aux prévisions pré-électorales. La tâche des commentateurs et des chercheurs est alors d’analyser ces mouvements électoraux inattendus et de comprendre leurs causes profondes.

Ainsi, les analyses effectuées par le collectif « Gauche populaire », déjà évoqué sur ce site, mettent en avant la détresse économique et sociale d’une partie de l’électorat pour expliquer les 17,9% obtenus par la leader du Front National. Pour eux, « l’élément structurant de cette élection était et reste l’inquiétude très forte des classes populaires sur la situation économique et la mondialisation ». De fait, les solutions concrètes apportées tiennent essentiellement à la sphère économique, et sa déclinaison opérationnelle reste floue :  « reparler du socle commun de la nation française : l’industrie, le mérite, l’alliance du régalien et du populaire avec un état protecteur et émancipateur », avance Gaël Brustier.

Une analyse qui entre en concurrence avec celles des experts de Terra Nova aussi bien que d’intellectuels bourdieusiens. Les premiers estiment les électeurs de Marine Le Pen (comprendre les catégories populaires) perdus pour la gauche du fait de leur conservatisme culturel de plus en plus prononcé. Les seconds voient dans l’approche de la « Gauche populaire » un inquiétant syndrome de « lepénisation des idées », jugeant certaines notions comme celle d’insécurité culturelle « plus dangereuse que celles du FN ».

Que nous disent les sondages à ce propos ? L’enquête réalisée du 19 au 21 avril par IPSOS indique ainsi les deux enjeux qui ont le plus compté pour les électeurs de Marine Le Pen ont été l’immigration (61%) ainsi que l’insécurité (44%), alors que ces enjeux n’ont retenu l’attention que de respectivement 24% et 19% du corps électoral. Le différentiel est donc considérable. En revanche, les électeurs lepénistes sont nettement moins préoccupés que la moyenne des Français par l’ensemble des enjeux sociaux : le pouvoir d’achat n’a compté que pour 42% des électeurs frontistes, contre 46% pour l’ensemble des électeurs. Même constat en ce qui concerne la crise économique (34% contre 44% pour l’ensemble), le chômage (20% contre 30%) ou les inégalités sociales (16% contre 25%). Les autres instituts de sondage présentent des chiffres globalement similaires. Étonnant, pour un électorat décrit comme frappé de plein fouet par les conséquences sociales de la crise et rendu amer par la mondialisation…

L’interprétation d’une question portant sur les enjeux ayant le plus compté au moment du vote peu toutefois être contestée. On peut penser que les électeurs de tous bords, ayant (bien légitimement) des difficultés à objectiver les raisons de leur vote, auraient tendance à répondre en se basant sur l’image que les médias et le discours des leaders politiques renvoient du leur candidat ou de leur parti. Ainsi, les électeurs de Marine Le Pen ne voteraient pas réellement en se basant sur l’immigration ou sur l’insécurité, mais répondraient dans ce sens aux sondeurs afin de ce conformer à ce que, pensent-ils, on attendrait d’eux. Dès lors, l’hypothèse d’un vote FN fondé sur la situation économique ou le rejet de la mondialisation deviendrait acceptable.

La théorie est séduisante, mais il elle trouve deux écueils. Premièrement, pourquoi ne l’applique-t-on qu’aux seuls électeurs d’extrême-droite ? Pourquoi ne remet-on jamais en cause le fait que les électeurs de Eva Joly ont déclaré à 73% que l’environnement avait fortement compté dans leur vote, contre 5% seulement sur l’ensemble de la population ? On peut tout aussi bien considérer qu’eux aussi n’ont pas répondu de manière sincère, et réinterpréter leur vote. Tout comme on peut le faire pour les électeurs de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy. Cela ouvre bien des portes, que nous ne franchirons pas ici. Une deuxième faille réside dans le fait que certains thèmes portés par des candidats ne trouvent aucun écho auprès de leur électorat. Ainsi, les électeurs de Nicolas Sarkozy, qui a pourtant passé un temps non-négligeable de sa campagne à défendre l’énergie nucléaire, ne sont que 4% à dire que ce thème a compté dans leur choix. Ce qui est valable pour les électeurs de Marine Le Pen ne le serait pas pour les autres ?

Au final, on peut tout simplement considérer que les électeurs répondant sincèrement à ce type de questions. L’énigme du vote lepéniste n’est lors plus si difficile à résoudre : une partie des Français rejettent largement l’immigration et quand ils votent, ils le font massivement avec cette préoccupation à l’esprit et choisissent, assez logiquement, le Front National. Cette conclusion ne doit d’ailleurs pas surprendre : le baromètre annuel de la CNCDH montre, année après année, qu’environ un Français sur quatre se dit au moins « un peu raciste », que plus de la moitié estiment « qu’il y a trop d’immigrés en France », que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » ou que « l’immigration est la principale cause d’insécurité ». Un vote pour le Front National qui se baserait sur des sentiments xénophobes dispose donc d’un terreau fécond.

Certes, la donne a changée depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du FN. En ayant fait le choix de se positionner comme un parti de gouvernement, elle a adopté un programme complet, sans se focaliser sur les enjeux culturels. Or, économiquement, le Front a adopté une posture qui se situe dans la droite ligne de celle traditionnellement défendue par la gauche : protectionnisme économique, défense de la protection sociale (réservée, il est vrai, aux seuls Français), redistribution des richesses, etc.

Ce discours a bien entendu pu attirer une fraction de l’électorat de Marine Le Pen. Pour autant, l’évolution par rapport aux résultats obtenus par son père en 1988 (14,4%) ou 1995 (15%) est finalement limitée, alors qu’à l’époque Jean-Marie Le Pen présentait pourtant tout sauf un programme économiquement de gauche et que la crise économique était moins prononcée. Une amélioration de la situation économique ou un changement dans le discours et les politiques défendues par la gauche pourront peut-être détacher du vote frontiste quelques pourcents de ses électeurs. Ils ne suffiront en revanche pas à profondément entamer l’assise électorale de l’extrême-droite.

Prendre en compte cette réalité, ce n’est pas être méprisant envers les électeurs du Front National. Bien au contraire, puisque c’est tout simplement prêter attention à l’opinion d’une partie des Français telle qu’ils l’expriment.


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