La qualité de la preuve
"Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait." Cette citation de Mark Twain, maintes fois reprise comme une ode à l’audace et à l’imagination, a trouvé récemment de nouveaux échos dans le débat science-société. C’est, en France, l’exemple du géochimiste Claude Allègre qui porte sur les plateaux télévisés les couleurs délavées des thèses des climato-sceptiques. Lesquels ont pour objectif de dédouaner notre mode de vie, avec une consommation effrénée d’énergies fossiles, de tout impact dommageable sur la planète. Ce sont les expérimentateurs malheureux de l’expérience Opéra, ces neutrinos perçus comme plus rapides que la lumière. Ou encore les promoteurs de la théorie Mond, laquelle propose une alternative à l’existence de la matière noire en modifiant, à grande distance, l’action de la loi de la gravitation de Newton. Sans oublier tous ceux qui affirment détrôner Einstein, jeter aux orties la théorie consensuelle du big bang, ainsi que les physiciens théoriciens dont les modèles d’Univers fonctionnent parfaitement… sur ordinateur. Copernic, Galilée, Wegener ou Einstein, avant eux, ne se sont-ils pas trouvés dans une position semblable : seuls contre tous ? En conflit avec tout le monde ?
La question mérite d’être posée : peut-on avoir raison seul contre tous ? Comme ce prix Nobel de chimie 2011, attribué à Daniel Shechtman, pour la découverte en 1982 des quasi-cristaux, et que ses collègues vont traiter méchamment pendant quelques années de “quasi-scientifique”… Comme le montre le dossier de ce numéro, le progrès des connaissances — particulièrement en astronomie — n’a jamais été une accumulation tranquille de vérités acceptées par tous. Un scientifique remarquait un jour qu’une théorie l’emportait souvent quand tous ses adversaires étaient morts ! De façon plus large, il convient sans doute de rappeler deux données incontestables : le fait d’être en désaccord avec tout le monde ne donne pas forcément raison ; et la science est une vérité provisoire.
Batailler pour défendre des idées fut le lot des génies comme des savants les plus marginaux. Mais cette confrontation ne se gagna jamais sur la place publique. La nature de la démarche scientifique impose d’apporter devant tous la qualité de la preuve ; même si la vérité d’aujourd’hui devient l’erreur de demain. Une maxime que Mark Twain aurait pu adopter ?
Alain Cirou
Directeur de la rédaction
Génies solitaires, la fin du mythe.
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