Il est rare de tomber sur un roman policier qui soit également bourré d’humour. C’est pourtant le cas de Nager sans se mouiller, qui m’a fait passer un excellent moment, tant pour son intrigue serrée que pour le texte, truculent.
Juanito Pérez Pérez est un banal cadre supérieur dans une multinationale et vend du papier hygiénique… pas très glamour. Sa femme, issue de la bourgeoisie, lassée par son insignifiance et son manque d’ambition a demandé le divorce quelques années plus tôt et a la garde de leurs deux enfants, Leti, 15 ans et Antoñito, 10 ans. Il ne voit ses enfants que pendant les grandes vacances, mais leurs relations sont sans chaleur et ils se côtoient plutôt que s’apprécient. Il faut dire que Juanito est un homme banal, ennuyeux au possible, presque transparent, « un homme qui aurait pu être pas mal si au lieu de cette expression bovine et bonasse il avait montré un peu de fierté, une pointe d’ambition, une étincelle de gaité. »
Pourtant, Juanito cache un secret. Sous son apparence débonnaire et quelconque se terre en effet Juan Pérez Pérez, redoutable tueur à gage employé par un cartel nommé l’Entreprise. Grâce à son activité criminelle, il a monté les échelons dans la structure de l’Entreprise et en est devenu le numéro 3, à la place de l’ancien numéro 3, son mentor qu’il a dû pourtant supprimer pour obéir aux ordres. Il est devenu très riche et songe parfois (de plus en plus souvent ces derniers temps, à vrai dire) à se retirer de ce métier, même s’il le pratique avec grand art. Propre, net et sans bavure, c’est ainsi qu’il travaille. 15 morts déjà, qui ne pèsent pas lourd sur sa conscience, Juan Pérez fait son travail et le fait bien, sans passion et sans émotion, ainsi qu’il mène toute sa vie. Même si, parfois, il se demande qui il est, Juanito ou Juan...
Mais cet été là, il semble que les choses soient plus compliquées. Juanito prend la route des vacances avec ses enfants pour la région de Murcie, son ex-femme ayant décidé de passer les vacances avec son nouvel amant. Lorsqu’il reçoit un appel de Numéro 2, son supérieur direct, il n’a pas trop le choix que d’accepter la mission qu’on lui propose, même s’il n’est pas très motivé, et bien qu’elle semble toute simple. Il doit juste identifier une cible et remonter les informations à Numéro 2.
Ce que Juanito n’avait pas prévu, c’est que l’endroit où ils atterrissent est un camp de naturistes. Et que la cible est… son ex femme !
Voilà que cet homme habitué à se fondre dans le décor, à « nager sans se mouiller », comme le répétait à l’envi l’ancien Numéro 3 (« Toi, tu aimes nager mais pas te mouiller, me disait toujours le vieux Numéro Trois. Tant que ça fonctionne, mon gars, il n'y a pas de problème. Le problème c'est qu'un jour ça risque de ne plus marcher et il faudra t'assumer, te demander qui tu es. Personne n'y échappe. »), va devoir se balader à poil devant ses enfants, et surprise ! devant Laetitia, son ex, qui justement campe à 2 pas de sa tente avec son nouveau jules, un magistrat réputé qui a le courage de s’en prendre à la pègre du pays. Pas de costume passe-partout pour y cacher une arme, pas d’accessoires pour se dissimuler, pas de grimage possible. Pas facile d’espionner les gens nu comme un vers…
De plus, en tueur averti, Juan ne croit pas trop aux coïncidences, et il y en a trop dans cette affaire pour que cela ne sente pas le roussi. La cible est-elle bien Laetitia, ou ne serait-ce pas plutôt le juge Beltrán, qui compte sans doute de multiples ennemis ? Et comme il est étrange de retrouver Tony, ce vieux copain de jeunesse, borgne et handicapé d’une jambe, vis-à-vis duquel il ne peut se départir de son sentiment de culpabilité suite à des évènements anciens. Tony est devenu richissime, et est donc accompagné d’une jeunette aussi belle que froide et louche. Juan est perturbé… Tony lui-même avoue avoir peur d’une vengeance de son associé, et comme Juan se sent redevable vis-à-vis de lui, il veut bien sûr le protéger.
Bien qu’il ne perde pas de vue sa mission, même si elle n’est pas très claire, Juanito tombe sous le charme de Yolanda, jeune et jolie animatrice du camp, qui elle, n’est pas froide du tout, bien au contraire. Il se lie également d’amitié avec un vieux vacancier, un professeur à la retraire auteur de romans policiers et ce sont presque de vraies vacances qu’il passe ici. Sauf que Numéro 13, un de ses collègues tueur à gage, sadique et violent, débarque au camping, sans que Juan ne sache pourquoi. Serait-ce une conspiration ? Et si c’était lui, la cible ? Même le maître nageur a l’air louche… et voilà bientôt que l’inspecteur Arregui, qu’il a déjà rencontré plusieurs fois, lui tourne autour, suite à une mort étrange dans le camping…
Ce roman est extrêmement original et très fantaisiste, même si la trame en est toute simple – un tueur à gage qui veut quitter le milieu, une mission complexe à remplir. Les péripéties rocambolesques s’enchainent, pas forcément toutes vraiment crédibles, mais il règne dans ce camping un tel humour, un tel naturel et une bonne humeur si contagieuse que nous n’en voulons pas à l’auteur de ces petites libertés avec la logique. On y parle sans tabou, puisqu’il faut rappeler que les personnages sont déjà tous nus. Les situations sont parfois un peu chaudes, mais jamais vulgaires et l’auteur réussit même à distiller dans son texte des moments de pure poésie qui touchent au cœur.
En plus du ton humoristique et des mystères qui planent, Nager sans se mouiller aborde également des sujets plus profonds : la famille et les liens qui lient ses membres, la figure du père pour ses enfants, le sexe bien sûr, mais aussi l’amour, celui qui vous tombe dessus sans qu’on s’y attende, et les amours anciennes que parfois on regrette, bref, la vie dans toute sa richesse. Et bien sûr, l’auteur nous rappelle avec un clin d’œil qu’on ne peut vraiment pas nager sans se mouiller, et que pour vivre intensément, il faut prendre des risques, oser, s’abandonner, avancer… et qu’on ne peut pas éternellement se cacher derrière un masque ou une attitude.
Un auteur à découvrir de toute urgence !
Lu par Amanda, Aifelle,