Talal Nazaf fut reçu à la cour de Cordoue avec tous les honneurs. On l’y connaissait de réputation depuis des années. Courtisans et émirs rivalisèrent de louange à son endroit.
Un savant toutefois lui posa une question :
« J’ai lu tes livres, et me demande pourquoi une si grande part de ce que tu as écrit vise les esprits stupides, et pourquoi si peu s’adresse aux sages.
– La plus grande part vise ceux de ton espèce », dit Talal.
Le soir il fut invité à dîner chez le grand cadi, qui remarqua avec finesse :
« Une certaine robustesse de langage ici, à Cordoue, pourrait inciter ceux qui sont bien disposés envers un nouveau venu, mais dont la susceptibilité doit néanmoins être ménagée, à changer d’attitude à son égard. »
Le soufi répondit :
« Ceux qui ont observé comment cette susceptibilité, sollicitée par la franchise, engendre l’hostilité, ont appris qu’un changement de cette sorte n’est qu’un changement d’opinion.
« Je suis ici pour démontrer qu’un changement d’opinion n’est pas, en soi, un changement de compréhension. L’opinion est bâtie sur le sable. La connaissance est bâtie sur le roc. Celui qui est convaincu que je suis « bon » peut être aussi stupide que celui qui est convaincu que je suis « mauvais » : ce n’est qu’une conviction.
« La conviction, bien loin de se fonder sur la raison, est l’ennemie de la raison. La rationalité ne change pas. Les convictions varient tout le temps. »
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