Vu depuis la France, dur de comprendre ce qui se passe dans les universités québécoises en ce moment. Contrepoints vous propose un décryptage depuis l’autre côté de l’Atlantique, pour vous permettre de comprendre les tenants et aboutissants de la situation.
Par Pierre Lemieux, depuis les États-Unis.
"Grève" à l'université McGill (CC, Gerry Lauzon)
Depuis quelques mois, des étudiants des universités et collèges québécois font la grève pour s’opposer à une légère augmentation, étalée dans le temps, des frais de scolarité des universités. Passons rapidement sur l’incongruité du terme « grève » pour décrire l’action d’individus qui, dans le but d’être subventionnés encore davantage, refusent de recevoir un service qui leur est rendu presque gratuitement. Au Québec, l’accès aux collèges (qui correspondent à peu près au lycée) est essentiellement gratuit dans le cas des collèges publics, et fortement subventionné pour les collèges privés. Les droits de scolarité demandés par les universités sont fixés par le gouvernement, y compris pour les universités dites privées, et ne couvrent pas le cinquième de leurs coûts de fonctionnement, le reste étant bien sûr payé par l’État, c’est-à-dire par les contribuables. De plus, des bourses d’État sont disponibles. Non seulement les étudiants contestataires refusent-ils d’assister à leurs cours, mais ils ont forcé plusieurs institutions d’enseignement à fermer, privant leurs confrères de leurs cours et mettant l’année scolaire en péril. Ils ont également organisé de nombreuses manifestations publiques qui ont bloqué la circulation et provoqué violence et vandalisme.
La première chose qui frappe est la naïveté des élèves et étudiants contestataires. Produits d’un système d’éducation déficient, d’un État Providence mur-à-mur et d’une démission parentale nouvel-âge, ces enfants-rois, à l’aube de l’âge adulte, souhaitent que les contribuables soient mis aux travaux forcés pour eux. Et ils sont prêts à tout casser pour avoir raison. Ils font penser au petit Abdallah dans Au pays de l’or noir, na ! On rétorquera peut-être qu’ils se rendent compte qu’il y a quelque chose de corrompu dans l’État du Québec. Certes, mais leur naïveté est puérile quand ils brandissent le drapeau rouge, symbole des pires tyrannies et de dizaines de millions de morts au 20e siècle. On dira qu’il faut que jeunesse se passe. Soit, mais elle doit quand même passer avec un minimum de dégâts pour autrui.
Le gouvernement du Québec aurait dû faire deux choses. Premièrement, il aurait dû assurer la poursuite des cours dans ses propres universités et collèges, prêter le concours de la force publique aux institutions privées qui souhaitaient faire de même, et contrôler la violence dans les manifestations publiques. Comme tout État contemporain, celui du Québec disposait déjà, avec sa police nombreuse et suréquipée ainsi que son implacable système judiciaire, de pouvoirs plus que suffisants. En vérité ses pouvoirs étaient déjà extraordinaires et liberticides. Deuxièmement, et en appui à ces mesures défensives, il aurait dû retirer leurs bourses aux étudiants contestataires, annuler leur année scolaire, et cesser de payer les enseignants qui torpillaient ouvertement leurs institutions. Vous n’êtes pas contents de ce que les contribuables vous donnent à la pointe du fusil ? Eh bien, ils ne vous en donneront plus !
Il est possible que, à cause de lois existantes qui ne sont en fait que des lois d’exception, c’est-à-dire des diktats qui privilégient les étudiants au détriment du reste de la population, le deuxième train de mesures aurait été légalement irréalisable. Par exemple, les enseignements sont syndiqués et protégés jusqu’à l’hypothalamus (voire plus haut) et il est probablement impossible de les sanctionner. S’il le fallait, une loi aurait pu corriger ce droit d’exception et réaffirmer la règle de droit.
On pourrait arguer que le gouvernement a presqu’essayé la première voie de solution. Des manifestations violentes ont été réprimées, mais non sans la bien-pensance et les bavures habituelles de la police, qui n’a pas encore appris, semble-t-il, qu’elle est censée protéger la liberté individuelle, pas l’État. Quant à la seconde voie de solution, le gouvernement n’a même pas fait mine d’y songer.
La réaction des élites québécoises aux événements des derniers mois et à la loi d’exception est révélatrice. L’intelligentsia de gauche a appuyé les étudiants contestataires avec des arguments à faire pleurer un crocodile, et s’oppose à la loi d’exception seulement parce que ce sont les leurs qui sont victimes de l’exception. Des porte-parole de droite et du centre, de leur côté, se sont bruyamment réjouis de la loi d’exception, sans comprendre qu’elle accordait des pouvoirs accrus à un État qui en avait déjà trop. Ils ont ainsi donné raison à Alexis de Tocqueville : « Le goût de la tranquillité publique devient alors une passion aveugle, et les citoyens sont sujets à s’éprendre d’un amour très désordonné pour l’ordre. »
Les bonnes âmes diront que la loi d’exception est somme toute modérée, oubliant que quand on donne à Léviathan un centimètre de corde, il en prend un mètre. De plus, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement a réussi à transformer une basse tentative d’extorsion des contribuables en une haute lutte pour la liberté d’expression. Il faut le faire !
Pas grand-chose de bon ne peut sortir des troubles actuels. Vus à l’aune de l’étatisme, les deux camps, ceux des étudiants contestataires et ceux des étatistes de droite ou du centre, sont bonnet rouge et rouge bonnet. Il est dommage que nous – par « nous », je veux dire le petit groupe de libertariens ou libéraux classiques du Québec, dont je fis naguère partie – n’ayons pas réussi à enseigner, surtout aux jeunes, qu’il existe une autre option que le socialisme ou le conservatisme : il y a l’approche libertarienne.