CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU, MAI 2012
Mariella Villasante Cervello
[mariellavillasantecervello@gmail.com]
Après cinq mois d'installation, le nouveau gouvernement dirigé par le Premier Ministre Oscar Valdés traverse une crise politique annoncée dès son arrivée au pouvoir. En effet, les tendances autoritaires et son manque d'habilité politique pour établir le dialogue et la concertation dans le règlement des conflits sociaux se sont affirmées. Parallèlement, la très mauvaise gestion gouvernementale de la prise de 36 otages par des narcoterroristes du Sentier Lumineux dans la région de La Convención, en avril, a conduit à la démission du Ministre de l'Intérieur, Daniel Lozada, et du Ministre de la Défense, Alberto Otárola, le 12 mai. Ils ont choisi cette voie peu avant leur censure majoritaire au sein du Congrès. Les faits ont eu lieu alors que le Président Humala effectuait un voyage officiel en Asie, d'où il est rentré le dimanche 13 mai.
Les nouveaux ministres ont été désignés le 14 mai : José Urquizo Maggia, congressiste pour Ayacucho, est le nouveau ministre de la Défense ; le Général de l'armée à la retraite Wilber Calle Girón, est le nouveau ministre de l'Intérieur ; et Gladys Triveño est la nouvelle ministre de la Production - poste occupé précédemment par Urquizo. Le ministre de l'Intérieur a affirmé que la lutte contre le terrorisme sera renforcée à partir de l'inclusion sociale et la construction de routes, d'écoles et de postes de santé dans les régions concernées (El Comercio du 15 mai). [Voir http://elcomercio.pe/politica/1414886/noticia-nuevo-ministro-interior-propone-inclusion-social-vrae].
Nouveau gouvernement au Pérou [de gauche à droite : Urquizo, Valdés, Humala, Calle, Triveño], La República du 15 mai 2012]
Au-delà de la conjoncture politique actuelle, assez instable, l'incompétence et la mauvaise gestion des problèmes anciens et actuels sont devenus courants au sein du gouvernement péruvien après le changement de décembre 2011. Les programmes de la Grande Transformation proposée par le Président Humala en juillet 2011 semblent de plus en plus éloignés. Les attentes sociales pour le changement, source de légitimité politique du président élu, restent importantes, mais soumises à rude épreuve par l'actualisation de problèmes anciens : la corruption, le terrorisme senderiste, l'insécurité, l'incompétence des Forces Armées, le désordre administratif, et la prédominance du soutien gouvernemental aux entreprises et aux options néolibérales en général.
De fait, le gouvernement du Président Humala, élu par les forces progressistes du pays, a effectué un virage à droite très rapide et il a renoncé à son propre programme de la Grande Transformation qui proposait une réforme de l'État et des politiques sociales prioritaires pour l'ensemble de la population et dans tout le territoire national. Or, Humala s'est laissé déborder par l'offensive de la droite et de ses représentants, qui contrôlent les médias et la vie économique du pays, et il a adopté le plus tranquillement du monde le modèle néolibéral assumé jadis par Alberto Fujimori. Il n'y a donc plus lieu de s'étonner du fait que la fille de ce dernier, Keiko, soutienne régulièrement les positions de Valdés. Le sociologue Sinesio López, ancien conseiller du président, avance que la droite « captura » Humala lors de la crise de Cajamarca, qui se termina par la démission du Premier Ministre Salomón Lerner Ghittis et la désignation de Oscar Valdés, un ancien militaire autoritaire censé accompagner le choix néolibéral mis en danger par les mouvements sociaux contestataires. Pour López la corrélation des forces politiques actuelles favorise ce changement ; cependant, un retour aux valeurs progressistes à travers l'articulation d'un large front de mouvements contestataires, de gouvernements régionaux et d'une gauche unie reste possible. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/el-zorro-de-abajo/ollanta-metamorfosis-o-captura-25-03-2012].
La situation de crise actuelle a entraîné la distanciation d'une partie non négligeable des personnalités progressistes et de gauche qui soutenaient précédemment Humala. [Voir http://elcomercio.pe/politica/1361988/noticia-humala-ya-no-tiene-asesores-que-trabajaron-su-plan-inicial_1]. Ainsi, en avril 2012, le groupe dénommé Citoyens pour le changement, présidé par Salomón Lerner Ghittis, ancien Premier Ministre, s'est éloigné définitivement de l'exécutif et s'est proclamé comme force politique sans lien avec l'administration du Président Humala. Désormais, le collectif soutiendra les demandes des organisations sociales, régionales et écologiques, et il favorisera la création d'un Front large des forces progressistes comme option de gouvernement pour les prochaines élections de 2014 et de 2016. Ces accords ont été pris par les 264 délégués des 13 régions durant la IIe Rencontre nationale qui a eu lieu à Lima les 21 et 22 avril, et à laquelle participaient les anciens conseillers d'Humala, Carlos Tapia et Sinesio López, ainsi que le congressiste Javier Diez Canseco. Lors de cette rencontre, les participants ont décidé de contribuer aux affaires du pays en s'appuyant sur des propositions en faveur des intérêts nationaux et populaires contenus dans le programme de la Grande transformation du pays que « le Président Humala a abandonné pour virer à droite et fortifier ses représentants ». Enfin, le mouvement d'opposition aux projets miniers, notamment à Cajamarca, a été légitimé, ainsi que la nécessité de reprendre les négociations et la recherche de concertation entre les populations concernées et l'exécutif. [Voir http://www.larepublica.pe/25-04-2012/ciudadanos-por-el-cambio-rompe-vinculos-con-gobierno-de-humala].
Groupe politique « Citoyens pour le changement », La República du 25 avril 2012
Un Premier Ministre autoritaire qui s'oppose à la Grande transformation
Depuis son accession au poste de Premier ministre, Oscar Valdés ne cesse de réaffirmer ses positions autoritaires, ses opinions conservatrices et son manque de tact politique en général, tant et si bien que l'on peut s'interroger sur les raisons de sa nomination par le Président Humala, mais se demander également combien de temps il continuera à présider un gouvernement de plus en plus critiqué. Dès sa nomination, Valdés a fait preuve de son manque d'habilité pour résoudre le conflit né à Cajamarca, où la population s'opposait - et s'oppose encore - à l'expansion du Projet Conga de l'entreprise Yanacocha. Il imposa l'état d'urgence dans la région et traita avec mépris les dirigeants locaux. [Voir la chronique péruvienne du 19 janvier 2012]. Le 7 janvier, Valdés s'est déclaré admirateur du « pragmatisme fujimoriste », ce qui a suscité la stupeur générale : avait-il oublié que Humala avait subi les pires attaques, durant la campagne électorale, du parti fujimoriste et qu'il avait failli perdre les élections face à Keiko Fujimori ? Avait-il oublié aussi que la période de gouvernement d'Alberto Fujimori a été reconnue comme la pire qu'a connue le pays en termes de dictature, de corruption et d'immoralité politique ?
Oscar Valdés et le Président Humala. La República du 11 décembre 2011
Mais ce n'est pas tout. Le 12 janvier, Valdés s'est permis de faire des déclarations aberrantes pour une personnalité qui se trouve à la tête du gouvernement péruvien. En évoquant le manque de connaissances des jeunes sur la période du conflit armé interne, Valdés déclara sur une chaîne de télévision : « S'il est vrai que le Rapport [de la Commission de la vérité et la réconciliation, CVR] est assez complet, il faut voir que de nombreuses personnes présentaient des scènes déchirantes et il y eut beaucoup de théâtralisation, ainsi qu'une augmentation considérable du nombre de sinistrés, alors que le rôle des Forces armées fut diabolisé. » De plus, Valdés ajouta que le « Sentier Lumineux n'était pas une force régulière, mais une force terroriste qui éliminait des enfants et des femmes, donc il ne mérite pas d'être traité comme une force régulière. » Ces déclarations négationnistes qui remettent en question l'œuvre de la Commission de la vérité et la réconciliation sont particulièrement lamentables et malvenues, et elles ont été très critiquées, y compris par des membres de l'alliance au pouvoir Gana Perú.
La directrice de la Coordinadora nacional de derechos humanos, Rocío Santisteban, est en effet allée jusqu'à affirmer que les déclarations du Premier Ministre étaient faites par un militaire qui s'habille de civil ; et qu'elles sont offensantes pour les victimes, exigeant des excuses publiques et les réparations attendues. Notons ici que Valdés ne désigne même pas les morts et les survivants de la guerre interne comme ce qu'ils sont, des victimes, mais qu'il préfère les traiter de « sinistrés ». Santisteban ajouta que le Premier Ministre semblait oublier que la Commission de la vérité et la réconciliation fut une instance de l'État péruvien, non une ONG, et que les déclarations de Valdés sont à l'unisson du peu d'importance que le gouvernement d'Humala accorde au thème des réparations des victimes de la guerre interne. De son côté, l'ancien procureur anti-corruption Ronald Gamarra déclara que les arguments de Valdés favorisent l'émergence de mouvements terroristes comme Sentier Lumineux. Considérant ce qu'elles avaient de lamentables face à la douleur des victimes, il avança que ces déclarations étaient congruentes à l'opinion d'un secteur militaire qui aurait préféré que le Rapport de la CVR ne fasse état que des atrocités commises par les groupes insurgés, Sentier Lumineux et le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA), et délaisse les excès commis par les agents de l'État. Or, cette demande immorale affecte le débat actuel sur la mémoire du conflit armé au Pérou. (La República du 25 et du 26 janvier 2012).
Valdés a été critiqué au sein même du gouvernement ; ainsi Carolina Trivelli, ministre du développement et de l'inclusion sociale, a déclaré qu'elle prenait ses distances vis-à-vis de l'avis du Premier ministre, et que les recommandations de la CVR devaient faire partie des politiques publiques (El Comercio du 30 janvier 2012). La ministre de l'éducation, Patricia Salas, a décidé d'inclure les conclusions du Rapport final dans les textes scolaires d'histoire à partir de 2013. Une sage décision qui fut critiquée par le congressiste d'extrême droite Kenji Fujimori pour qui « la CVR est une commission de l'euphémisme qui a présenté les membres du Sentier Lumineux comme des révolutionnaires et la lutte anti-subversive comme un conflit interne. » (El Comercio du 2 février 2012). De son côté, Marisol Espinoza, Vice-Presidenta de la République, affirma que les déclarations du Premier Ministre exprimaient un manque de respect aux victimes de la violence terroriste ; d'après elle, on lutte au sein de Gana Perú pour la défense des droits humains et on ne considère en aucun cas qu'exposer les cas de quelque 17.000 victimes [nombre des témoignages reçus par la CVR] puisse être comparé à une théâtralisation (La República du 13 février 2012).
Si l'on suit Javier Diez Canseco, les déclarations du Premier Ministre doivent être replacées dans le cadre d'une offensive de l'extrême droite et du fujimorisme contre le Rapport de la CVR, en tentant de le mettre en relation avec l'émergence d'un mouvement senderiste qui s'efforcerait de devenir légal, le Movimiento por la amnistia y derechos fundamentales (MOVADEF). L'argument absurde de cette mise en relation est que lorsque le Rapport final de la CVR désigne le « Parti communiste du Pérou, Sentier lumineux », en utilisant le terme « parti », il élude le caractère « terroriste » du mouvement. Il s'agit là bien évidemment d'une manipulation cynique de la réalité. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente ].
Javier Diez Canseco, La República du 30 janvier
La congressiste Rosa Mavila considère que les positions de Valdés sont philo-fujimoristes et qu'elles montrent bien les intérêts de l'extrême droite au sein d'un secteur des Forces armées (El Comercio du 26 janvier 2012). Rien d'étonnant à constater que le congressiste Kenji Fujimori ait soutenu les déclarations de Valdés sur le « pragmatisme » de son père ainsi que ses critiques contre la Commission de la vérité et la réconciliation (El Comercio du 2 février 2012).
Pendant cette période du début de l'année, une nouvelle campagne de discrédit à l'encontre de la CVR s'est appuyée sur une supposée « tiédeur » de celle-ci face au Sentier Lumineux ; cela est faux et calomnieux. Pour Salomón Lerner Febres, ancien Président de la CVR, il y aurait seulement trois explications à ces arguments fallacieux : soit ils n'ont pas lu le Rapport, ou ils l'ont lu et n'ont rien compris, ou enfin ils ont lu et compris et ont opté sciemment pour la calomnie. S'il fallait un exemple, on retiendrait que le terme « terroriste » est employé tout au long du dit rapport pour qualifier le Sentier Lumineux. [Voir : http://www.larepublica.pe/columnistas/desde-las-aulas/la-cvr-la-verdad-y-una-prensa-vil-22-01-2012]. Au fond, d'après Lerner, cette question révèle la résistance de l'État péruvien à reconnaître et à honorer ses obligations en matière de droits humains, une position qui s'exprimerait de façon très critiquable dans le mépris pour les victimes affiché par des hauts fonctionnaires, et le dédain envers les attentes de justice et de réparation des victimes et de leurs proches. Le travail de la CVR mais aussi les positions de la Cour inter-américaine des droits humains (CIDH) sont désormais ouvertement discrédités, y compris par le ministre de Justice, Juan Jiménez, ce qui ne laisse d'être très inquiétant pour le pays. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/desde-las-aulas/las-seducciones-del-poder-19-02-2012].
La crise du gouvernement Valdés est apparue avec les conflits miniers, notamment le projet Conga, qui n'a pas encore trouvé de solution malgré la nomination d'une commission d'experts dont le rapport a été rejeté par la population concernée. Mais les problèmes ont empiré rapidement lorsque les événements ont dévoilé que Valdés n'offrait pas plus d'interlocuteurs politiques que de gestion efficace des affaires sociales. C'est le cas par exemple avec les conflits des mineurs illégaux à Madre de Dios et à Cusco, celui des mineurs de La Oroya qui travaillent pour l'entreprise Doe Run, et les revendications des pêcheurs à Paita. Le pire reste pourtant la lamentable gestion de la résurgence des attaques terroristes dans la région de La Convención, au sud de la Vallée des fleuves Ene et Apurímac (VRAE), qui a marqué la scène politique pendant le mois d'avril. La supposée « opération impeccable », menée par les Forces armées et par la Police nationale pour libérer 36 otages aux mains des narco-senderistes dans la région amazonienne de Cusco s'est avérée un fiasco total. On verra plus loin les détails de cet épisode, mais précisons déjà que les opérations militaires ont révélé à quel point les problèmes anciens ne se sont pas améliorés avec le nouveau gouvernement. On songe ici au manque d'organisation et de collaboration entre les services des renseignements et les forces de l'ordre ; à la mauvaise qualité des vêtements et de la nourriture des soldats, associée à la corruption ; à l'incompétence des militaires et des policiers pour affronter des insurgés qui semblent mieux préparés et plus habiles qu'eux-mêmes. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente/gabinete-valdes-en-crisis-30-04-2012].
Tous ces faits soulignent, comme le note Sinesio López, l'absence de l'État dans environ un tiers du territoire national et sa faiblesse dans le reste de pays. Il s'agit là d'un drame qui a accompagné la fondation de la République et qui reste d'actualité, tout comme les fractures sociales associées à l'inégalité ethnique, dite couramment « raciale », aux inégalités économiques et au manque de contrôle étatique du territoire. Á l'instar d'autres intellectuels progressistes, López pensait Humala capable de réformer l'appareil étatique afin d'ouvrir l'ensemble des Péruviens à la modernité, tout en reconnaissant les racines multiculturelles du pays et en s'attaquant de front à la corruption ; il avoue s'être trompé. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/el-zorro-de-abajo/el-gobierno-paralizado-y-el-estado-ausente-22-04-2012]. Le politologue Steven Levitsky considère de son côté que la faiblesse de l'État péruvien implique pareillement la faiblesse du gouvernement et les crises politiques récurrentes. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/aproximaciones/una-paradoja-peruana-12-05-2012].
Le problème de fond de la crise du gouvernement de Valdés semble associé aussi au défaut d'organisations politiques représentatives des populations locales et régionales, c'est-à-dire de partis politiques dignes de ce nom. Le problème n'est pas nouveau car, comme le note l'historien Nelson Manrique, il date de la période de disparition des partis du pays, à la fin des années 1980, comme résultat de la guerre interne et de la grande crise économique du premier gouvernement d'Alan García (La República du 24 janvier 2012). La situation ne fit qu'empirer avec le régime de Fujimori et son style de gouvernement fondé sur le mensonge, le cynisme et la corruption, l'affirmation d'un pouvoir autoritaire et personnalisé qui a marqué la vie politique péruvienne jusqu'à aujourd'hui. Dans ce cadre, les élections restent associées aux personnes et non aux programmes politiques ; l'inexistence des représentants des partis dans les provinces et les régions rend impossible le soutien collectif nécessaire pour mettre en place des idées et des mesures gouvernementales ; et enfin, dans la mesure où la majorité des administrateurs locaux, régionaux et nationaux sont des agents politiques sans parti, ceux-ci ne travaillent pas sur de projets à long terme mais se contentent de faire avancer leurs carrières politiques. Du reste, comme le Président Humala l'a précisé en janvier, l'alliance politique au pouvoir, Gana Perú, n'est pas un parti politique à proprement parler, mais un rassemblement constitué autour du Parti nationaliste péruvien (PNP), qui avait invité divers mouvements politiques progressistes à le rejoindre en vue des élections présidentielles (El Comercio du 23 janvier 2012). [Voir : http://elcomercio.pe/politica/1364767/noticia-presidente-humala-nego-que-se-haya-postergado-gran-transformacion].
Mais il faut reconnaître que la faiblesse structurelle de Gana Perú s'est manifestée dès le début du mandat de Humala avec le scandale provoqué par le premier vice-presidente du pays, Omar Chehade, accusé de trafic d'influence, et qui fut exclu du Congrès pour cette raison pendant plusieurs mois. Le peu d'importance accordé au renforcement de cette alliance est également visible dans le fait qu'il existe pas d'implantation au niveau régional et national ; du reste, la seconde vice-presidenta, Marisol Espinoza, l'un des rares membres en vue de Gana Perú, paraît paradoxalement très effacée dans la vie politique nationale. Et en fin de comptes, seule la Première dame, Nadine Heredia, membre fondateur du Parti nationaliste péruvien, semble le « représenter » par une présence surmédiatisée sur la scène politique péruvienne, ce qui est aussi une source de problèmes car on considère qu'elle envahit ainsi un espace public qui ne lui revient pas. Il faut préciser que la collusion entre le pouvoir du Président et les désirs explicites de pouvoir des membres de sa famille provoque un malaise permanent. Isaac Humala, père du Président, se permet d'exprimer des opinions à l'emporte-pièce lorsqu'il le décide ; le grand frère Antauro Humala purge une peine de prison pour l'organisation d'un coup d'État contre Fujimori ; les privilèges dont il bénéficiait et sa participation dans des affaires étatiques sont à l'origine d'un tel scandale qu'il a été récemment transféré dans une prison de haute sécurité. Le frère cadet Alexis Humala avait, lui aussi, tenté d'utiliser sa proximité généalogique avec le Président pour passer des marchés du gaz avec des entrepreneurs russes mais il a été désavoué par le Président dès le début de son mandat. Plus récemment, la sœur Ima Sumac Humala s'est prononcée contre le projet Conga et a rappelé à son frère ses « promesses » de campagne. [Voir [1].
Après deux mois d'attente, l'exécutif publia enfin le Règlement de la Ley de consulta previa le 3 avril 2012. [Voir http://es.scribd.com/doc/87823525/consulta-previa]. La mesure peut être considérée comme positive car les groupes indigènes devront désormais être consultés sur les activités extractives prévues sur leurs territoires ; le Pérou devient ainsi le premier pays d'Amérique Latine à adopter une telle protection sociale. Cependant, diverses organisations indigènes ont signalé les points critiques de la loi et de son règlement dans le cadre des rencontres nationales tenues dès le mois de décembre 2011. Ces organisations (AIDESEP, CONACAMI, CNA et ONAMIAP) ont fait remarquer que plusieurs articles ne respectent pas les droits collectifs établis dans la Convention 169 de l'OIT et elles ont réclamé des changements. Devant le mutisme de l'exécutif, elles ont demandé un arbitrage à la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) (La República du 21 février 2012).
Dirigeants indigènes s'opposant à la Loi de consultation préalable, La República du 21 février 2012
La juriste Raquel Yrigoyen a souligné les points critiques du Règlement en relevant d'abord que l'État n'avait pas à consulter les peuples indigènes avant d'attribuer les concessions, mais seulement dans les phases ultérieures d'exploration et d'exploitation. De la sorte, la mesure va à l'encontre du texte de la Cour IDH sur le Droit des peuples indigènes et tribaux sur leurs terres ancestrales et leurs ressources naturelles, texte qui précise dans son dispositif 329 que les États doivent obtenir le consentement libre et informé des peuples indigènes avant l'exécution des projets qui peuvent affecter leurs droits de propriété sur leurs terres, territoires et ressources naturelles. Deuxièmement, la loi stipule que ce n'est pas l'État qui consulte les peuples mais les entreprises concessionnaires, ce qui laisse ouverte la possibilité d'accords inégalitaires. De plus, le règlement n'a pas considéré le terme « consentement » des peuples avant la mise en valeur de leurs terres, ce qui va à l'encontre des dispositions 330 et 331 de la Cour IDH qui disposent que ce sont les États qui ont l'obligation de consulter les peuples et d'obtenir leur consentement avant le début de toute activité dans leurs territoires. Troisièmement, les gouvernements régionaux et locaux perdent leur autonomie constitutionnelle pour effectuer les consultations préalables car ils ont été soumis au Vice-ministerio de l'interculturalidad, dépendant du Ministère de la Culture. Enfin, les Rondas campesinas, les groupes d'auto-défense civils n'ont pas été inclus comme sujets de consultation préalable dans le règlement, contrairement à ce qui est affirmé dans le premier article de la loi (Servindi, le 8 avril 2012).
Le Projet Conga, l'oligarchie minière et le pétrole
Les problèmes posés par la Loi de consultation préalable et son règlement sont d'autant plus critiques dans le pays que depuis son accession au pouvoir, le gouvernement du Président Humala a annoncé l'extension des concessions minières sur tout le territoire national. Rien d'étonnant donc au fait que la grande majorité des conflits sociaux soient associés à l'exploitation des ressources naturelles dans un nouveau contexte caractérisé par la défense des droits des populations et des peuples indigènes.
Il semble évident que le gouvernement se doit de respecter ces droits et de favoriser le développement durable. Et pourtant, le Premier Ministre Oscar Valdés ne cesse d'exprimer son mépris pour les dirigeants du mouvement de défense des populations affectées par les mines, notamment dans le cas du projet Conga de l'entreprise multinationale Yanacocha. En effet, face à l'impasse où on s'est trouvé dès le mois de décembre 2011, lorsque la population de Cajamarca a manifesté son rejet de l'extension autoritaire de l'exploitation dans leurs territoires collectifs, le gouvernement a nommé une commission d'experts qui devaient démontrer la viabilité du projet dans le respect des ressources naturelles. Le rapport vient d'être publié le 21 avril, mais auparavant plusieurs faits méritent d'être soulignés.
Le 1er février 2012 s'est déroulée une Marche nationale pour l'eau, à l'appel des organisations de défense de Cajamarca, qui a réuni des dizaines de milliers de personnes venues du Nord à Lima, et qui a été suivie par des collectifs de jeunes, des femmes, des travailleurs, des intellectuels, des forces progressistes et de gauche, y compris des militants du parti Gana Perú. Ils demandaient que l'accès à l'eau soit reconnu comme un droit humain que l'État devait garantir, selon un projet présenté depuis novembre au Congrès ; ils réclamaient aussi la protection des sources des fleuves et des lacs face aux grands projets extractifs ; et l'interdiction de l'utilisation du mercure et de l'arsenic dans les activités minières. Face à ce mouvement social d'importance, qui a débouché sur l'arrêt de travail d'environ 6.000 mineurs à Cajamarca, le Premier Ministre Valdés refusa de négocier avec les dirigeants des populations, arguant que le gouvernement ne devait traiter qu'avec les autorités élues. [Voir http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente/el-agua-y-sus-filtraciones-politicas-13-02-2012]. Le porte-parole de Gana Perú Fredy Otárola déclara que la Marche était « extrémiste » et tentait de porter un coup fatal aux projets miniers dans le pays (El Comercio du 9 février 2012). D'autre part, la demande de déclarer l'eau comme droit humain fut interprétée par la droite comme un fait de démagogie politique qui excluait le fond du problème : pour élargir l'usage de l'eau, il faut privatiser les services hydriques qui ont été déclarés monopole d'État par le gouvernement de Velazco Alvarado, en 1968. (El Comercio du 24 mars 2012). [Voir http://elcomercio.pe/opinion/1391917/noticia-editorial-derecho-al-hecho].
Le 15 mars, Valdés déclarait que les dirigeants de Cajamarca voulaient « faire de la politique » en s'opposant au gouvernement, et il discrédita le mouvement social en prétextant que ce sont des « pseudo-écologistes » qui imaginent qu'ils n'auront plus d'eau dans la région, alors que l'on aurait démontré, d'après lui, qu'il y aura deux ou trois fois plus d'eau. Valdés annonça également que la position du gouvernement « serait maintenue jusqu'au bout », laissant entendre qu'il ne reviendrait pas sur l'imposition d'un projet rejeté par l'ensemble du peuple de Cajamarca (La República du 15 mars 2012). Le Président Humala avait fait des déclarations semblables à la télévision, affirmant que la lutte pour l'eau s'était politisée, et disqualifiant les dirigeants et les populations de Cajamarca ; cette prise de position lui valut des critiques directes de la part de Marco Arana, dirigeant de Tierra y Libertad pour qui, si l'imposition du projet devait se poursuivre, on allait vers une escalade de violence certaine.[Voir http://elcomercio.pe/politica/1392896/noticia-presidente-humala-esta-contaminado-mineras-afirmo-marco-arana].
Dans ces conditions, il semble évident que la demande d'une expertise internationale destinée à analyser la viabilité du projet Conga, et la Loi de consultation préalable n'allaient pas changer une position autoritaire décidée dès le mois de décembre 2011. Le 18 mars il déclarait encore : « Les Péruviens [doivent] s'habituer au fait que les décisions d'un gouvernement sont des politiques d'État… Nous devons travailler à la formalisation du secteur minier du pays. » En dehors de sa vision autoritaire de ce qu'il entend par « décisions gouvernementales », il faisait allusion au fait que les conflits de Madre de Dios sont différents de ceux de Conga car dans cette région les mineurs s'opposent à la nouvelle loi sur l'interdiction du secteur minier informel, largement répandue et durement réprimée.
Au début avril, Valdés envoya des troupes et des agents de Police dans les localités de Cajamarca qui devaient être affectées en première ligne par le Projet Conga. Le Front de défense écologique et régional de Cajamarca rejeta une telle mesure de militarisation de leur région et décréta une mobilisation le 9 avril, puis une grève le 11 avril. Le Président régional, Gregorio Santos, demanda une négociation avec l'exécutif pour éviter un déchaînement de violence (La República du 9 avril 2012).
Le mouvement social à Cajamarca continue, La República du 9 avril 2012
Finalement, le 21 avril, après qu'il eut reçu le rapport des experts internationaux, le Président Humala annonça que le Projet Conga serait mené à son terme avec des régulations demandées à l'entreprise Yanacocha. Il reviendrait aux ministères de l'énergie et des mines, ainsi qu'à ceux de l'agriculture et de l'écologie, de garantir que les exigences de l'exécutif soient respectées par Yanacocha. Il déclara également que l'accès à l'eau serait garantie au titre de politique prioritaire de l'État qui, par ailleurs, allait investir dans des projets d'énergie, d'infrastructure, de logement, de programmes sociaux, de travail, d'éducation et d'agriculture, tel que le barrage de Chonta. Yanacocha veillera à suivre les exigences sociales et écologiques stipulées par l'expertise internationale et les études préalables. Les treize provinces devront être bénéficiaires et surtout les districts les plus touchés : Sorochuco, Huasmín, La Encañada et Bambamarca. Yanacocha sera contraint de constituer un fonds social destiné à développer des infrastructures productives et d'irrigation capables de bénéficier aux familles les plus pauvres. Enfin, l'entreprise prendra l'engagement de garantir environ 10.000 postes de travail pour la population locale. (La República du 21 avril 2012). L'entreprise Yanacocha ne s'est pas encore exprimée sur ces exigences.
Malgré ces offres très importantes, du moins sur le papier, les dirigeants de Cajamarca, dont Gregorio Santos, Marco Arana et Ydelso Hernández, ont rejeté le nouveau Projet Conga et ils ont demandé qu'il soit déclaré non viable. Ils ont accordé une trêve au gouvernement jusqu'au 31 mai, date à laquelle une grève générale et indéfinie pourrait débuter dans la région, et probablement ailleurs car un appel a été lancé à tous les peuples affectés par les mines. Les dirigeants du mouvement Terre et liberté, Marco Arana et Pedro Francke, ont demandé au Président Humala de convoquer une Assemblée nationale des gouvernements régionaux, avec la participation du Réseau des municipalités urbaines et rurales, de l'Association des municipalités du pays, et des représentants des organisations sociales afin d'ouvrir un débat national sur la nouvelle politique minière dans le but de construire des accords solides entre tous les partenaires sociaux (La República du 24 avril 2012).
Projet Conga rejeté, La República du 24 avril 2012
Le 6 mai dernier, un groupe d'écologistes et des représentants du Comité de défense de Cajamarca a entrepris une marche de protestation devant l'Ambassade du Pérou à Paris ; et la sœur du Président, Ima Sumac Humala, a demandé à son frère d'accomplir ses promesses de campagne sur le droit des populations à la conservation de leurs ressources naturelles. [Voir : http://www.youtube.com/watch ?v=I6QZE7pAPBg&feature;=player_embedded#].
Les ressources minières représentent une richesse considérable pour le pays puisque l'exportation minière en 2011 a constitué 60% de la valeur totale des exportations nationales. Sur un total de 46 millions de dollars exportés, 27 millions de dollars proviennent des minerais, dont 75% pour l'or et le cuivre. La valeur des exportations minières correspond à 4,8 fois le budget national pour l'éducation et 8,4 fois le budget de santé en 2012. Cependant, comme le note Javier Diez Canseco, l'importance de la concentration de la production de minerais en une vingtaine d'entreprises conduit à l'émergence d'une nouvelle oligarchie minière. Dans le cas du cuivre, 52% de la production en 2011 est venu de deux entreprises, Antamina et Cerro Verde ; dans le cas de l'or, ce sont trois entreprises : Yanacocha, Barrick Misquilchilca et Buenaventura (partenaire de Yanacocha) qui ont assuré 48% de la production. Il existe donc une immense concentration de pouvoir économique et politique dans un nombre restreint d'entreprises dont la rentabilité est aussi considérable. Pourtant, l'État n'est parvenu à récupérer par la voie de l'impôt que 17% du montant total exporté en 2011, soit 4.5 millions de dollars ; voilà bien la nouvelle oligarchie minière (La República du 27 février 2012). En outre, alors que le gouvernement avait annoncé sa participation directe dans l'exploitation du pétrole par le biais de l'entreprise Petroperú, la décision ne s'est concrétisée qu'en avril, lorsque son président a annoncé que l'État récupérera six gisements à Talara et un gisement à Loreto dont les contrats vont se terminer. Les nouveaux contrats seront soumis à un appel d'offre public et l'État participera comme associé minoritaire. D'autre part, le Président Humala a annoncé le 4 avril que le gisement de gaz naturel situé dans la région de Camisea (Cusco), dit Lote 88, reviendra finalement à l'État après avoir été attribué en 2006 par le Président Toledo à l'entreprise Consorcio Camisea. L'exploitation de ce gisement permettra la construction du Gasoducto Sur Andino et les projets complémentaires destinés à produire le gaz pour la consommation interne, ce qui modifiera les ressources énergétiques du pays en commençant par le sud de la région andine (La República du 4 avril 2012).
Le Président Humala annonce le retour du Lote 88 à l'État péruvien
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CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU, MAI 2012 : NARCOTERRORISME, DROITS HUMAINS ET ENFANTS-SOLDATS
Situation du narcoterrorisme dans les régions du Huallaga et du VRAE
La question du terrorisme senderiste a occupé une place importante sur la scène politique nationale depuis le mois de janvier, et elle a atteint un pic au cours du mois d'avril. Depuis lors, le traitement incompétent de cet épineux problème national par le gouvernement est en train de provoquer une crise politique très grave qui s'est déjà soldée par la démission des ministres de l'Intérieur et de la Défense, malgré le soutien du Premier Ministre Oscar Valdés.
En janvier, il y eut d'abord les tentatives des senderistes du Mouvement pour l'amnistie et les droits fondamentaux (MOVADEF), fidèles à la « pensée Gonzalo » — le chef historique du Parti communiste du Pérou-Sentier Lumineux (PCP-SL), Abimael Guzmán —, pour devenir un parti légal. Le 2 février, le Registre des organisations politiques du Jury national d'élections rejeta l'inscription de ce mouvement qui revendique une idéologie de la violence incompatible avec les valeurs démocratiques. Cette tentative, largement médiatisée, fut l'occasion d'un rappel vigoureux à la mémoire de la guerre interne de la part des organisations et des personnalités démocratiques du pays. Il n'en reste pas moins que la sortie publique des jeunes défenseurs de la « pensée Gonzalo » rend explicite la prégnance des idées fondamentalistes douze ans après la fin du conflit armé interne. Comme il apparaît dans un entretien réalisé par Flor Huilca, pour ces jeunes d'une vingtaine d'années, il ne s'est agi que de « guerre populaire » et non de terrorisme, et les personnes incarcérées ne sont pas des terroristes mais des « prisonniers politiques » ; ils considèrent que Guzmán fut « un grand homme », et qu'il faut une « amnistie générale » pour parvenir à la réconciliation nationale. Fondé en 2009, le MOVADEF est composé par environ 40% d'anciens prisonniers accusés de terrorisme et 60% de jeunes recrues ; ils ont récolté 350.000 signatures, accréditant 75 comités en province et 20 à Lima et au Port du Callao (La República du 22 janvier 2012).
Si le MOVADEF représente une sorte de bras politique du senderisme idéologique, négationniste et fondamentaliste, deux autres branches représentent le senderisme armé qui continue à se développer en association avec les trafiquants de drogue. La première branche dirigée par Florindo Flores, « camarada Artemio », est celle qui s'est installée dans la région du Huallaga, en Amazonie nord, loyale à Guzmán ; la seconde, dirigée par Víctor Quispe Palomino, « camarada José », s'est affirmée dans la région des fleuves Ene et Apurímac, dite région VRAE, opposée à Guzmán. Une nouvelle branche s'est constituée récemment dans la région de La Convención, dans l'Amazonie du Cusco, à proximité relative du Brésil. Les gouvernements installés après 2000, c'est-à-dire ceux d'Alejandro Toledo et d'Alan García, n'ont pas accordé d'importance politique à ces zones servant de refuge aux groupes armés ; de leur côté, les Forces armées ont négligé leur rôle de protection des populations civiles et de lutte contre des groupes armés associés au trafic de drogues dans un pays qui est le second producteur mondial de cocaïne - après la Bolivie. Dans cette situation, rien d'étonnant à l'augmentation considérable des actions terroristes, surtout après 2000, dans ces régions où les « senderistes » loyaux et opposés à la « pensée Gonzalo » contrôlent effectivement des territoires importants, utilisent des armes de guerre, attirent des nouvelles recrues, ou — comme dans le VRAE — élèvent des enfants destinés à devenir des « pioneritos », c'est-à-dire des enfants-soldats qui grandissent dans la haine des militaires et dans l'idéologie de la violence aveugle.
La capture de « Artemio », chef des narco-senderistes du Huallaga
En février 2012, les Forces armées et la Police nationale sont parvenues à capturer le chef de la branche senderiste du Huallaga, le « camarada Artemio », dernier membre de l'ancien comité central du PCP-SL encore en liberté. Son identité ne fut connue qu'en 2010 : Florindo Eleuterio Flores Hala, né à Arequipa en 1961, militaire jusqu'à la fin 1980, arrivé dans la zone de Aucayacu (Huallaga) en 1984, avec pour mission de recruter des militants, d'imposer des règles aux chefs de la drogue et de créer un comité régional du Sentier Lumineux. Il a accompli toutes ces tâches jusqu'à sa capture, le 11 février, près du village de Cachiyacu, district La Pólvora, Huallaga (La República du 13 février 2012). Il a été enfermé dans la prison de la Base Navale du Callao, où purgent leurs peines Abimael Guzmán, Oscar Ramírez « Feliciano », Oscar Polay Campos, et Vladimiro Montesinos (El Comercio du 27 février 2012). [Voir : http://elcomercio.pe/politica/1380172/noticia-artemio-base-naval-otros-terroristas-presos-esta-carcel].
Pour Mario Vargas Llosa, cette opération a été « impeccable » et elle marque « le début de la fin du terrorisme », ce qui semble exagéré et mal informé si l'on tient compte du fait que le narcoterrorisme reste de toute actualité au VRAE et à La Convención. L'écrivain soulignait aussi que les militaires avaient respecté les droits d'« Artemio », prouvant ainsi que la lutte contre le terrorisme peut se mener dans le cadre de la loi. Il établissait néanmoins un lien avec la période du conflit armé et affirmait que ce « fut une erreur de croire que les Forces armées violaient de manière naturelle les droits humains » (El Comercio du 13 février 2019). La déclaration est douteuse car elle semble appuyer les thèses négationnistes défendues par Fujimori relativement aux excès commis par les militaires durant la guerre interne. [Voir : http://elcomercio.pe/politica/1373780/noticia-caida-artemio-marca-momento-definitivo-desaparicion-terrorismo].
Le Procureur de la République a annoncé qu'on compte 23 témoins sous protection qui accuseront Florindo Flores de l'assassinat de 131 personnes, dont 56 soldats de l'Armée, 43 policiers et 32 civils. Le procès sera dirigé par les juges de la Chambre pénale nationale, présidée par Riccardo Brousset et le Ministère public sera représenté par les Bureaux provinciaux pour les cas de terrorisme. Par ailleurs, l'accusé sera probablement soumis à un seul procès pour permettre une sentence rapide. Il risque la peine maximale de prison à perpétuité (La República du 16 février 2012).
Camarada Artemio », capturé le 11 février 2012. La República du 16 février 2012
La capture de « Artemio » pourrait déboucher sur un déplacement des forces narco-terroristes du camarade « José », Víctor Quispe Palomino, dirigeant, avec son frère Martín ou Marco, dit « Gabriel », du Militarizado Partido comunista del Perú dans la région du VRAE depuis 1983 (les États-Unis offrent 5 millions de dollars pour sa capture). D'après le général Hidalgo, ancien ministre de l'Intérieur, « José » a en effet un projet expansionniste et voudrait atteindre Junín vers le Nord, puis la vallée de la Convention et Madre de Dios vers le Sud, près de la frontière avec le Brésil. De leur côté, les Renseignements militaires considèrent que les forces de « José » seraient très dangereuses au Huallaga si l'on tient compte du fait qu'en trente ans de conflit, « Artemio » n'a jamais pu abattre un hélicoptère, alors que « José » a pu s'attaquer à 4 hélicoptères, ce qui donne une idée de sa capacité militaire. « José » a déjà effectué deux tentatives pour contrôler le Huallaga et selon un militaire infiltré dans le VRAE, la capture de « Artemio » va faciliter ce projet qui lui permettra de contrôler les deux vallées produisant environ 50% de la cocaïne au Pérou (La República du 15 et du 19 février 2012).
Dirigeants senderistes du VRAE, Infografías de La República
La prise d'otages dans la région de La Convención (Cusco), au Sud du VRAE
Le 9 avril 2012, une colonne conduite par l'un des deux frères qui dirigent les narcoterroristes du VRAE, Martín Quispe Palomino, dit « camarada Gabriel », ont pris en otages 36 travailleurs des entreprises Skanska et Construcciones Modulares, dans la localité de Kepashiato (District d'Echarate, Province de La Convención, Cusco). Pourquoi cette prise d'otages dans la région ? En fait, elle est liée au souci des senderistes du VRAE d'effectuer des bonnes affaires avec les entreprises qui, à l'instar de Skanska chargée de l'exploitation du gazoduc du Camisea, investissent dans l'exploitation de ressources importantes comme le gaz. De plus, la zone est d'accès très difficile et non contrôlée par les militaires, ce qui justifie que la voie Pichari-Kepashiato-Kiteni, puis Echarate,-Quillabamba-Vilcabamba serve de route pour conduire la drogue vers le Brésil voisin (El Comercio du 19 février 2012). [Voir : http://elcomercio.pe/peru/1376508/noticia-narcoterroristas-dominan-valles-vilcabamba_1–.
Cependant, les membres de la Région militaire du VRAE dirigée par le général Ronald Hurtado Jiménez connaissaient la présence des troupes de « Gabriel » dans cette zone où l'on ne trouve que deux bases militaires à Colpa et à Pacobamba, très insuffisantes pour limiter les agissements des narcoterroristes. Dès le mois de février, on projetait de créer une autre base à Villa Vírgen. Le chef du Comité d'autodéfense locale (CAD), Antonio Pariona Huarcaya, avait informé les militaires que « Gabriel » disposait d'une centaine de transporteurs de drogue qui circulent vers Andahuaylas ou Cusco dans la zone de la localité de Kiteni – là où habitent des Indiens Matsiguenga. Il avait réclamé également l'installation de bases militaires mobiles à Osama et à Pampacona (La República du 17 février 2012). Pariona déclara aussi avoir été contacté à plusieurs reprises par « Gabriel » et ses lieutenants qui l'invitaient à les rejoindre mais qu'il avait rejeté la proposition ; il critiqua les militaires du VRAE qui ne viennent jamais dans la zone et ne font rien pour « gagner la population ». De leur côté, les militaires affirment « qu'ils valorisent les actions des CAD, mais qu'ils se méfient aussi car ils sont infiltrés par des narcoterroristes, et que de manière générale, contrairement aux années 1990, de nos jours les populations soutiennent les senderistes qui leur donnent l'occasion de mieux vivre, raison pour laquelle la solution n'est pas seulement militaire mais aussi sociale. » (La República du 20 février 2012). Si les choses sont ainsi, et que les militaires soulignent eux-mêmes l'intérêt des programmes sociaux dans ces régions affectées par la violence, alors pourquoi ne pas avoir agi ? Probablement par négligence et par manque de décisions politiques en haut lieu, et non pas, comme le laisse entendre le Premier Ministre, par la faute des responsables locaux des Forces de l'ordre (Perú 21, le 12 mai).
Zone d'exploitation de gaz de Camisea, La República
Pour revenir à la chronique des événements, une colonne d'une centaine de senderistes, y compris des enfants, armés de fusils AKM et de pistolets Browning, a pris d'assaut le 9 avril la localité de Kepashiato, pénétrant dans les locaux de l'entreprise et s'emparant d'une trentaine de travailleurs et fonctionnaires. Ils organisèrent un meeting dans la rue, distribuèrent des tracts et affirmèrent leur opposition au Président Humala qui autorise l'exploitation du gaz de Camisea par une entreprise exploitant des travailleurs. Le lendemain, deux femmes furent libérées et envoyées à Kiteni, siège de l'entreprise, pour apporter les revendications en échange de la libération des otages (La República du 11 avril 2012). [Voir : http://www.larepublica.pe/infografias/el-escenario-del-secuestro-y-ataque-terrorista-13-04-2012].
Pour le journaliste Gustavo Gorriti, directeur de IDL-Reporteros, le cas de Kepashiato ressemble à la prise de 70 otages de l'entreprise Techint, dans le campement de Toccate, qui eut lieu en 2003. Tous furent libérés en bonne santé. Or Techint est sur le point de quitter la zone et de nouvelles compagnies cherchent à contrôler le gazoduc, dont Skanska. Les senderistes du VRAE étaient au courant des conflits entre les travailleurs et les entreprises depuis la mi-mars lorsqu'ils s'étaient déclarés en grève ; les senderistes utilisèrent donc cette situation comme prétexte à leur action. Cette dernière semble avoir été préparée depuis au moins le mois de février, lorsque des colonnes senderistes furent aperçues dans la zone. [Voir : http://idl-reporteros.pe/2012/04/21/avistamientos-de-senderistas/].
La libération des otages était soumise à une longue liste de demandes : dix millions de dollars, dix rouleaux de fil pour détonations, cinq cents détonateurs électriques, un millier de détonateurs ordinaires, dix boîtes de dynamite et une « taxe annuelle » de un million deux cent mille dollars, ainsi que cinq cents tenues de sport. Malgré le refus du gouvernement de négocier avec les senderistes, une négociation fut engagée avec l'entreprise Skanska et les échanges ont été captés à la radio par Gustavo Gorriti, de IDL-Reporteros. [Voir : http://idl-reporteros.pe/2012/04/16/la-negociacion/]. Comme le remarque Gorriti, cette prise d'otages soulève le problème de l'insurrection dans une région amazonienne où l'économie de la drogue se développe à côté d'une grande pauvreté. Il met aussi en lumière les défis tactiques d'un ennemi qui connaît intimement le territoire et qui a amélioré sa capacité d'utiliser des snipers afin d'assassiner des dizaines de militaires et de policiers. Mais il s'agit surtout d'un groupe armé qui défie l'État en s'attaquant au cœur énergétique du pays et qui cherchera sans doute à renouveler cette menace. [Voir : http://www.larepublica.pe/13-04-2012/gustavo-gorriti-el-drama-de-kepashiato-muestra-la-compleja-y-vulnerable-situacion-del-vrae].
Pour délivrer les otages de Kepashiato, le gouvernement lança l'Opération liberté dirigée par le chef des Forces armées, le général Luis Howell Ballena. Selon les sources officielles, 1500 soldats et 400 policiers furent mobilisés dans cette opération, dont une partie a consisté en attaques aériennes des zones censées abriter les senderistes, alors qu'en réalité elles concernaient aussi des localités habitées par des Indiens Matsiguenga, contraints de fuir la zone de Incare pour se mettre à l'abri dans la ville de Quillabamba (La República du 21 avril 2012). [Voir http://www.larepublica.pe/21-04-2012/nativos-machiguenga-se-refugian-en-quillabamba-huyendo-de-guerra-interna#video1].
Les Forces armées déployées au VRAE, La República
Des affrontements entre les forces de l'ordre et les senderistes eurent lieu à Alto Lagunas et Alto Postakiato le 12 avril, où trois militaires trouvèrent la mort, dont la capitaine Nancy Flores, pilote d'un hélicoptère. Un groupe de journalistes de La República partit à la recherche de l'hélicoptère tombé dans la zone d'Alto Lagunas, près de Kiteni, et rencontra une colonne d'une quinzaine de senderistes dirigée par « Gabriel » en personne. Un entretien improvisé fut réalisé, au cours duquel « Gabriel » se montra très arrogant et très fier de leur dernière action, encore en cours à ce moment, dans un décor macabre où étaient exposés comme trophées les habits ensanglantés des soldats tués dans les combats (Doris Aguirre, La República du 18 avril 2012).
Martín Quispe Palomino, « camarada Gabriel », La República du 18 avril 2012
Le 14 avril, les senderistes décidèrent de libérer les otages sans recevoir ce qu'ils demandaient ; on apprit que l'action avait été organisée par « José » et dirigée par son frère « Gabriel », ainsi que par les mandos « Alipio » (Orlando Borda Casafranca) et « Guillermo ». Les otages se retrouvèrent dans le lieu dit Pampa Espíritu, à quelques heures de marche de la localité de Chihuanquiri, d'où ils furent conduits à Kiteni en bus. Le Président Humala déclara à Cartagena de Indias, où il participait à la VIe Cumbre de las Américas, qu'il n'y avait pas eu de rançon, et que les « délinquants terroristes » responsables de cette action seraient capturés prochainement. Humala qualifia l'opération de « victoire importante et impeccable » dans la lutte contre le narco-terrorisme. Il vint à Kiteni le 15 avril pour saluer personnellement les travailleurs libérés (Doris Aguirre, La República du 15 avril 2012). [Voir : http://www.larepublica.pe/15-04-2012/los-36-de-camisea-entre-la-libertad-y-el-encuentro-postergado-con-sus-familias#video1].
Des bavures émaillèrent pourtant l'action des militaires lors de l'Opération liberté ; ainsi, trois policiers (Luis Astuquillca, César Vilca et Landert Tamani) furent abandonnés par un hélicoptère le 12 avril alors qu'ils subissaient une attaque senderiste ; Tamani fut tué et son corps retrouvé. Les forces armées offrirent 20.000 soles pour toute information les concernant. Or, comme s'interroge Gorriti, pourquoi abandonna-t-on ces policiers ? Le fait reste inexpliqué et ni le gouvernement ni les militaires n'ont rien tenté pour l'éclaircir, se bornant à déclarer que la recherche des policiers était une priorité. [Voir : http://idl-reporteros.pe/2012/04/14/combate-en-postakiato/, http://idl-reporteros.pe/2012/04/18/el-abandono/].
Cependant, alors qu'on pensait, comme Gorriti, que les deux policiers égarés étaient morts, Luis Astuquillca revint le 29 avril à Kiteni accompagné par deux femmes matsiguenga qui l'avaient trouvé dans la forêt et lui avaient sauvé la vie (La República du 30 avril 2012).
Quelques jours plus tard, le père de César Vilca annonça aux militaires de Kiteni qu'il avait retrouvé le cadavre de son fils grâce à l'aide de deux Matsiguenga qui l'avaient découvert en forêt. Or, le Ministère de l'intérieur avait annoncé que cette tragique découverte avait été effectuée « avec le soutien des policiers et des militaires ». Pour le député Javier Diez Canseco, ce communiqué était « inacceptable », car c'était « un manque de respect vis-à-vis du pays, des militaires qui se battent, du père de César, et cela doit se payer politiquement. » Il réclama la démission immédiate du ministre de l'Intérieur, Daniel Lozada. [Voir : http://www.larepublica.pe/03-05-2012/diez-canseco-sobre-caso-cesar-vilca-se-le-esta-mintiendo-al-pais].
La crise gouvernementale s'approfondit rapidement et le Premier ministre Valdés annonça le 7 mai que si les ministres de l'Intérieur et de la Défense, Alberto Otárola, étaient censurés par le Congrès, comme le demandaient plusieurs congressistes, il présenterait sa mise en disponibilité au Président (La República du 8 mai 2012). [Voir aussi : http://www.larepublica.pe/columnistas/el-diario-negro/el-cuerpo-05-05-2012].
Le plus inquiétant, comme le remarque Diez Canseco, est que personne n'assume de responsabilités politiques, le Premier Ministre ne reconnaît pas les échecs, suggère juste des « imprécisions », ou rejette la responsabilité sur d'autres, dont le chef de la police de La Convención, le général Salvador Iglesias (Perú 21 du 12 mai). Le Président Humala lui-même confirma dans leurs postes les ministres en question avant d'entreprendre un long voyage en Asie (du 8 au 10 au Japon, du 10 au 12 mai en Corée du Sud, laissant son poste à la Vice-presidenta Marisol Espinoza). En fait, d'après Nelson Manrique, la crise concerne le gouvernement tout entier [htt">htt">htt">htt">htt">htt">htt">htt">htt">htt">2].
En tout état de cause, il est urgent de redéfinir une stratégie globale face au terrorisme et au trafic des drogues, en constituant une Autorité autonome au VRAE, capable d'apporter des réponses sociales, politiques et économiques, et pas seulement militaires. [Voir : http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente/responsabilidad-politica-07-05-2012#comment-form]. Diez Canseco propose que l'Autorité autonome du VRAE soit remise à un haut-fonctionnaire avec rang de ministre qui centraliserait les responsabilités et les programmes du gouvernement dans cette région, tout en travaillant avec les gouvernements régionaux. Le VRAE concerne les provinces de La Convención (Cusco), de Satipo (Junín), Tayacaja (Huancavelica), La Mar et Huanta (Ayacucho), avec une population rurale estimée à 250.000 personnes. Le ministère de l'économie devrait pouvoir financer - avec les ressources minières - les programmes sociaux, politiques et militaires nécessaires à l'élimination du trafic de drogues et du terrorisme. Parallèlement, le gouvernement devrait assumer enfin la moralisation et la modernisation de l'État et des Forces armées. On peut se demander si le nouveau ministre de l'Intérieur, Wilber Calle, accordera de l'importance à cette proposition politique qui priorise les actions concrètes au VRAE. [Voir [3].
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Associée à la mauvaise gestion des conflits sociaux (Cajamarca, Paita, Cañete, Apurímac et Madre de Dios), cette crise gouvernementale a été catalysée par la prétendue « opération impeccable » destinée à récupérer les otages des senderistes, qui a fait 8 morts et plusieurs blessés.
L'incompétence des Forces armées et de Police dans la gestion de cette affaire, et plus largement dans la lutte contre le terrorisme, est évidente. On savait depuis le mois de février que les senderistes dirigés par « Gabriel » étendaient leurs activités dans La Convención ; mais aucune base militaire n'a été installée. Deux reportages approfondis sur la prise d'otages, effectués par Gorriti, ont montré que les Sinchis (policiers spécialisés dans la lutte anti-terroriste) envoyés dans la zone de combat sont de jeunes hommes sans aucune expérience militaire ; de fait, depuis 2008, 71 soldats et policiers ont été tués au VRAE et la plupart parmi eux avaient moins de 22 ans (El Comercio du 11 mai 2012). Le 12 avril, un hélicoptère de la Police fut attaqué et le pilote abandonna sur place trois Sinchis, dont deux trouvèrent la mort. Puis, le 14 avril une embuscade fut tendue aux militaires qui recherchaient les Sinchis abandonnés ; deux soldats furent tués et dix blessés, qui durent attendre des heures avant d'être secourus par les médecins civils des entreprises locales, un fait qui montre que les patrouilles sortent sans soutien médical militaire. D'autres affrontements ont suivi, provoquant un total de 8 morts parmi les forces de l'ordre alors qu'aucun senderiste n'a été touché ou fait prisonnier. Mais ce n'est pas tout, car on a appris plus tard que les gilets pare-balles donnés aux soldats du VRAE n'étaient pas aux normes et que les rations alimentaires distribuées pendant les opérations au Camisea étaient périmées ; une enquête officielle a été ouverte pour définir les responsabilités de ces faits scandaleux [Voir : http://www.larepublica.pe/04-05-2012/alberto-otarola-viajo-al-vrae-para-revisar-chalecos-antibalas-y-raciones-de-comida].
Enfin, pour preuve encore du manque de coordination entre la Police et les Forces armées, il faut rappeler que l'équipe qui captura « Artemio » dans la vallée du Huallaga a offert ses services pour collaborer à la lutte anti-terroriste au VRAE, sans que personne ne songe à les appeler. La Police avait pourtant bien démontré l'importance du travail de renseignements et de l'établissement d'un réseau d'informateurs qui, avec la technologie de pointe, avait conduit à la capture de « Artemio » et à la désarticulation de son réseau narcoterroriste (Gorriti, Caretas du 26 avril 2012). Il est donc évident que si ces problèmes d'incompétence, de corruption et de manque de moyens financiers et techniques au sein des Forces armées et de la Police ne sont pas résolus rapidement, l'objectif présidentiel de « pacification » complète du VRAE en 2016 ne sera pas atteint. [Voir : http://www.larepublica.pe/06-05-2012/oficiales-en-guerra-contra-sl-sin-inteligencia-habra-mas-muertos].
Keiko Fujimori, congressiste d'extrême droite, n'a pas laissé passer l'occasion de critiquer le « manque de stratégies pour en terminer avec le terrorisme » du Président Humala, tout en réaffirmant son soutien à la gestion du premier ministre Valdés. (El Comercio du 13 mai 2012). [Voir : http://elcomercio.pe/politica/1414131/noticia-keiko-sobre-humala-contra-sendero-le-falta-liderazgo-estrategia].
Situation des droits humains : le procès à Telmo Hurtado et les enfants-soldats
Le lieutenant Telmo Hurtado, jugé pour sa responsabilité dans le massacre de 62 paysans, dont 26 enfants, de la communauté d'Accomarca (Ayacucho) le 14 août 1985, a été entendu lors de l'ouverture de son procès le 9 avril dernier. Il a déclaré sa responsabilité dans la mort de 31 personnes et dit ne pas savoir ce qui en était pour les 14 personnes restantes. Cependant, il n'a pas demandé pardon, ni n'a montré le moindre remords ou sens de la culpabilité. Encore une fois, il a préféré justifier son action en disant qu'il « avait reçu des ordres de capturer ou de détruire tous ceux qui se trouvaient dans la zone rouge, y compris le guide », ajoutant que ces ordres lui avaient donnés par l'officier des renseignements César Gustavo Martínez Uribe Restrepo. Il a précisé que le chef politico-militaire de la région d'Ayacucho en 1985, le général Wilfredo Mori Orzo, était au courant de cette opération. Hurtado a déclaré qu'il conduisait 18 soldats, qui suivaient le guide Filomeno Chuchón Ticse vers Accomarca ; ils trouvèrent 5 terroristes sur le chemin, qu'ils tuèrent dans le dos. Arrivés dans la communauté, ils découvrirent du matériel subversif dans les maisons ; puis il ordonna que les paysans soient réunis et conduits dans une cabane. 13 soldats se placèrent autour et tuèrent environ 25 personnes, ensuite « suivant la procédure » Hurtado lança une grenade dans la cabane.
Il rejeta les accusations de viols de femmes et de pillages de la communauté. Á la question de savoir qui assassina les autres personnes, il répondit qu'il fallait demander au chef de la patrouille « Lince 6 », Juan Rivera Rondón, qui faisait explorer les parties hautes de la communauté. Après les faits, Hurtado reçut l'ordre de « nettoyer » la zone, c'est-à-dire brûler les corps pour éliminer les preuves, mais cela ne fut pas fait. En outre, Hurtado affirma avoir été témoin, avec l'état-major de la Seconde Division d'infanterie de l'Armée, de 14 exécutions extrajudiciaires en juin 1985. Auparavant, le chef militaire Nelson Gonzales Feria, lui avait ordonné de creuser sept fosses dans le camp d'entraînement, dans lesquelles les cadavres furent enterrés. Enfin, Hurtado déclara qu'il avait gardé le silence dans le but de protéger sa famille, mais qu'il pensait que les vrais responsables, qui lui avaient demandé de faire semblant d'être « devenu fou » pour rester dans l'ombre, devaient maintenant répondre de leurs décisions (La República du 10 avril 2012). [Voir http://www.larepublica.pe/10-04-2012/accomarca-hurtado-admite-31-muertes-pero-no-pide-perdon].
Procès de Telmo Hurtado, La República du 10 avril 2012
Comme le remarque Salomón Lerner Febres, les déclarations d'Hurtado nous informent sur l'extrême indifférence pour la vie humaine à laquelle on était arrivé pendant les années de violence. Le bourreau parle avec la plus grande froideur, sans aucun signe de repentance, des exécutions non seulement de personnes soupçonnées de terrorisme mais aussi des autres, femmes et enfants, qu'on ne pouvait pas soupçonner. Ses révélations concernent aussi l'impunité de certains officiers, largement favorisée par le gouvernement de Fujimori qui les promut dans leur carrière militaire. On peut espérer qu'ils seront condamnés formellement. [Voir l'article : http://www.larepublica.pe/columnistas/desde-las-aulas/la-voz-del-perpetrador-15-04-2012].
Les enfants-soldats, honte pour le Pérou
Un fait qui a causé scandale et stupeur générale sur la scène politique nationale au mois d'avril a été la présentation — par Canal N — d'une vidéo dans lequel est montrée la vie des enfants dans les campements senderistes du VRAE. Certes, on savait depuis la publication du Rapport final de la CVR en 2003 que des enfants avaient été enlevés de leurs familles pour être endoctrinés dans les campements senderistes, mais c'est la première fois qu'on peut visionner un document qui illustre la réalité tragique vécue par ces enfants souvent nés de parents senderistes et élevés collectivement, et qu'on les observe en train de changer de campement, des armes ou des affaires domestiques à la main.
La vidéo enregistrée probablement en 2009 ou 2010 par un membre de l'organisation armée, montre la manière dont les enfants sont destinés dès leur plus jeune âge aux « écoles populaires ».
Des images obtenues par les militaires en octobre 2010, et présentées à la télévision dans le programme « Panorama » en novembre 2010, montraient l'une de ces écoles d'endoctrinement, et on y aperçoit trois enfants du dirigeant senderiste « Alipio ». L'Armée affirmait lutter contre ces agissements. [Voir http://elcomercio.pe/peru/672636/noticia-sendero-luminoso-continua-adoctrinamiento-ninos-vrae]. L'ancien chef des Forces armées, Otto Guibovich, déclarait qu'en dehors des actions militaires contre ces pratiques contraires à la loi, il fallait créer un courant d'opinion publique qui les rejette énergiquement (El Comercio du 20 novembre 2012). [Voir http://elcomercio.pe/politica/672267/noticia-ejercito-trabaja-impedir-que-sendero-luminoso-capte-ninos]. De fait, les militaires étaient au courant de ces pratiques depuis le mois d'août 2010, lorsque le chef du VRAE, le général Benigno Cabrera, déclarait que les frères Quispe Palomino avaient constitué une sorte d'entreprise narco-terroriste qui utilisait les habitants de la région et recrutait des enfants. [Voir http://elcomercio.pe/peru/627372/noticia-clan-familiar-senderistas-redcluta-menores-edad-vrae-segun-ejercito-peruano].
Dans les images diffusées en avril 2012, des femmes dirigées par la « camarada Olga » apprennent aux enfants à lire et à écrire tout en les endoctrinant avec l'idéologie marxiste-léniniste, mais surtout maoïste. Les hommes leur enseignent la manipulation des armes achetées ou volées aux forces de l'ordre, et leur « baptême de feu » a lieu vers 15 ans, lorsqu'on leur demande de tuer leur premier « ennemi » militaire ; par la suite il est courant que ce soient ceux qui donnent le coup de grâce aux soldats prisonniers (La República du 20 avril 2012). [Voir : http://www.larepublica.pe/20-04-2012/los-ninos-de-sendero-luminoso-en-el-vrae-imagenes-de-impacto].
Enfants endoctrinés par le Sentier Lumineux dans la région du VRAE, La República du 23 avril 2012
Dans un autre reportage, on peut observer des scènes similaires d'endoctrinement d'enfants avec des armes à feu ; une femme récupérée par les forces de l'ordre, « Yaneth », témoigne des faits car elle vivait dans l'un de ces campements, et elle confirme que les terroristes soumettaient les enfants et les femmes à une vie très dure, voire cruelle. [Voir : http://www.larepublica.pe/22-04-2012/testigo-sindica-hermanos-quispe-palomino-de-liderar-una-narcoguerra-en-el-vrae].
Les dirigeants de la Centrale ashaninka du fleuve Ene (CARE) ont manifesté leur tristesse et leur indignation face à l'existence « d'enfants terroristes » et ils ont tenu à rappeler l'état d'abandon où ceux-ci se trouvaient du fait de l'État et du nouveau gouvernement, notamment dans le domaine de l'éducation. On apprend ainsi que les enseignants refusent de travailler dans les écoles du Fleuve Ene et que près de deux mille enfants ne bénéficient pas d'accès régulier à l'école primaire. [4].
Les faits tragiques dans le VRAE ont été dénoncés par plusieurs personnalités et organisations. L'ancien président de la CVR, Salomón Lerner Febres, a qualifié la séquestration et l'utilisation d'enfants par les restes du terrorisme comme un crime contre l'humanité, largement documenté dans le Rapport final. Il demande leur récupération physique et mentale car les années vécues avec des terroristes ont dû entraîner des traumatismes. La directrice de l'ONG Save the Children, Teresa Carpio, a déclaré que les terroristes de Sentier Lumineux devaient être dénoncés pour crimes de guerre, suivant la jurisprudence établie par la Cour pénale internationale qui a jugé des responsables de tels actes au Congo entre 2002 et 2003 [Voir : http://www.larepublica.pe/21-04-2012/piden-denunciar-por-crimenes-de-guerra-sl-por-usar-ninos-en-actos-terroristas].
Le 27 avril, l'ONG a décidé de présenter dans un premier temps une requête formelle au Ministère public afin de récupérer les enfants et sanctionner les responsables, et a précisé que si cela venait à tarder, elle s'adresserait à la Cour pénale internationale. L'organisation UNICEF a également dénoncé la situation terrible des enfants endoctrinés et a demandé aux autorités d'intervenir rapidement.
Il faut préciser que depuis 2003 les forces de l'ordre elles-mêmes ont récupéré 160 personnes, adultes et enfants, dans la zone de Vizcatán (Huanta, Ayacucho) (La República du 29 avril 2012) [Voir : http://www.larepublica.pe/29-04-2012/policia-logro-rescatar-160-personas-secuestradas-por-senderistas-en-el-vrae]. En outre, en suivant les indications d'une jeune fille repentie nommée « Teresa », les Forces armées ont découvert des fosses communes en 2011, avec des restes d'enfants qui, comme le raconte « Teresa », mouraient de maladies, de faim et de froid. (La República du 23 avril 2012). De son côté, le Président Humala a affirmé qu'il était en train de prendre les mesures nécessaires pour libérer les enfants des mains des terroristes et a promis le châtiment des coupables. Le Défenseur du peuple, Eduardo Vega, a dénoncé également le recrutement forcé des enfants et a affirmé que les populations de la région du VRAE se trouvent dans une situation lamentable ; il a exigé que l'État intervienne dans les plus brefs délais pour mettre un terme à cet état de faits (La República du 22 avril 2012).
De son côté, le Premier Ministre, Oscar Valdés, a lancé un appel aux ONG travaillant sur les droits de l'Homme pour soutenir le gouvernement dans la récupération des enfants utilisés par le Sentier Lumineux dans la région du VRAE. Parmi elles, le Réseau Citoyens protégeant des Citoyens, dédié à la protection des femmes des Forces armées et des jeunes recrues du Service militaire volontaire, a répondu que, depuis 2009, et en collaboration avec d'autres organisations nationales et internationales, il consacrait beaucoup d'efforts à mettre un terme à l'utilisation d'enfants et de jeunes dans les groupes armés. Ainsi, en 2010, eut lieu une rencontre pour traiter le problème avec la participation du ministère de la défense, le ministère de la femme, Save the Children, Instituto de defensa legal, COMISEDH, Coordinadora nacional de derechos humanos et l'UNICEF. La même année, le 23 mars, fut présenté le Rapport « Niños usados como soldados en el Perú », au niveau national et auprès de la Cour inter-américaine des droits de l'Homme (138e session).
Le rapport aborde aussi bien l'utilisation d'enfants par le Sentier Lumineux que le recrutement illégal d'adolescents par les Forces armées, exigeant que l'État péruvien interdise ces pratiques anticonstitutionnelles. En 2010 et 2011, plusieurs publications effectuées par les organisations du Réseau, proposant des mesures pour mettre fin au problème, ont été diffusés dans le pays. En conclusion, les organisations de la société civile ont manifesté leur indignation, mais ont également proposé de solutions à un drame connu depuis fort longtemps, elles se montrent préoccupées par le fait que l'État n'ait pas pris les mesures tant attendues pour en finir avec la recrutement forcé d'enfants et d'adolescents au Pérou. [Voir : http://www.idl.org.pe/notihome/notihome01.php ?noti=26].
De fait, l'État péruvien n'a jamais pris la mesure du problème posé par la permanence de groupes armés liés au trafic de drogues depuis la fin officielle de la guerre interne, en 2000. Et, de toute évidence, Valdés n'est pas au courant des efforts déployés par les organisations de défense des droits de l'homme qu'il a toujours préféré critiquer. La course à la croissance, aux investissements miniers et au modèle néolibéral semblent apparemment plus importants pour les gouvernements et pour les populations citadines qui vivent en tournant le dos aux réalités de violence, de pauvreté et de manque d'État en milieu rural. Ainsi, ces groupes armés se sont développés et enrichis sans grand effort et sans trouver de véritables obstacles ; la guerre larvée permanente que l'on vit au Pérou, douze ans après la fin de la guerre interne (1980-2000), ne fait pas seulement des victimes parmi les hommes armés, militaires et narco-terroristes, mais aussi parmi les enfants et les femmes recrutés de force par les senderistes du VRAE, et parmi les adolescents recrutés par les forces armées en toute illégalité. Or, il semble évident que la libération des enfants et des jeunes des mains des terroristes doit passer d'abord par l'anéantissement des groupes armés au sein desquels ils vivent ; quant aux mineurs recrutés dans l'Armée, le Président Humala ne s'est pas encore prononcé, mais il est évident que, s'il le décide, ce problème peut être réglé très rapidement au sein de son ancienne institution.
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[1] http://elcomercio.pe/opinion/1389957/noticia-editorial-ley-otros-asuntos-familia->http://elcomercio.pe/opinion/1389957/noticia-editorial-ley-otros-asuntos-familia], .
En tout état de cause, l'absence des partis politiques rend possible une personnalisation du pouvoir politique considérable aux mains du Président et des membres de son gouvernement ; ceux-ci agissent ainsi sans contrepouvoir et sans être tenus de rendre compte de leurs décisions. La crise actuelle illustre la situation politique structurelle au Pérou.
Le règlement de la Ley de consulta previa, rejeté par plusieurs organisations paysannes
Le vote de la Ley de consulta previa, inscrite dans le cadre de la convention 169 de l'OIT, destinée à garantir les droits collectifs des communautés indigènes en leur octroyant le droit de participer aux décisions relatives à leurs territoires et leur environnement écologique, s'est effectué le 6 septembre 2011. Il s'agissait de l'une des premières mesures inscrites dans le programme de la Grande transformation du gouvernement de Lerner. [Voir le texte de la Loi : [http://www.larepublica.pe/06-09-2011/aqui-el-texto-completo-de-la-ley-de-consulta-previa-promulgada-por-el-presidente-humala->http://www.larepublica.pe/06-09-2011/aqui-el-texto-completo-de-la-ley-de-consulta-previa-promulgada-por-el-presidente-humala
[2] http://www.larepublica.pe/columnistas/en-construccion/crisis-08-05-2012->http://www.larepublica.pe/columnistas/en-construccion/crisis-08-05-2012
[3] http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente/vrae-crisis-y-alternativas-13-05-2012->http://www.larepublica.pe/columnistas/contracorriente/vrae-crisis-y-alternativas-13-05-2012
[4] http://servindi.org/actualidad/64249 ?utm_source=feedburner&utm;_medium=email&utm;_campaign=Feed%3A+Servindi+%28Servicio+de+Información+Indigena%29->http://servindi.org/actualidad/64249 ?utm_source=feedburner&utm;_medium=email&utm;_campaign=Feed%3A+Servindi+%28Servicio+de+Información+Indigena%29