Source : Poezibao
commentaire LVI
soleil qui montes montrant comme
serait douceur cette moitié
qui s’est couchée dessus la terre
comme un animal qui se meurt /
comme se séchant au soleil
de la tristesse comme un bœuf /
ou dans tes bras les créatures
que tu me donnerais pour monde
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commentaire LX (homero manzi)
feu qui ruine la pauvreté /
la sécheresse / l’abandon /
âpres mystères de l’adieu
que sème chaque créature
comme pain que tu désaigris /
douceur toute déversement
comme l’eau que tu m’es / travail
où ma pierre se trouvait écrite
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citation XIV (sainte thérèse)
bénie sois-tu douleur qui mis au monde
cet amour tout âpre du temps / ces clairs
signes brisés comme de claires eaux
qui tombent vers le haut de la partie
supérieure de l’âme / oisillons
élevés pour bien plus que leur force /
créatures de calme ou grandissime
paix comme tes mains qui sentent l’odeur
de l’épouvante passée / comme écrite
contre les murs insouciants de la mort
qui passait à pied à travers des rues
où toute enfance était dissimulée
Juan Gelman, L’Opération d’amour, poèmes, présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, Gallimard, 2006, pp.91, 95, 117.
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commentaire IX
allons-nous faire un ? / m’es-tu ? / te
suis-je dans cette nuit célébrée comme feu qui tourne ? /
flétries tombent-elles les distances / Craquent-elles
comme feuilles écrasées par l’automne ? / distances
de toi à moi / de toi à toi comme des eaux
secrètes où je flotte / rameau
à la dérive de toi ? / mer qui mouille mon front /
mon palais / mon oubli / mes petits os / houle qui chante
au milieu de toi ? / fleur qui regarde / route
où est passée la peine à pied ? / ou comme un enfant dans tes bras
endormi ? / vie nouvelle dans tes bras /
parfumés comme toi ?
Juan Gelman, L’Opération d’amour, poèmes, présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, Gallimard, 2006, p. 36
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sud-américains
est-il parti à travers l’air ou était-il
une invention de gorge verte ?
Isidore Ducasse de Lautréamont
est parti à travers l’air ou était :
une invention de gorge verte
un Isidore de l’autre amour
qui mangeait des visages pourris
mélancolies désespoirs
peines toutes blanches tristes rages
et dressait ensuite son courage
et remplaçait l’infortune
par l’une ou l’autre clarté
le sud-américain mag-
nifique aux algues dans la bouche
où trouvait-il des clartés ?
il les trouva sur des visages pourris
mélancolies désespoirs
peines toutes blanches tristes fureurs
qui lui touchèrent le coeur
comme on dit le pourrirent
désespéré attristé
on le vit comme un petit oiseau
au coin de Canelones et Boul’ Mich’
promenant la Mélanco Lie
comme une fiancée pure
dissimulant des viols
commis dans le quartier
“oh douce fiancé” lui disait-il
la clouant contre ses bras
ouverts et une sorte de
mer lui sortait
par le regard par la bouche
par les poignets par la nuque
« voyons comment tu meurs » lui
disait-il « ma belle » lui disait-il
pendant qu’il l’aimait spécialement
et la désarmait à Paris
comme une fête comme un feu
hier continue de crépiter
dans une chambre de Poissonnières
qui sent la sueur américaine
ea Ducasse Lautréamont
montévidéen ea ea
eu vide o monte de ta mort
pareille à une boule d’or
une chaleur dégainée
la tristesse décapita
la fureur apaisa
il est parti à travers l’air ou était
un Isidore Ducasse mort
cette fois-ci seulement
ou comme pluie d’un autre amour
mouilla Notre Dame de
la Commune armée et aimée
avec la beauté qui montait
de sa gorge vert pourri
en mille neuf soixante-sept
par le ravin des perroquets
on l’entendit presque voler
ou il semblait crépiter
contre la forêt trouée
les désespoirs du pays
les mélancolies les plus grosses
mais ce fut l’autre qui tomba
cette fois-ci seulement
pendant que Ducasse se reposait
dans un campement d’ombres
Extrait d’Obscur ouvert, éditions PHI, 1997
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AMOUR QUI S’APAISE finit-il?
commence-t-il? quelle nouvelle
vieillesse l’attend encore?
quel éclat? amour qui se penche
de soi-même vers soi-même étant
aussi mémoire de soi
mangeant
de soi quelle vieille
ombre lui sucera la nuque? oh pestes
qui ont visité mon pays
ont attaqué sont parties
étrangères comme le vent
Extrait d’Obscur ouvert, éditions PHI, 1997
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Par la parole tu me connaîtras
tout l’avalanche les peines les oublis
les pénombres la chair la mémoire
la politique le feu le soleil d’oiseaux
les plumes les plus violentes les astres
les repentirs près de la mer
les visages la houle la tendresse
parfois à peine pénombrent
oublient brûlent raillent astrent
politisent ensoleillent oisellement
plument se repentent et mémorisent maréent
s’envisagent et houlent ou s’attendrissent
se cherchent et se lèvent quand ils tombent
meurent comme des substances naissent comme des substances
s’entrechoquent sont la cause de mystères
balbutient bavent se mangent se boivent
se pleuvent pour dedans aux fenêtres
se voient venir circulent dans leurs bras
finissent par donner dans la parole comme morts
ou comme vivants tournent cillent
libres dans le son pris dans le son
ils arpentent le monde humainement
n’appartiennent à personne astres mers
comme des repentirs comme des oublis
peines en feu ou politiques
pénombres de la chair oiseaux de ce visage
et l’avalanche la mémoire la houle
Extrait d’Obscur ouvert, éditions PHI, 1997
Poèmes traduits par Jean Portante
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http://prairial.free.fr/gelman/gelman.php
Juan Gelman est un poète argentin, né en 1930 à Buenos Aires, et qui a connu l’exil lors de la dictature de 1976-1983. Auteur d’une grande quantité de livres, il vit à l’heure actuelle à Mexico.
Durant les années 70 et 80, les dictatures ont dévasté l’Amérique Latine. Soutenus par les Etats-Unis, sous le prétexte de la lutte contre le communisme, les militaires ont pris le pouvoir dans pratiquement toute l’Amérique Latine, le 27 juin 1973 en Uruguay, le 11 septembre 1973 au Chili, le 24 mars 1976 en Argentine… Ils ont immédiatement lancé de véritables chasses à l’homme pour démanteler toute organisation de gauche, incarcérant et assassinant opposants, intellectuels… Nombre d’entre eux ont connu les camps clandestins de concentration, la torture, l’exil… Nombre d’entre eux sont morts entre les griffes de leurs tortionnaires…
Pour rendre la répression encore plus efficace, sous la houlette des services de renseignements chiliens, une organisation secrète a été mise en place, dont tous les rouages sont petit à petit mis à jour à l’heure actuelle: elle portait le nom évocateur d’Opération Condor, véritable insulte au noble oiseau latino-américain. Il s’agissait de coordonner les actions des polices politiques et des services de répression… Un fichier connu sous le nom de «fichier de la terreur» a été découvert au Paraguay, qui dévoile les détails de l’Opération Condor…
Il y a en Argentine environ 30.000 portés disparus. Un centre de torture et de détentions clandestin fonctionnait à Buenos Aires dans un garage, et portait le nom tristement célèbre de Automotores Orletti. Des militaires uruguayens participaient aux interrogatoires et aux tortures. Le fils de Juan Gelman, dont le cadavre a été retrouvé, a été assassiné dans le cadre de cette opération. Sa belle-fille María Claudia est quant à elle portée disparue. Au moment de sa disparition, elle était enceinte, et tout démontrait que son bébé né en captivité avait été enlevé.
Dans le cadre de l’Opération Condor, les enfants en bas âge des prisonniers étaient enlevés à leurs parents et confiés à des familles, en général de militaires. Ce crime odieux consistait en fait à nier jusqu’au bout l’humanité des prisonniers en niant leur identité, leur existence. Certains enfants, aujourd’hui âgés de plus de 20 ans, ont été retrouvés.
Après le retour à la démocratie dans les années 80, en particulier en Argentine et en Uruguay, des lois d’amnistie pour les crimes de violations des droits de l’homme favorisant les tortionnaires les plus féroces ont été votées. En Argentine pourtant, le vol d’enfants est resté imprescriptible et des procès sont ouverts contre les anciens responsables. En Uruguay, la loi votée en 1986 et confirmée par plébiscite en 1989, porte le nom de Loi de Caducité de la Prétention Punitive de l’Etat. Elle est censée obliger l’Etat à rechercher toute la vérité sur les faits, mais interdit de châtier les coupables. Pourtant, le fameux article 4 est très rarement appliqué et les disparus n’ont pas réapparu.
Juan Gelman avait acquis la certitude, après une enquête longue et minutieuse, que sa belle-fille avait accouché à Montevideo. Bloqué dans ses recherches, il a fait appel au président de l’Uruguay, Dr Julio María Sanguinetti, pour lui demander une aide qui lui a été promise. Sans nouvelles au bout de quelques mois, Juan Gelman a décidé d’envoyer une lettre ouverte et publique, qui est parue le dimanche 10 octobre 1999 dans les journaux Página 12, de Buenos Aires, et La República, de Montevideo.
L’absence de réponse rapide du président uruguayen a provoqué la réaction de nombreux intellectuels à travers le monde qui ont eux aussi écrit pour demander une réponse. Celle-ci est arrivée le 5 novembre, et le président Sanguinetti y affirmait qu’aucun enfant n’avait jamais été volé en Uruguay, contrairement à ce qui arrivait fréquemment en Argentine. Les lettres de soutien à Gelman ont continué d’affluer à la présidence uruguayenne, qui a accusé Juan Gelman de faire une utilisation partisane de son affaire, alors que l’Uruguay se trouvait en période électorale. Un mois après sa prise de fonction, le nouveau président de la République uruguayenne, le Dr Jorge Batlle a pu annoncer au poète et à ceux qui l’avaient soutenu que la petite-fille de Juan Gelman avait été retrouvée, qu’elle était bien née à l’Hôpital Militaire de Montevideo, et qu’elle acceptait de se soumettre aux tests A.D.N. qui permettraient de vérifier avec certitude ses liens biologiques avec Juan Gelman.
Les tests ont été effectués en France, dans un laboratoire parisien, et sont venus confirmer ce qu’avaient prouvé les enquêtes parallèles du poète et du nouveau président de la République: Juan Gelman avait bien retrouvé sa petite-fille.
En 2005, un nouveau gouvernement mené par le président Tabaré Vázquez (membre du parti Socialiste) est arrivé au pouvoir. Depuis le moment où sa petite-fille Macarena a été retrouvée, Juan Gelman n’a eu de cesse de retrouver le corps de sa belle-fille María Claudia. L’ex-président Jorge Batlle avait archivé l’affaire, la plaçant sous le sceau de la Loi de Caducité. Depuis sa prise de pouvoir Tabaré Vázquez a déclaré que l’affaire Gelman n’entrait pas dans le cadre de la Loi de Caducité, et les recherches ont repris activement. Le 8 aoüt 2005, les militaires ont remis au président un rapport dans lequel était indiqué les endroits où sont enterrés un certain nombre de disparus. Après excavations, certains corps sont apparus, mais pas celui de María Claudia. L’attitude du gouvernement, et en particulier de Tabaré Vázquez, est équivoque. Celle des militaires ne l’est pas du tout, comme on pourra le voir dans les interviews du lieutenant général Bertolotti, Commandant en chef de l’Armée de Terre, des 29 et 30 décembre 2005…
Pour plus d’informations:
Derechos humanos en América Latina — Equipo Nizkor (page en espagnol, quelques documents en anglais)