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Ne l’appelez plus jamais Eurobonds

Publié le 24 mai 2012 par H16

C’est grâce à un aimable lecteur que j’apprends qu’enfin, la France prend les choses en main en matière de finance mondialisée et apatride : malgré l’opposition ferme et claire de l’Allemagne à la création des eurobonds, Hollande et Moscovici ont maintenant un allié de poids dans le soutien à ce projet grandiose : le Ministère de la Culture. Ce dernier s’est même fendu d’un gentil petit mailing de masse pour le faire savoir.

Et c’est ainsi qu’on peut recevoir le texte suivant dans sa boîte mail, avec un petit sourire et ce délicat parfum de Foutage de Gueule si typique des administrations en charge de claquer l’argent du contribuable de la façon la plus palpitante et froufroutant possible.

À l’attention de (Internaute Contribuable lambda, insérez votre nom ici)

Dans les négociations liées à la mise en place du pacte budgétaire européen, revient de façon insistante le projet d’émettre des obligations communes aux États membres de la zone euro, appelées en anglais eurobonds. Pour désigner en français ces obligations dont la création a pour objectif d’éviter la spéculation sur les dettes des États les plus en difficulté par une mutualisation des dettes des pays de la zone euro, le terme euro-obligation vient d’être officiellement recommandé par la Commission générale de terminologie et de néologie :

Euro-obligation : « Obligation publique émise dans la zone euro et garantie par l’ensemble des États membres de cette zone ou par certains d’entre eux. Note : L’émission commune d’euro-obligations, si elle était décidée, serait un moyen de mutualiser les dettes souveraines d’États membres de la zone euro. » Journal officiel du 13 mai 2012

Voilà, c’est dit. Il fallait que quelqu’un le fasse, qu’une administration se dresse devant le monde trop agité à faire face à une crise monétaire sans précédent pour remettre un peu d’ordre, et il fallait que la Commission générale de terminologie et de néologie lève enfin (enfin !) le doute sur ce qu’on devait utiliser comme terme pour eurobonds, cet abominable bricolage anglophone.

Heureusement que cette Commission existe ! Heureusement qu’il y avait ce frétillant groupe de bénévoles (c’est-à-dire qui ne sont pas payés spécifiquement pour cette commission mais — rassurez-vous — émargent tout de même largement aux frais de l’Etat) pour permettre à la langue française de progresser sereinement sur le chemin douillet de la finance internationale de camouflage monétaire ! S’ils n’étaient pas là, nous, benêts de Français, aurions continué stupidement à dire eurobond, jetant à chaque fois qu’on prononce ce mot une nouvelle pelletée de terre sur le cercueil de notre belle langue, snif snif.

Heureusement que le Ministère de la Culture nous a fait savoir, par voie de mail, que cette Commission avait bien fait son travail ! Heureusement qu’il existe encore des gens consciencieux au sein de ce beau et grand ministère au budget supérieur à celui de la Justice, qui nous aura offert des ministres pédophiles festivals chamarrés et des expositions vibrantes de l’utilisation judicieuse des fonds qui lui sont confiés !

Mais attendez ! Si vous croyez que ça s’arrête là, vous vous trompez !

Non seulement, au Ministère de la Culture, on travaille d’arrache-pied pour trouver de vraies solutions à la crise qui secoue la zone euro, mais en plus, il se trouve même des gens (qui doivent faire des heures sup’, je vous dis même pas) qui poussent le professionnalisme jusqu’à faire ceci :

Par la même occasion, nous avons le plaisir de vous faire découvrir les derniers dépliants de notre collection « Vous pouvez le dire en français » : « Faire des affaires en français » et « Employeurs, employés : l’entreprise responsable » que vous trouverez en pièce jointe.

La Délégation générale à la langue française et aux langues de France (ministère de la Culture et de la Communication) compte parmi ses missions l’enrichissement et la modernisation de la langue française. À ce titre, elle concourt, en lien avec la Commission générale de terminologie et l’Académie française, à l’élaboration de nouveaux termes permettant à chacun de disposer d’équivalents français aux termes étrangers. A l’heure actuelle, plus de 6 000 termes ont été publiés au Journal officiel et sont accessibles sur la base de données www.franceterme.culture.fr.
Vous pouvez nous contacter si vous souhaitez des exemplaires papier de ce document ou des informations complémentaires.

Suivent ici les coordonnées de la responsable du mail et surtout « de la mission de sensibilisation et développement des publics », que je vous épargne, ce n’est pas le moment d’embêter Stéphanie G. qui doit avoir un peu la misère au bureau de faire des choses pareilles (si tant est qu’elle a deux sous de recul sur son travail, bien sûr).

Ici, évidemment, une seule réaction s’impose :

WTF ?

Il y a donc des gens qui ont claqué une masse assez considérable de temps et d’argent pour se fendre d’un gentil dépliant et d’un joli petit mail pour nous expliquer comment il faut parler, et montrer que ahem broum broum je prends ma respiration ahem Faire Des Affaires En Français, c’est possible, avec des morceaux d’Entreprise évidemment Responsable dedans. Si Dieu massacre un chaton à chaque fois qu’un fonctionnaire produit une ineptie, nous venons d’assister à un chaticide d’ampleur biblique.

Je suis un peu désolé de le dire aussi crûment, mais soyons bien clair, Stéphanie G. : toi et ta commission de néologisme machin, arrêtez de nous pourrir le budget avec vos petits dépliants à la con. Oui, à la con : comment peut-on sérieusement imaginer une utilité à ce genre de production ? Comment peut-on sérieusement justifier cette dépense au moment où des gens voient leur pouvoir d’achat dégringoler, leur emploi disparaître, leur futur se rétrécir ?

À tous ces chevaliers du futile qui se draperont de l’indispensable lutte contre la mondialisation et la victoire de l’anglais sur le français, je rétorquerais qu’ils n’existent que parce que, justement, une quantité heureusement croissante de Français ont fait l’effort d’aller voir ailleurs, à l’international, ce qui s’y passait et comment cela s’y passait au lieu de se regarder le nombril franchouillophile et francophone.

Il est grand temps d’arrêter ces pitreries.



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