Laïcité : prière et intérêt public local

Par Sampieru

L’actualité de la cause laïque est mouvementée ces temps-ci… Au moment où le cabinet Ayrault compte parmi ses membres un Ministre des Cultes connu pour ses prises de position en faveur d’une laïcité « sans épithète » (Manuel Valls), le Conseil d’Etat élargit sa jurisprudence sur le concept d’intérêt public local en validant une subvention pour l’organisation d’une rencontre internationale portée par une communauté catholique. Contestée comme portant atteinte à la loi de 1905, l’aide publique est ainsi maintenue, alors que, semble-t-il, les participants à cette manifestation se sont aussi réunis pour prier ensemble…
Pas de subvention pour le culte


Une précision pour commencer : il n’existe pas de définition juridique du « culte ». On utilise en droit administratif une référence à Duguit qui le décrit en 1925, dans son Traité de droit constitutionnel, comme « l'accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle. » Un culte suppose donc la réunion de 2 éléments, subjectif et objectif : une croyance et une communauté réunie pour pratiquer des rites (objectif).
Tel était l'enjeu semble-t-il de la situation parvenue devant le Conseil d'Etat ce printemps, à propos d'une rencontre internationale pour la Paix, organisée à Lyon en 2005 par la communauté catholique Sant'Egidio (considérée plutôt comme une ONG, son fondateur est ministre du gouvernement Monti en Italie). A l'époque, la Ville de Lyon avait apporté un soutien financier à l’association porteuse du projet, au moyen d’une subvention, une subvention contestée par les gardiens de la Laïcité aux motifs que, ce faisant, la collectivité contrevenait aux dispositions de la loi de 1905 dont la lettre est précise : l’Etat ne subventionne aucun culte. Les secours des personnes publiques aux associations cultuelles se limitent à l’entretien des bâtiments qui servent au culte public.
Prier pour la paix : cultuel ou pas cultuel ?
Il est donc tout à fait impossible pour une collectivité territoriale de délivrer une aide à une manifestation qui réunit des personnes pour prier. Et, relèvent les requérants, les participants à la rencontre de Lyon se sont réunis pour prier. Oui, mais non en fait, précisions obtenues auprès des organisateurs, c'est en marge des conférences que certains se sont rendus librement dans l'édifice religieux de leur choix pour prier. Dès lors, la question posée au juge administratif pouvait être la suivante : financer une association catholique qui organise un évènement pour la Paix dans le monde, à l'occasion duquel il est loisible aux participants de prier à cette intention, est-ce subventionner un culte ?
La réponse des magistrats du Palais Royal est très claire : une association non cultuelle se réclamant d’une confession particulière peut obtenir des secours publics, quand bien-même ses membres se réunissent pour prier. Une limite toutefois, et elle est stricte : il doit s'agir d'appuyer un projet ou une activité qui n'est en rien destinée au culte.
C’est ainsi que, relevant que les organisateurs se bornaient à réserver un horaire libre permettant à ceux qui le souhaitaient, parmi les participants à leur congrès, de se réunir pour prier dans les édifices cultuels de leur choix, la manifestation ne présentait aucun caractère cultuel. En outre, le fait que les participants et les intervenants soient par ailleurs des personnalités religieuses, et qu’il y ait un rapport entre les conférences et les thématiques des religions représentaient ne suffit pas non plus à requalifier la manifestation en activité cultuelle.
Cette vision étroite de l’activité cultuelle devrait permettre assurément à de nombreuses structures de réclamer la protection de leur projet. Il faudra voir si elle se rapproche de la notion d’entreprise « de tendance », un instrument utilisé notamment dans le cadre des relations de travail.
Une prière d'intérêt public ?
Evidemment, mon titre est polémique, puisque le Conseil écarte le caractère cultuel de la manifestation. Mais on peut comprendre que certains bondissent et fassent le même raccourci: prier pour la Paix est d’intérêt général.
Lorsqu’il confirme l’analyse de la Cour d’appel sur le second point, le Conseil d’Etat rappelle en effet que la commune pouvait librement considérer que la manifestation neutre organisée par la Communauté catholique Sant’Egidio, présentait un intérêt public local, notamment parce que, en accueillant de nombreuses personnalités internationales, elle véhiculait une image positive de la ville et contribuait utilement à la vie économique de son territoire. Après tout, les chrétiens sont des consommateurs comme les autres...
Cela dit, si une personne publique veut apporter son soutien financier à une manifestation portée par une telle entité, le juge administratif protégera la laïcité en vérifiant 2 aspects de la subvention :
-la manifestation doit présenter un intérêt public local,
-le financement doit être exclusivement affecté au projet.
Bref, il ne s’agit évidemment pas de financer des prières, encore moins des prières de rue. Il s’agit de générer de l’activité économique. On peut certes s’interroger sur le fait qu’une manifestation religieuse donne une image positive pour la ville. D’aucuns penseraient plutôt le contraire… Et, avouez que dans le contexte actuel, la décision du Conseil d’Etat peut paraître assez provocatrice, alors qu’elle se borne à rappeler des éléments consolidés notamment l’été dernier.
Enfin, et il faut bien le dire, j’en connais plusieurs qui ne contrediraient pas le fait que prier, c’est d’intérêt général
Références décision : Conseil d'État 4 mai 2012 n°336462
Les décisions 2011 présentant des enjeux sur la laïcité
Sur la notion juridique de "culte" on pourra lire la contribution de P. Rolland aux Archives des sciences sociales et religieuses : "Qu’est-ce qu’un culte aux yeux de la République"