Les nuits de Karachi de Maha Khan PHILLIPS

Par Lecturissime

Un roman ambivalent

L’auteur :

Maha Khan Phillips est née à Karachi en 1976. Elle est spécialiste de l’analyse des conflits internationaux, diplômée de l’Université du Kent (Canterbury). A 18 ans, elle est partie s’installer à Londres où elle est aujourd’hui journaliste spécialisée dans la finance. Elle partage son temps entre Londre, Karachi et Bordeaux (où vit sa belle-mère française). Les nuits de Karachi est son premier roman.

L’histoire :

Amynah Farooqui écume les soirées branchées de Karachi qu’elle chronique dans un journal people. Avec ses amies d’enfance Mumtaz et Henna, elle est le parfait symbole d’une certaine jeunesse dorée pakistanaise, à mille lieues d’une population misérable et opprimée, irrésistiblement attirée par les discours extrémistes. Lorsque les trois filles décident de réaliser un documentaire sur la violence faite aux femmes dans leur pays, le film, qui acquiert une notoriété aussi subite que surprenante, va bouleverser leur existence...
Le talent de Maha Khan Phillips éclate dans ce premier roman étincelant d’un humour noir subversif, qui dynamite l’image de soumission des femmes dans les sociétés islamiques. Rien de tel que ce cocktail Chanel, sexe et cocaïne pour comprendre la décadence qui s’est emparée d’une certaine élite dans l’un des pays les plus instables du monde. (Présentation de l’éditeur)

Mon avis :

Maha Khan Phillips explique en ces termes son projet : « Je me suis aussi rendue compte que j’en avais marre de cette idée selon laquelle les femmes des pays islamistes sont toutes des victimes, ou toutes impuissantes d’une certaine manière. Alors j’ai pensé qu’il serait amusant d’inverser un peu l’idée de l’exploitation, et d’avoir des personnages féminins qui aimeraient exploiter d’autres femmes, et aussi des médias crédules. (…) J’ai l’impression que la violence envers les femmes est institutionnalisée, et que la religion est un outil pour maintenir les choses comme elles sont. A moins que le Pakistan n‘arrive à gérer le problème de la violence structurelle, nous allons devoir lutter pour avancer. Parce que souvent, ce sont aussi les femmes qui non seulement en sont victimes, mais perpétuent ces violences. (…) J’ai aussi un regard très cynique sur la manière dont les histoires d’oppression des femmes sont commercialisées. » (propos recueillis pour thehungyreader.wordpress.com, septembre 2010, traduction d’Aliénor Arnould)

La réflexion sur le rôle quelquefois diabolique des médias est assez bien mise en scène au travers de jeunes femmes insouciantes qui souhaitent à la fois défendre une femme opprimée et en profiter pour gagner en notoriété avec un reportage-choc. Si ces propos n’ont rien de nouveau, ils ont le bénéfice d’éclairer une logique commerciale pouvant mener au pire.

Le discours sur l’oppression des femmes est beaucoup plus ambivalent : cette oppression est une réalité qui est comme atténuée par l’auteur en ces pages, comme si elle était exagérée par les médias et par les femmes elles-mêmes. En présentant des jeunes femmes insouciantes, notamment Amynah, jeune femme superficielle indifférente à l’actualité de son pays, l’auteur éclaire sans doute une partie de la population pakistanaise, surprotégée, égoïste, plongée dans des mondes artificiels qui les éloignent de la réalité. Mais le personnage de Nilofer ne dessert-il pas la cause des femmes ? En souhaitant traiter le sujet avec cynisme et humour, l’auteur prend le risque d’être mal comprise de ses lecteurs.

Car quelle est la cible de l’auteure ? En choisissant une écriture facile, des personnages superficiels, une narration rendue fluide en multipliant les supports (articles de journaux, narration à la première personne, extrait du roman que rédige Amynah), il semble qu’un lectorat avide de lectures futiles soit visé. La violence, l’horreur sont soigneusement évitées au profit d’une légèreté de ton flirtant avec des sujets difficiles. Ce lectorat fera-t-il la part des choses et ira-t-il chercher au-delà des apparences ironiques du roman ?

Les nuits de Karachi est un roman dérangeant pour ces raisons…

Je vous renvoie à un article d’Amnesty International datant de 2010 sur les femmes parkistanaises : http://www.amnesty.ch/fr/actuel/magazine/2010-4/pakistan-femmes-enfermees-dans-la-tradition

Mustafa Qadri, chercheur sur le Pakistan pour Amnesty, explique à TF1 News en quoi la situation des femmes dans le pays est très difficile. :

http://lci.tf1.fr/monde/asie/pakistan-les-violences-contre-les-femmes-restent-trop-souvent-6797472.html

 

 Premières phrases :

« Courrier des lecteurs

Un lecteur d’Austin en colère

Cher Monsieur,

Je suis abonné depuis peu à votre publication. En tant qu’expatrié pakistanais, j’appréciais votre analyse des évènements du pays, jusqu’à ce que je tombe sur la chronique « Nuits de Karachi ». Monsieur, je suis absolument scandalisé que l’on puisse autoriser la parution d’une telle chronique dans un journal destiné aux Pakistanais résidant non seulement au Pakistan mais à l’étranger. »

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D’autres avis :

Yves ; Jostein

Les nuits de Karachi, Maha Khan Phillips, traduit de l’anglais (Pakistan) par Sabine Porte, Albin Michel, avril 2012, 315 p., 20 euros

Merci aux Editions Albin Michel.