Vous aurez l'occasion de lire bien des savantes exégèses sur l'exposition 1917 au Centre Pompidou Metz (ici aussi dans quelques jours, même si c'est bien moins savant), mais je veux d'abord commencer par les choses sérieuses. C'est une des premières images de l'exposition après le blindé qui occupe le hall du musée. Sur le mur du palier, avant d'entrer dans les premières salles d'exposition, que sont donc ces petites poupées toutes simples en fil de laine, suspendues au mur comme dans une arabesque dansante ?
Elles remontent à un artiste qui n'aurait guère de chance d'être admis dans l'auguste institution muséale, Francisque Poulbot, le Poulbot populaire, montmartrois, que Wikipédia qualifie de goguettier mais pas d'artiste, et qui donc est resté au seuil. Poulbot crée, juste avant la Grande Guerre, des poupées en porcelaine bien françaises, pour lutter contre les poupées allemandes importées, et il les nomme Nénette et Rintintin. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Nénette est le garçon et Rintintin la fille.
La guerre arrive, les bombes tombent sur Paris (on les nomme Gotha) et, on ne sait trop comment, les petits Parisiens se mettent à confectionner des petites poupées en fil de laine qui vont les protéger des bombes, magie populaire apotropaïque; ces petites poupées rudimentaires sont nommées Nénette et Rintintin (avec, sans doute alors, une inversion de sexe). Poulbot proteste un peu, mais n'y peut rien. Mais ces poupées ne protègent des bombes qu'à une condition : qu'elles aient été données, échangées, reçues (donc ni achetées, ni faites pour soi-même). La magie procède aussi de l'échange, même dans le Paris de 1917.
L'expression passe alors dans le langage courant (même chez Malraux...) et son sens original se perd un peu. Quel rapport avec Rintintin, célèbre chien hollywoodien (mort dans les bras plantureux de Jean Harlow et enterré à Asnières, faute de cimetière prêt à l'accepter aux États-Unis) dont la lignée se perdure encore aujourd'hui ? L'aviateur américain Lee Duncan ramena de la guerre deux bergers allemands, qu'il nomma d'après les poupées fétiches, et l'un d'eux (le mâle, Rintintin) fit carrière à la Warner Bros.
Mais de quoi parle-t-on donc ici, entre Poulbot, poupées de laine et chien starifié ? Du travail d'un artiste, Antoine Poncet, travail discret, comme flottant sur l'exposition, et qui restera sans doute inaperçu aux yeux de bien des visiteurs qui n'auront qu'un regard distrait pour cette ligne de poupées au mur (il n'était que de voir, lors de la visite de presse, le mépris avec lequel un de mes chers confrères, tout imbu de sa culture artistique condescendante, regardait cette installation, aux antipodes, pour lui, d'une 'bonne exposition scientifique'). J'avais découvert Antoine Poncet au Salon de Montrouge 2010, où il détonnait un peu, par son âge et par son travail : j'avais été frappé par son obsession de la ligne Maginot, un des plus beaux échecs de l'histoire de France (mais tous les murs ne sont-ils pas des symptômes d'échec ?).
Il a mis en place ici, ostensiblement pour les enfants, un mécanisme perturbateur, ni cartésien, ni marchand, ni muséal, ni savant, ni martial, ni industriel, ni catholique, une aberration joyeuse dans notre environnement gris. Tout un chacun (y aura-t-il un âge limite ?) pourra venir confectionner sa Nénette et/ou son Rintintin et l'échanger contre un autre, devenant ainsi assuré d'échapper à la crise et à la morosité et de vivre heureux et centenaire. Ou pas. Qu'attendez-vous ? Il sera bien temps, ensuite, de plonger dans 1917 et la guerre.
Photos 1 & 4 de l'auteur, photo 3 d'Antoine Poncet.
Voyage à l'invitation du FRAC Lorraine et du Centre Pompidou Metz.