Il en ressort que Nicolas Sarkozy est directement visé. Si directement visé qu'on a peine à croire qu'il ne pourrait être convoqué voire mis en examen d'ici l'été.
Des dénégations...
Rappelez-vous ce court échange, le 12 juillet 2010. Nicolas Sarkozy est encore président, interrogé par David Pujudas à l'Elysée. Il avait hésité à faire cet entretien. Mais l'emballement du scandale Woerth/Bettencourt, après les publications d'enregistrements pirates de conversation au domicile de la milliardaire à la mi-juin, l'avait contraint à sortir de sa réserve. Ce 12 juillet, donc, David Pujadas lui demande pourquoi il n'a pas demandé l'ouverture d'une instruction judiciaire indépendante, et/ou autorisé la création d'une commission d'enquête parlementaire; le journaliste rappela aussi les témoignages recueillis ces dernières semaines sur un financement politique illégal. Sarkozy fut glacial et outré:
Sarkozy : «Monsieur Pujadas, est-ce qu'ils parlent de moi, ces gens ?»Comme pour mieux enfoncer le clou, l'ancien Monarque compléta: «Derrière tout ça, il y a des officines.» Dans son esprit, tout ceci n'était qu'un complot. L'ennemi avait été désigné, Mediapart et la presse dite de gauche. Les services secrets allaient espionner deux journalistes du Monde, pour débusquer les fuites de PV: un conseiller de la ministre Alliot-Marie, David Sénat, fut muté sur une mission à Cayenne. Coïncidence, il vienne d'être nommé ce 23 mai 2012 auprès du procureur de Melun, presque une réhabilitation.
Pujadas : «Non, Ils n'ont pas parlé de vous.»
Sarkozy : «Bon»
... au calendrier des versements
Les auteurs de l'article, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, précisent: « Selon les procès-verbaux dont Le Monde a pris connaissance, le magistrat semble tenir pour acquis que M. Sarkozy a bénéficié, lors de sa campagne présidentielle de 2007, d'argent en espèces du couple Bettencourt. » Et les deux de préciser avec minutie le troublant calendrier des versements d'espèces de ce début d'année 2007.
Le 17 janvier 2007, l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt retirait 50.000 euros en espèces sur instruction de Patrice de Maistre, l'ancien gestionnaire de fortune.
Le 18 janvier, Liliane Bettencourt les remettait à de Maistre.
Le 19 janvier, ce dernier rencontrait Eric Woerth à proximité du siège de campagne de Nicolas Sarkozy. Woerth était alors trésorier de la campagne du candidat Sarkozy.
Le 28 janvier 2007, Patrice de Maistre était à Genève.
Le 30 janvier 2007, il rencontrait l'avocat René Merkt, qui gère les comptes non déclarés du couple Bettencourt. Ce dernier a confirmé aux juges qu'il a fait envoyer 100.000 euros en espèce au domicile de Liliane Bettencourt, sur instruction du gestionnaire.
Le 5 février 2007, 100.000 euros en espèces étaient déposés chez Mme Bettencourt, en présence de M. de Maistre, entre 17 h 15 et 17 h 45. Selon le Monde, « les enquêteurs ont établi que les fonds étaient toujours livrés ainsi ».
Le 7 février 2007, nouveau rendez-vous entre Eric Woerth et Patrice de Maistre, toujours dans un café discret à proximité du QG de campagne. L'explication fournie par Woerth au juge est croustillante: « Il voulait évoquer l'importance du rôle des PME dans l'économie française ».
Le 8 février 2007, « l'étude Merkt à Genève reçoit un virement de 560 000 euros, sur un compte de Mme Bettencourt, la somme paraissant provenir d'un système de compensation ».
Le 24 février 2007, l'agenda de Mme Bettencourt mentionne une visite de « Monsieur Nicolas S ». Des visites de Nicolas Sarkozy ou d'un énigmatique Nicolas S au premier semestre 2007, il en est beaucoup question dans les déclarations de l'ancien personnel de la milliardaire auprès du juge: chauffeur, infirmière, comptable, femme de chambre, les témoignages directs ou indirects sont nombreux.
Le 26 avril 2007, Liliane Bettencourt se faisait remettre quelque 400.000 euros en espèces. Un besoin de liquide pressant, entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2007. Le Monde cite le juge Gentil, après l'audition de Cnatla Trouvel, une ancienne secrétaire de Mme Bettencourt: « On pourrait en déduire qu'il y a bien eu un rendez-vous le 26 avril 2007 entre M. et Mme Bettencourt et Patrice de Maistre, un rendez-vous spécial, peut-être pour préparer une remise d'argent qui, dans ces conditions, aurait pu avoir lieu le dimanche 29 avril 2007, c'est-à-dire pendant la période des élections présidentielles.»
Tout au long de ses auditions, Eric Woerth a nié avoir reçu des espèces.
Au final, Nicolas Sarkozy est tellement visé qu'on se demande comment il pourrait échapper à une audition dans le cadre de cette instruction.
Celle-ci pourrait intervenir à compter du 15 juin prochain. Soit deux ans, jour pour jour, après le déclenchement de l'affaire.
Il était temps.
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