Terdav Trail World Tour, Saint-Jacques, 30e étape, les longueurs monotones de la Meseta...
Publié le 23 mai 2012 par Sylvainbazin
Ce soir je vous écrit de El Burgo Ranero... vous ne connaissez pas? Et bien, à vrai dire c'est assez normal tant ce village parait perdu au milieu de nulle part, planté dans l'immense plaine que je viens de traverser aujourd'hui.
Quand je suis parti, un peu plus tard que ces jours dernier, après huit heures et en ayant profité d'un "vrai" (c'est à dire substanciel) petit-déjeuner servi dans mon hostal de Carrion, je me doutais que la journée allait être longue et assez fatiguante, et que le parcours serait plutôt austère. Mais monotone à ce point, je ne pensais tout de même pas.
Mes premiers 17 kilomètres du jours consistent déjà en une longue ligne droite, tracée sur une piste blanche, bordée d'un côté par des champs et des labours, de l'autre côté par... la même chose. Pas grand chose pour distraire l'oeil ni l'esprit, si ce n'est, de temps en temps, des bouquets de coquelicots, d'autres fleurs des champs que j'aime à détailler, un oiseau perché sur un chardon qui ne se laisse pas photographier. Aussi, pour me distraire, une longue file de sac à dos des plus variés. Des lourds, des légers, des encombrés de tout un tas d'ustensiles dont les propriétaires ont jugé bon de trimballer sur ce camino, mais qui doit peser lourd à l'haure d'affronter ces kilomètres rectilignes. Pour l'heure, je me sens quant à moi assez léger. Pour tromper mon ennui, relatif, je me concentre un peu sur mes pas, ma marche, ma technique. Comme je vous l'ai déjà sans doute écrit, j'effectue ce chemin en marchant environ 95% du temps et en trottinant de temps à autre, quand l'envie m'en prend ou qu'une belle descente se profile. Je marche vite cependant, entre 6,5 et 7 à l'heure, avec des pointes au-delà de 8. Ma technique, si elle n'est pas très pure au regard de la marche dite athlétique, me semble assez efficace. Je préfère, à ces allures, marcher plutôt que courir. J'ai naturellement un grand pas, et une longue foulée. Lorsque je courais des marathons, bien des coureurs que je cotoillais me disaient que ma foulée leur semblait trop longue et pas assez économique pour les longues distances. De fait, si j'arrivais à la transporter correctement jusqu'au marathon, j'ai toujours eu plus de mal à vraiment bien courir au-delà (même si j'ai tout de même remporter des courses jusqu'à 100 KMS en courant de bout en bout...) et sur une répétition d'effort comme l'exige mon chemin vers Compostelle, je suis bien plus à l'aise à la marche. J'aime courir vite, marcher vite, mais je suis bien moins à l'aise pour trottiner et courir en petites foulées. Donc ce matin, sur cette immense ligne droite, je ne trouve rien de bien mieux à faire que de me concentrer un moment sur mes pas, ce qui vous vaut cette digression "technique" pas forcément passionnante...
Mais j'arrête là: tout d'un coup, on ne l'apercoit que dans les 100 derniers mètres, je plonge vers le premier village du parcours. Il est plutôt délabré. Ses maisons en torchis font un peu figure de vestiges. Peu après, je choisis de quitter la piste qui continue, en longeant en prime la route, pour prendre un chemin de traverse et une variante bien plus agréable. Là, je retrouve un temps la campagne pas si désagréable que j'ai cotoyé hier. Les chênes verts bordent le sentier, les oiseaux chantent. Mais cela ne dure qu'un temps: au prochain village, je retrouve le tracé officiel et la longue piste recommence.
Jusqu'à Sahagun, le chemin n'est vraiment pas très intéressant. Des champs, des champs, une piste, à peu près plate et c'est tout droit. Je commence en prime à fatiguer. Cela fait tout de même un mois que je suis parti... mais bon, en y repensant, quel beau mois! Tant de rencontres, tant de découvertes, tant de paysages et de sentiers différents. Tant d'encouragement, de marques d'amour et d'amitiés reçus aussi... cela vaut bien un peu de peine sur ces kilomètres un peu ingrats. Justement, juste avant Sahagun, je reçois un long appel téléphonique d'un ami qui me distrait un peu de la monotonie du paysage.
La ville, à part les nids de cigogne au sommet du clocher, ne me laisse pas une grande impression. J'y bois un coca qui me redonne un peu d'énergie, mais néglige de remplir mon bidon d'eau. Je vais le regretter un peu plus tard. Car si le beau temps est revenu et que le ciel bleu, c'est heureus, m'accompagne aujourd'hui, la chaleur est bien de retour aussi. Or sur les kilomètres bitumés et tout droit qui m'attendent, je vais commencer à en souffrir un peu.
Il me reste 18 kilomètres, le compte à rebours commence. Je me concentre sur quelques pensée, essaie de distraire comme je peux mon esprit. C'est un parcours à vous rendre fou. Au croisement des deux chemins possibles, je dois, pour me rendre à El Burgo Ranero, prendre celui qui parait le plus rectiligne. C'est juste tout droit, et très long. On voit, deux cent mètre environ sur la droite, l'autoroute qui suit un tracé parallèle. Sinon, des champs... Neuf kilomètres bien laborieux et j'atteins Bercianos del real camino, un village-rue où je trouve avec bonheur un "bar à pélerin", installé dans ce qu'il convient d'ailleurs d'appeler une autoroute à pélerins (on trouve même des aires de repos aménagées à leur intention, depuis ce matin). J'y commande un fanta et surtout achète, pour dévorer en marchant, un gros sandwich. Je n'ai guère mangé que du chocolat depuis ce matin...
Du coup les 8 derniers kilomètres sont un peu moins pénibles. Mais tout de même. C'est encore tout droit et absolument pas distrayant ni joli. Dans les derniers kilomètres, je suis doublé par quelques engins de chantier... Dans ma tête me revient l'air de Bagdad Café, "there's a road from Vegas to nowhere..." et c'est à peu près le décor. Je repense aussi à ma dernière étape de la course "The Track" en Australie, un collector aussi pour amateur de tracé rectiligne et monotones...
J'arrive cependant enfin à El Burgo Ranero. Curieux village planté entre deux autoroutes et une plaine à cérélaes. La rue principale n'est curieusement pas entièrement bitumée, les maisons en torchis ont parfois connus des jours meilleurs. Pourtant les hôtels et les auberges sont pleins. J'en fais un peu les frais: l'aubergiste chez qui j'ai une réservation, enfin son employée, a loué la chambre que j'ai réservé... Le temps de trouver un arrangement (on y arrive toujours), j'ai le plaisir de retrouver Patrik (qui a fait la même étape que moi aujourd'hui) et mon ami trailer Pablo, venu très gentiment me retrouver. Pablo, c'est un coureur extraordinaire, qui par exemple terminé 2e du tour de l'oisans puis 3e du Tor l'an passé à deux mois d'intervalle, ce sont deux courses de 189 et 33à kms, que j'ai rencontré il y a trois ans sur la Costa Brava Xtrem Run puis bien entendu sur d'autres courses depuis.
Avec mes amis, en français et en espagnol (je progresse!) nous passons une excellente soirée, à parler de course,s de beaux parcours et de belles destinations... ce ne sont pas les projets qui manquent!
Demain déjà, mon projet sera de rallier Leon, qui n'est pas si loin, 38 kilomètres. Pablo m'accompagnera une partie du chemin, l'étape devrait donc passer bien plus vite que celle d'aujourd'hui, qui pardonnez moi ce subterfuge typographique, fut la plus looooooongue de mon cheminement vers Saint-Jacques.