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Portrait d’un « terroriste » algérien

Publié le 23 mai 2012 par Alaindependant

par XXX, ami du blogue

Dans le portrait qui suit, à quelques détails près, beaucoup se reconnaitront. Quand ils n’ont pas disparus.

Avant d’être classé « terroriste », il avait été un enfant joyeux et un adolescent jovial, avec en permanence, la bouche grande ouverte sur un large sourire. Il était joyeusement serviable, large d’esprit, tolérant et communicatif à souhait, comme ne peuvent s’en vanter les plus ouverts de ses proches.

Le plus grand ses défauts : la naïveté. Due certainement à l’ambiance familiale  et au peu de contact avec l’environnement  social. Quand le contrôle paternel se relâchera consécutivement à l’usure,  pour devenir obsolète  à la fin de  l’adolescence, les dés sont déjà jetés.

Brillant élève durant toute sa scolarité, il opta pour un secondaire   en sciences biologiques   ou  sciences de la vie, il fut orienté en  sciences islamiques. Une section ouverte pour la première année dans l’enseignement secondaire en Algérie.

 Trouvant aberrant de préparer un baccalauréat   en la matière, alors  qu’il suffit de lire pour connaitre le domaine, il refusa de rejoindre sa classe. Des membres de sa famille, chacun son tour, sollicitèrent le directeur du lycée, en vain. L’élève  reprit le chemin de l’école, démotivé. Le désintérêt  pour les études s’amplifiera avec le temps.

Au lycée, il porta la barbe : le duvet qu’il n’avait pas rasé à la puberté s’allongea, sans que ses profs ne s’émeuvent : c’est la Sunna, les élèves de la section devaient en fournir la preuve. Au lycée également il porta, lui qui aimait les fringues,  le kamis et les savates.  Les remontrances de ses proches n’y changèrent rien.

A ceux d’entre eux qui insistaient pour qu’il s’intéressa à ses études, il répondait par le silence ou paradoxalement - pour quelqu’un dont l’engouement était auparavant très remarqué -  qu’il n’y avait pas que ça dans la vie. Toujours avec le sourire. L’argent qu’il recevait pour suivre des cours complémentaires allait à l’insu de tous à la Mosquée.

Quand le Front islamique du salut, fut créé au lendemain des émeutes d’octobre 1988, il y adhéra spontanément : il avait trouvé une  communauté spirituelle et politique.

Pour légitimer l’annulation des élections de décembre 1991, remportées par le FIS et diaboliser les islamistes,  le pouvoir  fit appel sous couvert de la défense de la république à Mohamed Boudiaf, un des chefs historique, en exil au Maroc.  

Liquidant   l’espoir démocratique né du printemps d’Alger, la décision d’annuler les élections  a été  l’élément déclencheur de la guerre civile : elle va justifier l’insurrection, fomentée et encadrée par les suppôts du pouvoir.

Lorsque l’armée se mit à quadriller les quartiers populaires et à arrêter les islamistes « le terroriste »   refusa de changer de résidence ou de s’enfuir. Il était connu qu’à défaut de trouver la personne ciblée, on arrêtait  systématiquement un membre de sa famille ou plusieurs. Quand on vint l’arrêter, il dormait avec ses chaussures. Il avait 20 ans.

Pendant des mois son père frappa à toutes les portes, faisant la queue à cinq heures du matin devant le tribunal. Essuyant les humiliations des avocats qui s’étonnaient qu’il ait un fils   terroriste. Pendant des mois, il resta au secret. Puis un jour on entendit à la télévision quelqu’un le désigner en tant qu’émir du groupe  terroriste auquel il appartenait. Ce qu’on n’avait pu lui faire reconnaitre. D’autres  sous la torture ou la peur avouaient  l’inimaginable.

Son autre frère sera également arrêté  et emprisonné : loin de toute activité politique, il portait à l’époque, une petite barbe pour des raisons esthétiques. Il a dû fuir à l’étranger pour échapper à une autre arrestation, car  une fois que quelqu’un  est fiché, il est appelé à se présenter régulièrement au poste de police.

La plupart se sont réfugiés dans les montagnes pour cette raison. Ainsi a-t-on fabriqué les terroristes et les maquis.

Quelques mois après l’arrestation dudit « terroriste », une collègue   d’un parti de l’opposition (couverture idéologique et de bras droit du pouvoir dans sa politique d’éradication des islamistes)   enjoignit rageuse à sa sœur  de régler ses problèmes.

Elle arborait très étrangement, une attitude toute opposée la veille…Quant aux  problèmes en question,  la personne avait frappé à toutes les portes et ce même parti, très fort sur la place, n’avait  été d’aucun secours. Elle était coincée, mais que pouvait-elle ?

  C’est  depuis qu’un évènement similaire s’est reproduit,  il y’a peu de temps, que s’expliqua la réaction  ci-dessus évoquée : ce qui lui était intimé là, c’était  l’ordre de rentrer dans la danse. Il lui fallait pour sauver la face prendre la place qu’on lui assignait  et  activement  se démarquer! Or, cette option ne l’effleurait même pas.  

Non seulement la  politique était un domaine qui la dépassait,  mais les islamistes n’étaient  pas à ses yeux, plus incorrects que d’autres. Idéalistes, ils ne s’attendaient certainement pas à une violence aussi brute en retour.

 D’ailleurs, le pauvre gars  ne comprenait même pas ce qui lui était  reproché,  tant il n’aurait  pu faire de mal à une mouche : il était comme sous hypnose.

C’est l’école de la république  qui l’a endoctriné. C’est encore l’école qui en dévalorisant les langues étrangères, a dirigé sa quête du savoir vers les seuls livres à la lecture desquels elle l’avait préparé et qui inondaient les rues : le livre religieux de langue arabe. Et c’est dans les meetings publics et les lieux de culte, ouverts par l’Etat à la mouvance islamique qu’il a été initié à la politique et encadré.

Et voilà que,  prêchant la bonne parole et pratiquant la rukiya (médication par le Coran) en bon élève, on en faisait un criminel ! C’était en 1992. L’Algérie avait pourtant ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis 1989.

A sa sortie de prison, dix ans plus tard, l’homme était  transformé. Les ravages étaient irrémédiables. Broyé,  il n’était  plus que l’ombre de lui-même : absent et hébété, irritable et agressif, il  avait perdu jusqu’au sourire!

Il lui faudra dix autres années pour voir sa situation s’améliorer : inévitablement et quoiqu’il fit, tout ce qu’il entreprenait  cassait.

 Gracié, après avoir purgé la quasi-totalité de sa peine, il ne reçut aucun soutien de l’Etat. Victime des stratégies  de pouvoir, il était  coupable malgré lui. En tant que tel, il devait payer.

Quant au premier leader officiel du Front islamique du salut, qui a peu pâti de la prison, il continue à ce jour son activité malgré l’interdiction de son parti.

Les porte-paroles et autres chefs plus ou moins visibles ou anonymes de cette mouvance ont, depuis qu’ils sont descendus des maquis, pignon sur rue. Eux savaient bien ce qu’ils faisaient.

Les incendiaires de l’Algérie payeront-ils un jour ?


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