Grizzly, alias Atlas

Publié le 23 mai 2012 par Toulouseweb
A400M : «le rêve devient réalité».
Il revient de loin, d’un tourbillon de retards, de difficultés budgétaires, d’hésitations techniques, d’explications embarrassées des sept Etats-Clients de la première heure. A un moment, au bord du précipice, le gros avion de transport militaire A400M a même risqué l’abandon pur et simple, le doute s’étant installé, y compris au sommet de la hiérarchie du groupe EADS. Ensuite, le réalisme a heureusement repris le dessus, le contrat originel de 2003 a bénéficié d’un solide amendement, chacune des parties concernées, industriels en tête, a accepté d’importantes concessions. Des moments difficiles, en passe d’être oubliés, le rêve étant devenu réalité, pour reprendre les termes de Fernando Alonso, directeur des vols de l’ensemble d’Airbus, tous programmes confondus.
Le rêve ? Après tout, ce n’est peut-être pas une exagération. Ce programme, remis sur les rails, montre tardivement que l’union fait la force, que les projets les plus ambitieux sont à la portée d’une Europe pragmatique. Y compris un transport militaire faisant la synthèse des besoins opérationnels de sept armées de l’Air, huit en incluant symboliquement le Luxembourg dans la liste des partenaires (un seul avion mais l’important est de participer). A terme, c’est-à-dire en 2015, la cadence de production du gros quadriturbopropulseur atteindra deux exemplaires et demi par mois. Options mises à part, 174 A400M sont actuellement commandés dont 53 par l’Allemagne, 50 par la France, 27 par l’Espagne, 22 par le Royaume-Uni. Un seul problème n’est pas résolu, mais il est tout à fait anecdotique : l’avion a été surnommé Grizzly par les équipages d’Airbus Military, officiellement baptisé sous ce nom par sa pétillante marraine, la championne du monde de voltige aérienne Catherine Maunoury. Mais les Britanniques refusent obstinément d’entériner ce choix : pour eux, l’A400M s’appellera Atlas. De toute manière, cela n’a aucune importance !
Cinq avions totalisent aujourd’hui 3.212 heures de vol, les essais touchent à leur fin, le premier exemplaire aux standards de la série prend forme sur la chaîne d’assemblage final de Séville et sera livré à l’armée de l’Air française dans les derniers jours de décembre. De premières grandes tournées de présentations ont déjà eu lieu, beaucoup d’autres sont prévues, le potentiel à l’exportation de l’A400M étant bien réel, plus moderne, plus performant que le Lockheed Martin C-130J vieillissant, plus abordable que l’imposant Boeing C-17. Tout à la fois tactique et stratégique, il est aussi un avion «civique» bien adapté aux missions humanitaires. Ce que ne manquent jamais de rappeler Domingo Urena Raso, directeur général d’Airbus Military et les principaux membres de sa garde rapprochée. Autre expression entendue à Madrid, l’A400M est un avion «tout à la fois militaire et humanitaire». Vu sous cet angle, il ne méritait en aucun cas de risquer l’abandon, d’autant que sa disparition aurait ouvert la voie à de mauvaises solutions de substitution.
Cédric Gautier, directeur du programme, ne résiste pas à l’emphase. C’est, clame-t-il, «un avion fantastique». Il va plus loin, plus vite, en volant plus haut, que d’autres prétendants. Et il capable de transporter une charge de 25 tonnes et, à l’arrivée, de se poser sur une piste herbeuse ou caillouteuse de 750 mètres de longueur seulement. Il quittera volontiers l’uniforme, le cas échéant, dans la mesure où il a déjà reçu l’homologation de l’AESA, l’Agence européenne pour la sécurité aérienne. Reste néanmoins à en parfaire rapidement la mise au point et, notamment, à remédier à quelques points faibles de son gros moteur TP400 de 11.000 ch entraînant d’immenses hélices en matériaux composites conçues par Ratier-Figeac. Un moteur dû à un consortium, Europrop International, que dominent Snecma et Rolls-Royce, et de loin le plus puissant de sa catégorie jamais conçu en Europe. Il y a là un symbole, celui d’une Europe de l’aéronautique qui n’a peur de rien.
Pierre Sparaco - AeroMorning