Députée guyanaise depuis presque vingt ans, Garde des Sceaux depuis une
semaine, "tombeuse" de Jospin en 2002, l’ancienne première vice-présidente du parti radical de gauche semble subir un baptême ministériel particulièrement odieux en cristallisant contre elle une
haine disproportionnée à ses états de service.
Le 21 mai 2012, alors qu’elle visitait une prison, Christiane Taubira, nouvelle locataire de la place Vendôme, a salué quelques prisonniers. Pendant cette entrevue,
l’un d’eux a pris la poudre d’escampette. Cette malencontreuse évasion va risquer de marquer longtemps son action de ministre à tel point que des humoristes ont déjà trouvé une jolie expression
pour la désigner : "Taubira pas de fermer la porte" !
Le meilleur moyen de voir que des attaques sont ad nominem, c’est d’abord d’observer que l’on fustige une
personnalité alors qu’elle n’a encore rien fait. C’est le cas de la numéro quatre du gouvernement de
Jean-Marc Ayrault.
Le 22 mai 2012 dans une conférence de presse, le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, en passe de devenir le prochain patron de son parti grâce à l’horizon dégagé de l’échec
présidentiel (prévu de longue date), a déclaré de manière très éloquente en direction de l’électorat du
rassemblement bleu marine : « Quand on vote FN, on a
la gauche et on a Taubira ! ».
Cette affirmation est à peine voilée d’un "antitaubirisme" primaire qui fait mal à entendre dans un pays aux
valeurs républicaines.
Car qui est Christiane Taubira ? C’est la nouvelle Ministre de la Justice nommée le 16
mai 2012 par le nouveau Président. Elle a 60 ans, n'est pas très grande mais
nourrit beaucoup de dynamisme et certains soupçonnent cependant qu’on l’aurait nommée à ce poste parce qu’elle serait d’abord une femme et en plus qu’elle ferait partie "d’une minorité
visible", non, l’expression serait plutôt : qu’elle ferait partie de la "diversité" (mot sans vraiment de signification sinon d’un peu de coloration). Bertrand Delanoë et André Vallini convoitaient pourtant le poste (ce dernier s’y est préparé depuis une bonne
décennie).
Et c’est clair que les sites extrémistes y vont fort depuis quelques jours sur Internet pour houspiller celle
qui est à l’origine de la loi 2001-434 du 10 mai 2001 qui rend l’esclavage crime contre l’humanité (et donc, jamais prescriptible). Son origine guyanaise et son militantisme dans les mouvements
autonomistes n’ont pas dû arranger sa réputation auprès de ces soi-disant nationalistes bornés. Le racisme, la misogynie également, sont les renforts d’une opposition politisée déjà très
accentuée.
Pourtant, Christiane Taubira n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler une égérie rouge. Au contraire,
le FN devrait même lui ériger une statue pour avoir octroyé au vieux patriarche son ticket pour le second tour de l’élection présidentielle. En effet, avec 2,3% des voix, Christiane Taubira,
candidate du parti radical de gauche de Jean-Michel Baylet, avait rassemblé 660 447 voix le 21 avril
2002, soit bien plus du triple que les quelques 194 601 voix qu’il a manqué à Lionel Jospin pour
accéder au second tour.
Mais même au début de sa vie parlementaire (elle a été élue pour la première fois le 28 mars 1993 et a été
réélue constamment jusqu’à maintenant), il serait difficile de la placer très à gauche : Christiane Taubira était une députée non inscrite et avait même voté la confiance au gouvernement
d’Édouard Balladur. Quelques mois plus tard, elle a suivi Bernard Tapie et s’est retrouvée en quatrième position sur sa liste "Énergie radicale" aux élections européennes
du 12 juin 1994. À partir de cette élection-là, elle a toujours été au PRG mais n’a pas hésité à soutenir Arnaud Montebourg dès le 14 décembre 2010 pour la primaire socialiste du 9 octobre 2011, ce qui lui a donné une certaine cohérence avec son "non" au référendum du 29 mai 2005 sur le
Traité constitutionnel européen.
Bien que partie prenante de la campagne de Ségolène Royal après son ralliement à la candidate socialiste le 20 janvier 2007, Christiane Taubira aurait même
résisté aux sirènes de l’ouverture sarkozyenne en mai 2007 puisqu’elle aurait été approchée, selon elle (sur
RFO le 14 juin 2007), par le Président Nicolas Sarkozy pour faire partie du premier gouvernement de
François Fillon.
Parce que le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé sur France 2 le 16 mai 2012 que les ministres qui
seraient battus aux élections législatives des 10 et 17 juin 2012 ne seraient pas reconduits au gouvernement, c’est avec grand "courage" que Christiane Taurira, comme Najat Vallaud-Belkacem à
Lyon, a décidé de renoncer à se présenter pour le scrutin législatif. On pourrait s’étonner que des ministres refusassent cette épreuve du feu, tout particulièrement pour une députée chevronnée
(dix-neuf ans de mandats !) qui, c’est vrai, a été battue largement le 21 mars 2010 aux élections régionales en Guyane (elle a mené au second tour une liste d’union de la gauche qui n’a
obtenu que 43,9% face aux 56,1% de la liste UMP).
Fait-elle partie des ministres exemplaires qui n’ont jamais été condamnés ? Pas forcément même si ce que
la justice lui a reproché est mineur par rapport aux enjeux nationaux : elle a en effet été condamnée le 27 septembre 2004 par les prud’hommes de Paris pour licenciement abusif de son
ancienne assistante parlementaire à lui payer quelques milliers d’euros d’indemnités supplémentaires.
Les enjeux nationaux sont très nombreux et la première loi qu’elle va probablement soumettre dès l’été à la
nouvelle Assemblée Nationale (sous réserve d’avoir une majorité parlementaire), c’est une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel et moral, étant donné que l’ancienne vient d’être annulée le 7 mai
2012 par le Conseil Constitutionnel en raison de son imprécision (via une question prioritaire de constitutionnalité).
Christiane Taubira a publié le 18 mars 2012 son cinquième essai : "Mes météores : combats
politiques au long cours" (éd. Flammarion). Dans le sens figuré, météore se rapporte aussi à une « personne qui brille d’un éclat très vif mais
passager » (Petit Larousse). Serait-ce son cas ?
Il semble en tout cas probable que celle qui va s’occuper des réformes sur la justice sera surtout sa
ministre déléguée. Delphine Batho, 39 ans, ancienne proche de Julien Dray et dauphine de Ségolène Royal dans sa circonscription de Melle, en cours de déménagement de son appartement parisien, ne
manque en effet ni d’énergie ni d’ardeur et promet déjà une belle trajectoire.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mai
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La Présidence
Hollande.
Le
gouvernement Ayrault.
Vous avez dit "races" ?
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/christiane-taubira-ministre-117286