Un jour de février, dans Paris-la-pluie, alors que tout est gris autour de lui, l’auteur se sent très déprimé. Il écrit à un ami peintre resté dans leur île et lui confie toute sa nostalgie sur fond d’images des principaux lieux parisiens sous la grisaille:
Les moineaux viennent-ils toujours dormir dans le caroubier, près de ton atelier? Et les cigales? Elles se sont sûrement tues avec les premiers froids…
Ici intervient la rupture avec la réalité. Trois gros plans préparent la grande échappée vers l’imaginaire de la création. Le dessinateur est vu de dos puis de face, assis à sa table devant une immense fenêtre donnant sur un ciel de pluie que traverse un oiseau. La page suivante est soudain envahie de mouettes. L’imagination s'impose dans cette réalité désagréable:
La mer est loin… quoique, il y a des jours où j’entends la corne d’un transatlantique qui s’amène sur mon boulevard, dans ma rue, un bateau énorme, comme celui de Fellini…Il fait nuit-velours et les étoiles luisent là-haut. Un rêve, tu sais…une rêverie…
Et voici que les dessins aussi commencent à délirer. Un transatlantique navigue entre les immeubles Bientôt les gens dans la rue deviennent transparents. Il ne les voit plus:
Les gens autour de moi sont virtuels, comme les mouettes de tout à l’heure…Juste des lignes sur du papier.
Une page se tourne: désormais, à la table d’un café, il dessine sans fin sur un carnet. neuf et magique.Dans sa lettre il confie à son ami qu’un truc sympa lui est arrivé et que c’est de ça qu’il voulait lui parler.Il s’est en effet rendu compte que le rotring qu'il vient d'acheter dessine de façon indépendante
Le rotring fait tout, moi je regarde.
Dès lors, les dessins font la loi, page après page: des arbres envahissent tout , des squelettes d’arbres puis des anamorphoses, des humains, des animaux, tout un bestiaire, puis le vieillissement de sa mère, la solitude, la tristesse, le cynisme, jusqu’à l’apparition dans sa vie de Bobi, un être bizarre avec qui il va communiquer.
Je n’ai pas résisté. J’ai fait ce qu’il a voulu. Je me suis mis au service de mon personnage.
J’ai beaucoup aimé cette première partie. La suite m’a semblé beaucoup plus hermétiquecar ce Bobiest une énigme pour le lecteurcomme pour l’auteur. Il se transforme, change la réalité, pose des questions sans réponses. On finit par voir des Bobi partout, dans le monde entier. Si on ouvre bien les yeux, tout est Bobi et l’auteur se pose la question de sa propre folie mais alors vive la folie.
La lettre est naturellement signée Bobi.Elle laisse place à 17 portraits de cet être énigmatique dont le dernier montre un peintre à genoux terminant le trait qui l’enferme dans le cadre qu’il vient de peindre.
C’est une énigme que cette BD, à l’image de l’homme, des créateurs et de la création L’intérêt, voire même le plaisir que j’y ai trouvé vient essentiellement des images, qu'elles soient réalistes ou oniriques. Pour créer, semble dire l’auteur, l’artiste doit se détacher de sa réalité pour laisser libre cours à ses rêves, ses désirs, ses délires, ses angoisses, ses cauchemars, ses folies.Nous ne sommes pas seuls dans le monde puisque nous sommes tous frères, tous uniques quoique tous pareils: des Bobi. Place donc à l’imagination, à l’inconscient et à la tolérance.C’est du moins ce que j’ai voulu comprendre.
Bobi de Georges Bess (Casterman, écritures, 2004, 72 pages suivies de 30 pages de croquis)
(Page du vieillissement de la mère du narrateur trouvée ICI )
Merci à Emmyne de me l’avoir fait connaître d’une part et de me l’avoir envoyé ensuite.