"Dans la chaleur de la nuit", à la recherche de Sidney Poitier et Rod Steiger
Par Tred @limpossibleblogCe que j’aime avec les ressorties, c’est qu’en plus de me permettre de rattraper mes lacunes cinéphiles, elles me font réaliser à quel point celles-ci sont nombreuses. Bon, dis comme ça, on peut se demander si c’est vraiment quelque chose d’appréciable, mais dans un sens, si, je vous assure. La dernière ressortie que je suis allé voir, par exempls. « Dans la chaleur de la nuit » de Norman Jewison. Un classique, qui a glané une belle poignée d’Oscars et que dans ma tête, j’associais avec la starification de Sidney Poitier. Je pensais qu’il avait été nommé aux Oscars pour le film de Jewison, qu’il y était un fringant jeune homme de moins de 30 ans, et que le film lui avait ouvert toutes les portes.
Il y joue Virgil Tibbs, de passage dans un patelin du sud des Etats-Unis raciste des années 60 pour rendre visite à sa mère, et qui va se voir affubler du statut de suspect dans un meurtre qui vient d’accabler la ville. Sauf que Virgil est lui-même officier de police de son état dans la lointaine Philadelphie, et qu’en plus c’est un expert en homicides. De suspect, il va se trouver enquêteur sur l’affaire pour épauler Gillespie, le shérif local qui ne voit pas d’un bon œil qu’un noir vienne mettre de l’ordre dans sa ville.
En voyant « Dans la chaleur de la nuit », je me suis rendu compte qu’à l’époque, Poitier avait plus d’années au compteur que je ne lui donnais. Et en vérifiant, je me suis même rendu compte qu’il avait à peu de choses près le même âge que Rod Steiger alors que je donnais à ce dernier une bonne dizaine d’années en plus. Poitier avait en fait déjà été nommé aux Oscars avant de faire ce film (pour « La chaîne » avec Tony Curtis), en avait même remporté un pour « Le lys des champs », et avait déjà tourné « Porgy and Bess » et « Un raisin au soleil », entre autres. Tu parles d’un débutant.
« Dans la chaleur de la nuit » m’a fait prendre conscience de mon ignorance des carrières de Sidney Poitier et Rod Steiger. En les voyant se flairer, se méfier, jouer du buddy movie avec une dextérité jubilatoire dans ce cheminement qui les conduit vers le respect mutuel naissant, je me suis dit qu’il s’agissait peut-être là de la première fois que je les voyais l’un et l’autre à l’écran dans leur prime jeunesse, surtout Poitier. Pour moi, Poitier, c’était « Randonnée pour un tueur », le méconnu « Les experts » de Phil Alden Robinson ou, blasphème atroce, « Le Chacal » avec Bruce Willis et Richard Gere (oui, cette daube). Rien avant qu’il ait atteint 50 printemps, en somme (j’entends déjà des bouuuuuh de désapprobation… je sais). Quant à Rod Steiger, si j’ai longtemps uniquement associé au général surexcité de la gâchette de « Mars Attacks ! », je l’avais ces dernières années vu lors d’autres reprises sur grand écran, « Sur les Quais » d’Elia Kazan et « Ilétait une fois la Révolution » de Sergio Leone.
En découvrant « Dans la chaleur de la nuit », je n’ai pu que constater mes indignes lacunes, qui me renforcent toujours plus dans mon envie d’aller plus souvent au ciné voir les ressorties et les rétrospectives. Surtout lorsque c’est pour découvrir sur grand écran des films de la qualité de celui de Norman Jewison, éclaboussant l’écran de style et les consciences de l’époque d’un polar prenant le problème du racisme à bras-le-corps dans une atmosphère chaude, poisseuse et enivrante. Drôle et insolente, qui plus est. C’était il y a un demi-siècle, une éternité pas si lointaine, et il y en a sûrement encore quelques uns aux Etats-Unis qui doivent être dégoûtés de voir un noir à la Maison-Blanche… même si ne nous le cachons pas, il doit également y en avoir un paquet en France qui s’offusquerait tout autant si cela devait se produire ici aussi.
En parcourant depuis les filmos de Sidney Poitier et Rod Steiger, j’ai découvert que Poitier avait repris le rôle de Virgil Tibbs dans deux films quelques années plus tard, « Appelez-moi Monsieur Tibbs » et « L’organisation ». Quant à Rod Steiger, je me suis souvenu de lui dans l’un de ses derniers rôles. C’était dans « Hurricane Carter ». Des retrouvailles tardives avec le réalisateur de « Dans la chaleur de la nuit », qui lui avait valu en 1968 l’Oscar du Meilleur Acteur. La boucle était bouclée pour eux. Pour moi, c’est comme si elle ne faisait que commencer.