Tiens, hier soir j'ai vu un petit bout d'un documentaire consacré à Jean-Louis Trintignant. Un régal. Sa lecture du poème de Prévert "Etranges étrangers" (qui débute au bout de 9 mn 23 sur la vidéo ci-dessous) est magnifique.
Et puis, le récit de son épisode de vie amoureuse avec Brigitte Bardot... Ca commence mal, il ne tape pas dans l'oeil de BB : "Comment veux-tu que je joue une scène d'amour avec ce type ? Il est trop petit et en plus, il est moche !" (13 mn 24)
Je n'avais pas l'intention de publier un billet ce soir. Plus le temps de bloguer... Mais voilà qu'on s'acharne sur Christiane Taubira. Alors voilà, puisque leur histoire d'amour avec notre nouvelle ministre de la justice commence mal, ce billet est pour eux, pour qu'ils comprennent que ce qu'ils agitent est loin de ressembler à un drapeau. Le leur n'est même pas noir. Les couleurs, ils les abhorrent.
Jean Louis Trintignant par ARTEplus7
Etranges étrangers
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boite à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
départriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez, même si vous en mourez .
Jacques Prévert. 1955.
Merci au site Claudiogene où est reproduit le poème.