LE MONSTRE
(extrait).
Quand il entend les rumeurs de la lumière, quand il entend l’explosion, il sait qu’il doit s’en aller, rien ne peut, rien ne doit l’arrêter, il sait qu’il doit partir, courir, il sait qu’il doit s’inscrire dans la vitesse, une vitesse absolue, il ne doit se rappeler de rien, il doit oblitérer son passé, détruire ses projets, il ne doit rester rien, il doit courir, il doit courir, plus rien ne l’arrêtera désormais, il entend l’appel de la lumière, il sait que la lumière est là-bas, loin là-bas, il sait que la lumière l’attend, qu’elle n’attend que lui et c’est pour cette raison qu’il se met à courir, il n’a jamais couru aussi vite, au fond il n’est plus un corps, il n’est plus un esprit, il n’est plus un être humain, il n’est plus un monstre, il n’est plus qu’une volonté, celle d’atteindre la lumière, il sait que la lumière l’attend, il ne sait pas d’où il vient, si elle est lumière d’une nouvelle apocalypse ou si elle est lumière d’une nouvelle ère, il ne sait pas mais peu importe, tout ce qu’il sait c’est que la lumière l’attend, il en est certain, la lumière ne ment jamais, alors il se met à courir, il enjambe les rivières, s’enfonce dans les lianes, saccage les forets, rien ne peut l’arrêter, rien ne doit l’arrêter, il court vite, de plus en plus vite, en lu défilent des images, sans doute les yeux de sa femme et de ses enfants, sans doute les yeux de ceux qui sont morts, sans les vestiges de la beauté défunte mais peu importe il n’est ni un être humain, ni un monstre, il n’est plus qu’une volonté, une volonté qui se destine à rencontrer la lumière, il sait que la lumière l’attend et quand il l’aperçoit à l’horizon, il pousse des hululements de joie, il a envie de crier fort, plus fort, cette lumière est splendeur, elle ne se contente de fracturer le ciel, elle est le ciel, elle invente et parachève le ciel, elle est partout, elle s’élance, envahit ses moindres recoins, toutes ses stigmates, il est à bout de souffle mais il doit courir, il court, toujours plus vite, il ne doit pas s’arrêter, il n’a jamais vu ça, cette lumière, elle est féroce, emplie de violence et emplie de fragilité et elle s’avance, bientôt, il ne restera plus qu’elle, le monde cessera d’être, les éclosions de sang, les velléités des ombres, l’armature des cadavres, tout ce qui a été dit, fait, depuis l’aube des temps disparaîtront, tout disparaîtra, il ne restera plus rien, il le sait et il court, il court ce plus en plus vite, la lumière l’attend, elle est là-bas, drapée dans toutes les voiles de sa splendeur, il a besoin de cette lumière, il n’est ni homme, ni monstre, il n’est plus que cette volonté qui poursuit la lumière, il doit s’accoupler avec cette lumière, il le sait, il ne peut faire autrement et quand il s’en rapproche il lui pousse des ailes, il se sent si fort, si puissant, il se met à voler, il vole de plus en plus haut, la lumière est désormais à proximité et cette lumière se met à calciner sa peau mais il ne souffre pas, il ne peut pas souffrir, pas maintenant car il sera bientôt dans la lumière, il voit un instant, là-bas, la petite créature, elle est venue, elle le regarde s’envoler, elle a un sourire aux lèvres et elle lui dit de s’en aller, va t’en, va t’en, vole et il sait qu’il ne doit pas s’arrêter, il ne peut pas s’arrêter et il sent que la lumière pénètre son corps, ses veines, ses artères, la lumière est en lui, la lumière pulse en lui, il dans un lieu de l’au-delà, au-delà de toute beauté, de tout langage, de tout désir, de toute haine, il y est ancrée et la lumière se met petit à petit à fragmenter son corps, la lumière traverse son corps, la lumière est en lui, la lumière coupe son corps, la lumière disperse tout ce qu’il y a en lui, il est désormais dans la lumière, il est lumière et son corps se disperse, ses atomes se dispersent, il est lumière, il est lumière, lumière de l’apocalypse ou lumière de la renaissance, nul ne le sait mais il est lumière, lumière.
Umar Timol