C’est une bagarre homérique, faite de déclarations contradictoires et de communiqués incendiaires : Airbus Military s’en prend violemment du ministère australien de la Défense, lui reprochant de ne pas avoir respecté les règles du jeu dans sa manière de choisir le C-27J Spartan de préférence au C-295. Le constructeur italien Alenia Aermacchi, à l’intervention de son nouveau partenaire américain L-3 Communications, va signer un contrat de 1,4 milliard de dollars australiens pour la livraison de dix C-27J, à partir de 2015. Cela sans véritable appel d’offres en bonne et due forme, affirme-t-on à Madrid.
Faux ! rétorque Canberra qui explique que les deux types d’avions de transport concurrents C-27J et C-295 ont été soigneusement comparés avant la prise de décision. Et d’affirmer qu’il n’est pas fondé de présenter le C-295 comme nettement moins cher, les comparaisons mises sur la place publique n’étant pas basées sur des informations comparables.
Il est exceptionnel que le groupe EADS sorte ainsi de sa prudente réserve, même par filiale interposée, une situation qui tend à confirmer que les marchés de ce type sont d’autant plus disputés qu’ils se font rares. Les tensions budgétaires frappent partout et les industriels sont prêts à de grandes concessions pour ne pas laisser échapper un client. Une remarque qui s’applique tout particulièrement à Finmeccanica, maison-mère d’Alenia Aermacchi, actuellement dans une passe difficile et qui plus est, tente avec force de prolonger la production du C-27J, né Fiat G222 dans les années soixante.
La rareté de tels marchés est précisément illustrée par l’Australie qui se décide tardivement à remplacer de vénérables Caribou, un type d’avion oublié ans la mesure où il a effectué son premier vol …en 1958. Il a été conçu par de Havilland Aircraft of Canada, à Downsview (Toronto) par un constructeur absorbé par la suite par Bombardier. L’Australie, il y a une cinquantaine d’années, en avait acheté vingt-cinq exemplaires.
Aujourd’hui, Airbus Military n’hésite pas à s’en prendre directement à Stephen Smith, ministre australien de la Défense. Dans le même temps, les Italiens alignent les arguments en faveur de leur poulain et, comme souvent en pareil cas, l’observateur extérieur n’est pas en mesure de trancher, faute de disposer de données comparatives suffisamment précises et détaillées.
Cette polémique rappelle que C-27J et C-295 sont au coude à coude sur un marché étroit. Le premier totalise 89 commandes (hors versions antérieures) et le second une bonne centaine, en ne comptant que la version modernisée en cours de production. Le C-295, comme les bimoteurs plus petits qui l’ont précédé, a été, à l’origine, conçu par Construcciones Aeronauticas, à présent englobée dans Airbus Military, c’est-à-dire EADS, et est assemblé à Séville. Les Italiens ont récemment subi un cuisant revers, le Pentagone annulant brutalement, pour cause de disette budgétaire, une commande de trente-huit C-27J, mettant en «cocon» les quelques exemplaires déjà livrés et refusant de prendre livraison de ceux qui étaient en fabrication. A ainsi disparu la précieuse référence américaine qui aurait peut-être permis à Alenia Aermacchi de convaincre d’autres clients potentiels.
Sans doute embarrassées par la mauvaise publicité faite à cette polémique, les deux parties s’expriment peu. Chez Airbus Military, à Madrid, Antonio Rodriguez-Barberan, directeur commercial, affirme que la proposition faite aux Australiens est toujours sur la table, que «la balle est dans leur camp». Mais la situation est d’autant plus complexe que la réaction officielle madrilène apparaît très sévère. Au point de faire dire à Gerard Frawley, directeur de l’influent magazine Australian Aviation, qu’il n’avait jamais rien vu de pareil. Il rappelle qu’une évaluation détaillée des deux rivaux avait été conduite à Canberra en 1999, que le C-295 avait effectivement été retenu mais que la commande n’avait pas été signée, pour cause de fortes contraintes budgétaires. Aujourd’hui, le dossier étant rouvert, il apparaît que les militaires australiens, de toute évidence, préfèrent le C-27J. Mais il n’y a pas eu d’appel d’offres officiel à proprement parler, tout au plus une «Request for Pricing and Availability».
Beaucoup de bruit pour rien ? Pas vraiment : les marchés militaires tendent à se raréfier, l’Australie s’inscrit en bonne place parmi les marchés de référence. Qui plus est, chacun des concurrents aligne un certain nombre de spécificités techniques et opérationnelles. «Ce n’est pas comme les Airbus A320 et Boeing 737, qui sont interchangeables, remarque judicieusement Gerard Frawley. Ce n’est peut-être pas la fin de l’histoire.
Pierre Sparaco - AeroMorning