Maîtriser le désordre, par la magie et par le sens

Publié le 22 mai 2012 par Marc Lenot

Main de guérison, Shambaa, Tanzanie, 20ème

Au début, on rebrousserait presque chemin tant la décoration scénographique est hideuse, prétentieuse et pesante, imposante aux dépens des pièces présentées et du parcours, et ne contribue en rien au sens de l'exposition; le contraire de la discrétion de mise dans les sous-sols du Palais de Tokyo. Et puis, peu à peu, on parvient à l'oublier et on s'intéresse à ce qui est présenté en s'efforçant d'en négliger "l'écrin". Les Maîtres du désordre, au quai Branly jusqu'au 29 juillet, parlent de chamanisme : qui sont, dans les sociétés traditionnelles, ces hommes liens entre la réalité et le monde des esprits, mais aussi qui sont-ils parmi nous aujourd'hui ?

Chaman Evenk

A dire vrai, la première moitié de l'exposition intéresse mais n'émeut guère. S'y déclinent, de manière fort savante, les différents avatars du chamanisme, tentative de maîtrise face au désordre du monde, dans les mondes dits primitifs, mais aussi au sein de mondes plus rationnels, égyptien et grec (avec Dyonisos par exemple) : beaux costumes (ce sibérien superbe), beaux rituels, objets propitiatoires, ex-votos et, tout sauf inattendu, Joseph Beuys expliquant des tableaux à un lièvre mort. Une belle démonstration, se dit-on.

Et puis, vers le milieu du parcours (ou serait-ce qu'on est enfin parvenu à se dépouiller des tubulures et des gravas des scénographes ?) soudain l'empathie monte, soudain je ne suis plus simple spectateur intéressé, mais je deviens partie

Anna Halprin, Dancing my cancer, 1975

prenante, concerné, ému. Ce fut, pour moi, devant la vidéo d'Anna Halprin, Dancing my cancer (1975) où la chorégraphe, envers et contre tout, affronte sa maladie devant quelques amis réunis chez elle, en un combat sauvage, physique, animal, exorcisant ses peurs face à l'image de son crabe intérieur. Elle sort victorieuse de cette lutte pour la vie et va désormais 'danser pour vivre' (et non plus vivre pour danser).

Masque Matara Sri Lanka

Mais ça aurait aussi pu être devant cette statuette du Sri Lanka (19ème siècle), masque d'exorcisme pour protéger les femmes enceintes, désordre corporel normal et pourtant terrifiant.

La partie finale, dénommée Catharsis, purification et transe, montre des sorciers suisses (ci-dessous), des tarentelles, des bacchanales et des fêtes des fous, qui nous semblent si proches. Elle culmine dans une salle conçue par Arnaud Labelle-Rojoux où Jérôme Bosch côtoie Gelitin, où l'artiste s'affirme comme vecteur de la transgression profane. Le désordre retrouve son sens.

Photos de l'auteur.

Vue d'exposition (sorciers suisses et scénographie)