Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 41. du lait humain en particulier

Publié le 22 mai 2012 par Rl1948

     Nous nous sommes quittés mardi dernier, vous et moi amis visiteurs, après avoir quelque peu pris conscience de l'importance du lait dans la civilisation égyptienne - quelque peu, seulement, car vous avez compris que j'escomptais bien développer plus avant ce très intéressant sujet lors de plusieurs autres interventions à venir - ; et aussi après vous avoir promis d'évoquer aujourd'hui plus spécifiquement le lait maternel, utilisé en réalité sous deux "aspects" : celui, tout à fait commun, d'une jeune mère (irtchet remetch - lait humain, spécifient les textes) et celui, plus particulier, d'une femme ayant accouché d'un enfant mâle.

   Alors que bizarrement dans l'Assyro-Babylonie antique, pratiquement à la même époque, le lait maternel était considéré comme nocif, en Égypte, l'allaitement naturel, appelé mou bezaou, c'est-à-dire "eau de protection", - que ce soit d'ailleurs celui de la vraie mère ou celui d'une nourrice -,  était reconnu pour mieux convenir aux nourrissons que celui d'un animal.

   Selon feue Madame Christiane Desroches Noblecourt, il est vraisemblable que pour les Égyptiens, élever un bébé au sein était garant d'une meilleure santé, ce lait constituant un véritable antidote censé l'immuniser, à tout le moins pendant la période d'allaitement - 36 mois, semblerait-il, si je m'en réfère au Papyrus d'Ani du British Museum (EA 10470). Opinion que je me garderai bien de confirmer ou d'infirmer, n'ayant aucune compétence en la matière, même si, en tant que père et grand-père, j'ai bien là-dessus aussi ma petite idée.

   Prolongement matériel ex utero de ce qui avait nourri le foetus dans le placenta, le lait maternel, vous le comprendrez très vite, amis visiteurs, qu'il soit considéré comme adjuvant ou comme excipient, eut une valeur de premier plan dans l'Égypte pharaonique, et plus spécifiquement parmi les pratiques médico-magico-religieuses : j'en veux pour première preuve ce test, consigné dans le Papyrus Ramesseum IV, censé pronostiquer le degré de viabilité d'un nouveau-né :

   Une autre chose à faire pour lui le jour de sa naissance : un fragment de placenta broyé dans du lait lui sera donné pendant trois jours de suite. S'il le vomit, cela signifie qu'il mourra. S'il l'avale, cela signifie qu'il vivra.

   Importance considérable, annonçai-je d'emblée. C'est à ce point vrai que deux passages du Papyrus Ebers que déjà je convoquai la semaine dernière, les §§ 788 et 796, prodiguent quelques conseils en vue d'examiner la qualité du lait qu'à son enfant une jeune mère serait amenée à donner :

   Détermination d'un lait mauvais : tu constateras que son odeur est semblable à la puanteur du poisson "méhyt".

   Détermination d'un lait consommable : son odeur est semblable à celle des morceaux concassés de rhizome de souchet comestible ; cela est un critère d'analyse.

            

   Toutefois, s'il me fallait établir un semblant de hiérarchie, j'affirmerais sans hésitation aucune que bien plus apprécié encore fut le lait de femmes ayant accouché d'un garçon. Tout simplement parce que cet événement était assimilé à Isis enfantant Horus.

   Véritable panacée pharmacologique, il était en effet notamment utilisé pour remédier aux dysfonctionnements oculaires que l'on devine préoccupants dans un pays baigné de soleil et parfois traversé par des vents soulevant la poussière de sable. Ainsi, dans le papyrus Ebers à nouveau, lirez-vous :

   Autre remède pour chasser les substances rouges qui sont dans les yeux : feuilles d'acacia, malachite et lait d'une femme ayant mis au monde un enfant mâle.

Sera préparé en une masse homogène et appliqué sur les paupières. (Eb. § 408)

   Permettez-moi de simplement préciser, sans évidemment préjuger du protocole de guérison, qu'au milieu du XXème siècle encore, toujours selon Madame Desroches Noblecourt, dans certaines régions de France, dont le Massif Central, on instillait toujours ce type de lait pour soigner des douleurs au niveau des yeux ...

   Le Papyrus 3027 du Musée de Berlin stipule qu'il peut guérir les "maux" des nourrissons - comprenez les coliques :

     Moudre finement des extrémités de tiges de papyrus et des graines mêlées à du lait d'une femme ayant mis au monde un fils.

Si on en donne à l'enfant une mesure, il passera le jour et la nuit dans un sommeil salubre.

   Il fut également indiqué pour soigner l'incontinence urinaire des jeunes enfants.

   A son sujet, le Papyrus médical 10059 du British Museum donne à lire des paroles incantatoires qu'il était bon de réciter sur un onguent confectionné aux fins d'apaiser d'éventuelles brûlures, Isis étant censée les prononcer :

     Je sais comment éteindre cela avec mon lait, l'eau de guérison qui est entre mes seins. Je verse mon lait sur tes membres, mon fils et tes muscles guérissent. Je fais que le feu s'éloigne de toi aussi puissant qu'il était.

   A dire sur (des feuilles d') acacia, des sablés d'orge, des coloquintes cuites, des coriandres cuits.

Fais-en une masse à mélanger avec du lait d'une femme ayant mis au monde un enfant mâle.

Tu banderas cela avec une tige de ricin

   Enfin, et pour à nouveau évoquer le contexte magico-médical, au-delà de ses fonctions nutritionnelles, au-delà de ses qualités thérapeutiques, ce lait spécifique était lui aussi réputé pour établir un protocole divinatoire. Ainsi trouve-t-on sur un autre document d'époque aujourd'hui conservé à Berlin (Pap. 3038), conseil d'un test en vue de déterminer si une femme pourra ou non être mère : il y est question de morceaux de pastèque à malaxer avec du lait d'une femme ayant accouché d'un enfant mâle ; à verser dans son vagin : si elle vomit, elle enfantera, alors que si elle a des vents, cela signifie qu'elle n'enfantera pas.

   Ici au Louvre, pour autant que tout à l'heure vous vous rendiez en salle 16, vous découvrirez dans la vitrine 4 un objet avec embout (E 14468 bis), de quelque 20 centimètres de long, propre à effectuer cette injection. Au point de départ, corne de bovidé, l'ustensile fut exhumé jadis de la tombe 1382 du cimetière ouest de Gournet Mourraï.

Il daterait du milieu de la XVIIIème dynastie


   Cette franche utilisation du lait d'une mère d'un bébé de sexe masculin dans la pharmacopée égyptienne antique semble avoir encouragé les artistes à réaliser des récipients spécifiques dont le modelé - pour celles et ceux, nombreux, qui ne savaient pas lire - induisait sans conteste le "médicament" qu'ils renfermaient.

     Les archéologues ont en effet mis au jour, essentiellement dans des sépultures féminines, des petits vases anthropomorphes à l'effigie d'une femme assise sur ses talons tenant dans son giron un bébé mâle qui prend - a pris ou va prendre - le sein.

     Le Louvre détient une de ces "bouteilles à lait" (AF 1660), dont je ne possède malheureusement que photographies monochromes, son site internet n'en proposant nul cliché. D'ailleurs, l'objet n'est même pas mentionné dans sa base de données officielle : peut-être parce qu'il se trouve toujours dans les réserves ...

     Toutefois, et pour que vous visualisiez ce type d'objet, il m'a semblé opportun de vous montrer celui, semblable, superbe, en terre cuite rouge, qu'expose le Musée des Antiquités de Leyde, aux Pays-Bas, datant probablement de la fin du Nouvel Empire ou des débuts du premier millénaire avant l'ère commune.

    

 

   Comme existent également d'autres fioles quasiment identiques, mais dépourvues toutefois du nourrisson, certains égyptologues qui les ont abondamment étudiées pensent  - je ne dis pas : affirment - que les unes auraient donc contenu du lait de femmes venant d'accoucher d'un garçon et les autres, tout logiquement, de celles ayant donné naissance à une fille.

   Permettez-moi, amis visiteurs, de clore notre entretien en attirant votre attention sur la conception qu'avaient les riverains du Nil antique quant à la formation de l'embryon : ils pensaient en effet que, si le sperme de l'homme était à l'origine de l'élaboration des os et des nerfs, le sang pour sa part faisait se transformer le lait maternel en chair.

   Le Papyrus Jumilhac E 17110 appartenant au Louvre (mais non exposé) l'atteste sans ambage quand il proclame :

   Et Rê dit à l'Ennéade : "Quant à ses chairs et à sa peau, sa mère les a créées avec son lait ; quant à ses os, ils existaient grâce à la semence de son père".

   De l'importance du lait dans la civilisation égyptienne, avais-je préalablement annoncé ...

(Bardinet : 1995, 139-53 et 311 ; Daumas : 1980 : 27-32 ; Desroches Noblecourt : 1952, 49-67 ; Jean/Loyrette : 2010, 99-114, 152, 165-82 et 215 ; Lefebvre : 1960, 59-65 ; Spieser : 2007, 1727 ; Vandier : 1961, 124, XIX, XII 24-25)