L'Otan vingt ans après

Publié le 21 mai 2012 par Egea

Le journal Atlantico m'a posé quelques questions, à l'occasion du sommet de l'Alliance à Chicago. On est toujours un peu déçu quand on répond "à l'oral"à des questions qui mériteraient forcément plus de nuances. Mais le résultat est intéressant.

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Atlantico : Le rôle de l’OTAN, aujourd’hui, a-t-il encore quelque chose à voir avec la mission originelle qui lui avait été confiée ?

Olivier Kempf : Il faut tout d’abord bien distinguer l’Alliance atlantique et l’OTAN. L’alliance est une organisation politique qui réunit des États autour d'objectifs politiques. L’OTAN est une organisation intégrée qui est utilisée pour mettre en œuvre ces politiques. Elle est spécialisée dans les affaires militaires. En France, on a souvent tendance à confondre les deux.

L’OTAN a beaucoup évolué depuis la Guerre froide. Sa structure s’est largement transformée. Sa structure de force a quasiment disparu : il n’y a plus de troupes placées en permanence sous le contrôle de l’OTAN. La structure de commandement elle-même s’est réduite, passant de plus de 60 États-majors à 13 aujourd’hui, avec plus de 30 000 hommes à l’origine pour seulement 9000 aujourd’hui. Tous ces services étaient par le passé spécialisés selon des secteurs géographiques particuliers. Aujourd’hui, ils répondent à des spécialisations fonctionnelles : lun pour les opérations, l'autre pour la transformation.

Autre grande évolution, une succession d’élargissements a fait passer l’Alliance de 16 pays membres en 1989 à 28 aujourd’hui. En s’élargissant, elle a contribué à la réunification de l’Europe. Elle a également facilité la gestion des confins de l’Europe, notamment avec la Russie, en sécurisant le territoire européen.

Enfin, l’Alliance a montré sa capacité à gérer un conflit dans le cas de la crise des Balkans. Après des débuts difficiles, elle a fini par gérer les conflits qui ont frappé la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.

Dans la phase entamée depuis 2001, une nouvelle question s’est posée à l’Alliance : la lutte contre le terrorisme. L’Alliance est mal à l’aise avec ce type de problématiques, aussi bien sur le plan politique que sécuritaire. Une organisation militaire peine à gérer le terrorisme.

L’Alliance a été formée dans un monde bipolaire très centré sur un couplage Américain / Européen contre un univers russe. Aujourd’hui, c’est une institution qui a permis de sécuriser l’Europe, d’éloigner toute menace directe et d’exporter de la sécurité. Du statut d’Alliance de dissuasion, et donc de non emploi, elle est passée au statut de force expéditionnaire, et donc d’emploi.

A :L’OTAN est-elle encore la solution pertinente pour répondre aux menaces qui peuvent viser l’Europe dans le monde actuel ?

OK : Je suis gêné par le terme menace car il ne me semble en réalité pas tellement adapté à la situation contemporaine. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que l’OTAN reste une boîte à outils qui peut être utilisée dans des circonstances qui n’avaient pas été initialement prévues. Chaque fois, lors de ses interventions , elle a toujours su s’adapter aux situations nouvelles et remplir les missions qui lui étaient confiées.

Cette boîte à outil reste disponible. Elle a été efficace dans un certain nombre de crises depuis vingt ans. Il est fort probable que les Alliés conservent cette boîte à outil. Qu’est ce qui arrivera demain ? Personne ne peut le savoir. C’est aussi pour cela qu’il est difficile de dire comment transformer l’OTAN pour anticiper ces risques. Mais il est fort probable qu’elle sera, quoi qu’il arrive, l’un des éléments de réponse à cet imprévu de demain.

A : L’OTAN ne devient-elle pas obsolète dans un contexte où d’autres organisations remplissent, comme les Nations unies par exemple, des rôles similaires ?

OK : Est-ce que l’on inventerait l’OTAN aujourd’hui ? Je ne pense pas. Cela étant, maintenant que nous l’avons et qu’elle continue de fonctionner, je vois mal les gouvernements, quels qu’ils soient, se passer de quelque chose qui est déjà là. C’est pour cela qu’on l’entretient et qu’on l’adapte, même si on rabote et ajoute divers éléments en permanence. La question ne se pose donc pas de manière binaire. Il ne s’agit pas de savoir si elle doit être là ou pas. Il s’agit de savoir ce que l’on en fait. A quoi sert-elle aujourd’hui ? Elle sert principalement à mettre en œuvre le contrat transatlantique. Les Européens sont les premiers à le réclamer : cela leur assure la protection des États-Unis. Pour les Américains, c’est un moyen d’avoir des alliés avec lesquels travailler, en Europe, sans que cela ne leur coûte très cher. C’est aussi pour ces raisons que beaucoup de pays, en Europe, réduisent leurs dépenses militaires. Une externalité positive de l'Alliance, en fait.

La question de la pertinence d’un outil militaire, quel qu’il soit, se pose par contre effectivement depuis une vingtaine d’années. Nous étions jusque-là dans une logique où l’outil militaire emportait la décision. Nous sommes aujourd’hui dans une toute autre logique où cet outil n’est plus qu’une partie de la décision. Les actions sont devenues complexes car il y a de nouveaux facteurs de puissance. C’est ce que l’on voit dans les conflits asymétriques, face à des insurrections, ou encore dans ce que l’on appelle des approches globales, qui intègrent aussi bien une action militaire que diplomatique ou humanitaire.

L’OTAN étant spécialisée dans ce domaine militaire, elle se retrouve en concurrence avec d’autres organisations qui ont une gamme d’outils plus large. C’est le cas des Nations unies, mais c’est aussi le cas de l’Union européenne qui intègre un volet militaire, un volet sécuritaire complet avec ses composantes policière et judiciaire et aussi un volet diplomatique et un volet économique. Reste qu’aujourd’hui, sur la simple composante militaire, l’OTAN reste plus efficace que ces structures polyvalentes.

L’OTAN commence cependant à envisager de systématiser des approches globales en intégrant les dimensions économique, politique, éducative. Il a d’ailleurs été décidé au dernier sommet de l’OTAN de mettre en place une cellule civile de gestion de crise.

O. Kempf